Laiderons de l'Antiquité chinoise
Dans certaines scènes de l'opéra de Pékin, des rôles de femmes ayant une tortue peinte sur le visage symbolisent ce que, dans l'Antiquité, on appelait des laiderons, bien que des femmes aient été héroïques et éminentes.
Bien que ces visages peints ne soient pas des visages réalistes, ils montrent la différence entre la beauté et la laideur. Cette unité des contraires laisse une vive impression aux spectateurs. Zhong Wuyan est un rôle représentatif de ces laiderons.
Un laideron gouverne son pays
Zhong Lichun était une femme du royaume de Qi de la période des Royaumes combattants (480 -222 av. J.-C.). Son surnom Wuyan ( pas de sel) vient du fait qu'elle était née à un endroit où il y avait pénurie de sel. Dans un roman classique, un auteur raconte son histoire fascinante. Il y a plusieurs centaines d'années, on a aussi adapté ce roman pour le théâtre. Ces dernières années, il a été porté à l'écran à six reprises. On dit aussi qu'un téléfilm en préparation aurait Zhong Lichun comme principal personnage.
D'après des sources historiques, Zhong Lichun était laide à faire peur : front bas, yeux creux, pommettes saillantes, gros ventre, arête du nez très haute, énorme pomme d'Adam, grosse tête à cheveux clairsemés et vilaine peau. C'est justement à cause de cette mauvaise mine qu'elle était encore célibataire à 40 ans.
Malgré cette tare congénitale, Zhang ne s'est jamais abandonnée au désespoir. Dès son enfance, elle a toujours étudié assidûment et persévéré dans ses activités. Finalement, elle est devenue versée à la fois dans les lettres et dans l'art militaire. Elle avait de fortes capacités à créer des exploits et à rendre service à la patrie.
La période des Royaumes combattants est une époque où les principautés se sont disputé l'hégémonie et où les faibles ont été la proie des forts. Le roi Xuan de Qi, qui était alors le souverain, ne recherchait que les plaisirs de la vie et n'avait pas envie de gouverner son État. Cette situation préoccupait beaucoup Zhong Lichun. Pour sauver sa patrie, elle se fit passer pour une fille d'honneur. Puis, elle guetta une occasion pour rencontrer en personne le roi Xuan dans le palais royal. Mais sa laideur fit rire tout le monde. Le roi Xuan lui demanda alors : « Étant donné ta laideur, en vertu de quelles habiletés es-tu entrée dans mon palais ? » Zhong Lichun répondit : « Je n'ai pas d'autres capacités particulières que celle de connaître bon nombre de devinettes ! » Le roi Xuan répliqua : « Si tes devinettes peuvent toucher le point sensible des affaires d'État, alors tu as eu raison d'entrer dans mon palais ; sinon, je te punirai d'avoir fait irruption dans mon palais sans autorisation. »
Sur l'avis du roi, Zhong Lichun fit quatre gestes : ouvrir grands les yeux ; ouvrir la bouche ; lever la main ; et se frapper le genou. Elle dit aussi deux courtes expressions : « Attention ! C'est très dangereux ! Mais le roi et les gens de la cour ne comprirent rien à ce qu'elle avait fait.
C'est alors que Zhong Lichun expliqua. Ouvrir grands les yeux signifie aider le roi à bien observer la situation du pays. Ouvrir la bouche veut dire demander aux sujets de soumettre leurs suggestions. Lever la main indique de chasser les flatteurs. Et se frapper le genou signifie démolir les pavillons où l'on passe son temps à courir après les plaisirs. Après avoir entendu son explication, le roi Xuan se mit en colère et voulut la décapiter.
Mais Zhong Lichun savait rester calme devant les coups durs. Elle rétorqua : « Permettez-moi de vous présenter d'abord ces quatre suggestions et vous me décapiterez ensuite. Actuellement, le royaume de Qi est sous la menace des ennemis. Comme roi du pays, vous avez des écarts de conduite. Il faut nommer les gens de la cour selon leurs mérites et faire le meilleur usage des ressources humaines et matérielles.
Après avoir entendu les quatre suggestions de Zhong Lichun, la colère du roi Xuan s'était non seulement apaisée, mais il avait eu une grande prise de conscience. Il répliqua alors avec émotion : « Si nous gouvernons les affaires d'État en fonction des avis de Zhong Lichun, notre pays ne sera plus en péril. » Zhong Lichun a été non seulement retenue par le roi, mais est même devenue sa reine.
Avec l'aide de Zhong Lichun, les affaires liées à la gouverne de l'État se sont considérablement améliorées. Le roi Xuan confia au stratège Sun Bin et au général Tian Ji le mandat de reprendre une dizaine de villes. Dès lors, le royaume de Qi devint un pays puissant qui pouvait rivaliser avec celui de Qin (221-206 av.J.-C.). Zhong Lichun avait non seulement des capacités politiques remarquables, mais encore était un expert militaire éminent.
D'après des documents historiques, le roi Xuan entretenait beaucoup de belles concubines à la cour. En réalité, son lien avec la pauvre Zhong Lichun n'était qu'un mariage politique. Xia Yinchun était une jolie concubine adorée par le roi Xuan et une chanson circulait au sein de la population à cet effet : « Si le roi a des problèmes à résoudre, il pense à son laideron Zhong Lichun ; si le roi est libre, à sa jolie concubine Xia Yingchun ». Dans l'histoire, on peut rendre justice à Zhong Lichun qui laissa son nom à la postérité.
