Le territoire de la concession française (SHANGHAI, 1849-1946)
Le polycentrisme administratif de la ville n'entraîne pas sa partition en zones étanches et spécifiques. Certes des bornes ont été posées pour signifier sur le terrain la délimitation des compétences administratives. Mais nul poste frontière n'empêche le passage d'une /zone à l'autre, du moins jusqu'à l'occupation japonaise. Bien plus, la ville garde une certaine homogénéité en ce qui concerne la population : à l'origine, la résidence dans la concession était réservée aux ressortissants du pays signataire, mais l'afflux de réfugiés dès 1853 a obligé les autorités chinoises et françaises à revenir sur ce principe. La concession n'a ainsi jamais pris le caractère d'un ghetto isolé de son environnement chinois.
Il n'en reste pas moins que l'extension des limites de la concession, nécessitée justement par l'accroissement, dès 1851, de la population chinoise et étrangère, a suscité des négociations comme s'il s'était agi d'une question de frontière : négociation avec le daotai, négociations avec les autorités de la concession internationale.
La concession française, créée en 1849, s'est étendue par l'acquisition successive de parcelles toujours plus à l'ouest, en 1900 (accroissement de 145 hectares), puis en 1914 (la concession occupe alors 1000 hectares). Les espaces concédés, situés le long du Huangpu sur des terres libres de constructions se sont vite révélés insuffisants et dès 1882, tous les terrains étaient attribués.
En diverses occasions, le conseil municipal et le consul ont eu à affronter des émeutes populaires liées à des questions de territoire. Car L'espace revendiqué par les étrangers n'est pas vierge : comme le précisent de nombreux récits des années 1850, il s'agit de terrains ponctués d'habitations, de tombeaux et constructions diverses. En 1875 et 1898, la construction de nouvelles rues dans le quartier dit de la Pagode de Ningbo suscite un affrontement avec la guilde des originaires de Ningpo, corporation qui assure l'entretien et la protection des tombes et cet affrontement, qui dégénère en bataille rangée, fait plusieurs victimes chinoises.
Le percement des rues va de pair avec les travaux de drainage, de pavage, d'égouts. L'acquisition des terrains s'effectuant directement entre propriétaires chinois et occidentaux, le parcellaire originel perdure. La trame des rues, organisée selon deux axes nord-sud et est-ouest, est issue du tracé existant des voies qui sont élargies tandis que les canaux et voies d'eau sont comblés, tel le Yangjingbang en 1915 qui sépare la concession française de la concession internationale. Le conseil municipal est responsable de ces travaux d'intérêt public, financés grâce au cadastre créé en 1887, source d'impôts fonciers et locatifs. Les premiers quartiers habités sont très denses, puis les extensions permettent le développement d'espaces verts plantés de platanes, parcs de promenade ou agrément d'édifices publics ombragés, et de quartiers résidentiels avec des villas entourées de jardins.
La dernière extension se fera sous le signe de l'apaisement : la Révolution de 1911 a mis fin à la dynastie mandchoue, les murailles de la vieille ville de Shanghai sont abattues (1912) : c'est désormais un boulevard et non un mur qui, à l'est, sépare la ville chinoise de la concession française et, symboliquement, c'est l'accès au monde occidental qui lui est ainsi ouvert. Ce boulevard, on le baptise du nom des "Deux Républiques", française et chinoise, signe de confiance dans un avenir de rapprochement entre les peuples par le respect de mêmes principes.