Laque chinoise
Autrefois, l'homme créait ses divers ustensiles à partir des matériaux bruts qu'il trouvait dans son environnement, comme la pierre, le bois ou l'argile. La principale différence entre ces ustensiles et les objets en laque est que ces derniers sont d'abord faùonnés. Mais une fois que ces objets sont revêtus d'une couche de laque, il n'est plus possible de distinguer le matériau de base - le bois, l'argile ou le bambou -. C'est pourquoi les experts les classent indifféremment comme « laques ».
L'idéogramme chinois tch'i qui désigne la laque est en réalité une combinaison de pictogrammes. En l'analysant, on remarque, dans la moitié supérieure, l'arbre, au-dessous duquel se trouvent deux traits obliques latéraux. Ce sont les gouttières placées de chaque côté de l'arbre qui permettent de recueillir un liquide - la sève. En-dessous est placé le pictogramme représentant l'eau. Mal comprise par les scribes et les lettrés, cette composition pictographique et idéographique a reùu un élément superfétatoire, la clé de l'eau, pour préciser à nouveau que l'objet ainsi désigné était bien un liquide.
Les laquiers se trouvent en abondance dans les régions du cours moyen du Houang-he (fleuve Jaune) et de son bassin inférieur. Cet arbre y pousse naturellement en forêts entières. Selon des documents archéologiques dignes de foi, on aurait découvert la substance figée dans des laquiers ayant sept mille ans d'ége, une époque bien antérieure aux dates supputées de la période légendaire de l'Empereur Jaune.
La sève du laquier a une très forte qualité adhésive et un brillant magnifique. On peut l'utiliser comme enduit protecteur et esthétique sur divers objets.
Dès l'ége néolithique, les Chinois connaissaient l'usage de la laque, et revêtaient divers ustensiles domestiques, ainsi que des ornements et des objets de culte ou de sacrifice. Entre le VIIIe et le IIIe siècle avant Jésus-Christ (dynastie des Tcheou orientaux), les objets en laque prenaient des formes d'une rare beauté, et étaient fort appréciés de la classe noble. A cette époque, l'usage de la laque était communément répandu. Tous les instruments d'écriture, de musique, de même que les ustensiles du boire et du manger, les meubles, les armes, les articles funéraires ou encore les pièces de véhicule, étaient enduits de laque. La gamme des reproductions plates ou en relief allait des dragons, phénix, serpents et oiseaux symboliques jusqu'aux scènes de danse et de chant à la cour, ou encore de jardinage et de chasse. Les modèles étaient de plus en plus complexes gréce à l'habilité des artisans, et les couleurs étaient merveilleusement belles. La laque était vivement appréciée de la population.
Sous la dynastie des Tcheou orientaux, la corporation des laqueurs se développa plus rapidement que jamais, avec des techniques avancées et un commerce qui s'étendait très loin dans le royaume. C'était véritablement une période de déclin pour les objets en bronze, tandis que ceux en laque prennaient de la valeur. La laque ne réapparut véritablement qu'au début du XVe siècle de l'ère chrétienne, qui vit des développements importants pour ce corps de métier. Depuis le XVe siècle jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, on produisit des œuvres remarquables, et l'art de la laque se transmit d'une époque à l'autre. Et cette transmission des techniques directe et ininterrompue d'artisan à artisan a permis d'accumuler les expériences. Au début du XVe siècle, la famille impériale s'était éprise d'articles et objets en laque au point de leur consacrer une institution particulière, ainsi que des ateliers de production. Inévitablement, les eunuques et les mandarins adoptèrent les goûts de la famille impériale. La population suivit également avec engouement le mouvementque. Pendant une période assez longue, les laquiers connurent donc une très grande prospérité tandis que leur production se diversifiait et que l'usage de la laque se répandait. Durant trois siècles environ, l'art de la laque s'est enrichi de techniques nombreuses et originales, ou encore de substances neuves, le tout avec beaucoup de raffinement. Les reproductions et les originaux rivalisaient en décoration, en esthétique et en style, offrant à la laque une valeur non seulement culturelle, mais aussi commerciale.
Vers la fin du XVIIIe siècle, les peintures à l'huile européennes firent leur apparition en Chine. Comme cette peinture était d'un prix très modique et qu'elle épargnait une grande quantité de travail et d'énergie, elle supplanta rapidement la laque traditionnelle dans la fabrication des ustensiles courants. Après la Seconde Guerre mondiale, ce sont les vernis chimiques qui ont à leur tour largement supplanté tous les autres enduits traditionnels.
De ces trois sortes de revêtement, la laque chinoise est la plus résistante et la plus durable. Elle ne s'érode pas, même après cent ou deux cents ans. Les peintures à huile commencent à s'écailler au bout d'une dizaine d'années tandis que les vernis chimiques ne peuvent conserver leur éclat originel au-delà de vingt ou trente ans. En outre, on peut superposer plusieurs douzaines de couches de laque chinoise en vue de graver l'objet par la suite, alors que les vernis à huile ou chimiques n'offrent pas assez de résistance pour supporter la gravure, même après plusieurs couches.
L'art de la laque décorative est un art chinois purement indigène. Il s'est perpétué sans interruption pendant des milliers d'années. Même en République de Chine à Taïwan, nation hautement industrialisée, cet art traditionnel est encore profondément chéri par la population. Après tout, ces objets en laque font partie de la vie quotidienne des Chinois depuis des siècles. Cependant, la conservation de cette fragile splendeur, dans la civilisation moderne, exige une réflexion profonde et pertinente de l'ensemble de la population chinoise.