Zhong Lichun n'était pas la seule...
Au cours du dernier millénaire, la Chine a vu naître à tour de rôle quatre belles femmes renommées dans l'histoire (Xi Shi, Wang Zhaojun, Diao Chan et Yang Yuhuan) et quatre laiderons tout aussi renommées (Zhong Lichun, Mo Wu, Meng Guang et Ruan Nü).
Depuis l'Antiquité, le peuple chinois désapprouve le fait de juger les gens d'après leur apparence. En parlant d'une beauté, la combinaison de la moralité et de la belle apparence semble être la condition principale et la plus pérenne. Nées à différentes époques, les quatre laiderons renommées avaient une origine et un statut social différents. Cependant, elles partageaient des caractéristiques communes : richesse intérieure, talents, sagesse et vertu.
Née durant la Haute Antiquité, la légendaire Mo Wu est habituellement mise au premier rang des laiderons chinoises de l'époque. Cette femme était non seulement très laide, mais son apparence était bizarre aussi. Cependant, elle avait une moralité irréprochable, donnait toujours l'exemple, surtout grâce à son intelligence et à sa sagesse hors du commun. Toutes ces qualités suscitèrent l'admiration de l'empereur Jaune, un des fondateurs de la nation chinoise, qui épousa Mo Wu par la suite. Pour ne pas tromper les attentes de son mari, Mo Wu éduqua non seulement les femmes de sa tribu dans le respect de la moralité, mais encore aida l'empereur à vaincre Yandi, chef d'une autre tribu, réalisant ainsi un brillant exploit dans l'évolution sociale de la nation chinoise. Depuis des millénaires, on n'a pas dissimulé sa laideur et on a valorisé son brillant exploit historique pour la nation chinoise. En tant que femme de haute moralité et épouse de l'empereur Jaune, Mo Wu est vraiment une des femmes représentatives et méritoires.
En réalité, les laiderons de l'Antiquité dont l'histoire s'est transmise de génération en génération étaient des femmes ordinaires de la société. Toutes ces femmes ont aussi acquis amour et vie heureuse en s'appuyant sur leurs mains travailleuses, leur sagesse et leur haute moralité.
Les laiderons de haute moralité
Sous la dynastie des Han de l'Est (25-220), Liang Hong, un pauvre lettré, avait été très assidu à ses études et était considéré comme un savant renommé, alors qu'à cette même période, bon nombre de familles riches s'alliaient par mariage les unes aux autres. Cet homme avait une grande droiture de cœur et méprisait les gens influents et les flatteries. Après avoir refusé bien des propositions, il avait jeté son dévolu sur Meng Guang, une jeune femme laide de son voisinage. Meng Guang, vêtue de neuf, entra chez lui après leur cérémonie de mariage, mais Liang Hong ne s'occupa pas d'elle durant une semaine. Le huitième jour, après avoir enlevé son maquillage et son costume de mariage, Meng Guang reprit les travaux ménagers. Liang Hong lui déclara alors avec contentement : « C'est bon ! Ainsi, tu es ma femme idéale ! » Plus tard, Liang Hong ayant écrit un poème qui avait offensé des gens influents, il dut quitter sa famille et mener une vie errante et misérable loin de son pays. Sa femme l'accompagna sans récriminer. Chaque jour, elle lui préparait des plats et les lui servait sur un plateau. C'est ainsi que l'affection et le respect de Meng Guang permirent à ce couple de passer une vie harmonieuse.
L'intelligence de Ruan Nü surpassait celle des autres, mais malheureusement, elle n'avait pas une belle apparence. Après la cérémonie de mariage, Xu Yun, son mari, voulut partir discrètement. Ruan Nü tira aussitôt son mari par le bras. Celui-ci s'arracha des bras de sa femme en disant : « La femme doit rester vertueuse dans sa conduite, ses paroles, son maintien et son travail. À quelle exigence réponds-tu ? » Ruan Nü répliqua : « Je ne manque que d'un bon maintien. Mais les lettrés doivent aussi connaître cent métiers ; corresponds-tu à cela ? » Ruan Nü répondit : « Complètement. » Xu Yun rétorqua alors : « La moralité occupe la première place des cent métiers ; tu es sensuelle tu n'as donc pas raison de dire que tu corresponds complètement. » Ruan Nü ne pouvait plus rien ajouter. Après avoir vécu ensemble, Xu Yun réalisa que sa femme avait de grandes qualités morales et qu'elle était dotée d'un courage et d'une sagesse exceptionnels. Dès lors, il éprouva une sincère affection pour elle et le couple mena une vie heureuse.
Les laiderons des milieux philosophiques
Hormis les quatre laiderons de l'Antiquité, certaines autres ont connu une grande réputation depuis plus de 2 000 ans.
Zhuang Zhou, philosophe taoïste du IVe siècle avant Jésus-Christ, est l'auteur d'une partie du Classique du maître transcendant de Nanhua. Ce philosophe, qui s'est bercé des illusions du monde et vivait dans une société contradictoire, a campé une célèbre laideron de l'Antiquité : Dong Shi.
Dans l'ouvrage attribué à Zhuang Zhou, une histoire connue de tous raconte les actions de Xi Shi, une beauté de l'Antiquité connue dans le royaume de Yue, à l'époque des Printemps et Automnes (770-480 av. J.-C.). Ayant mal au cœur, Xi Shi marchait en touchant souvent sa poitrine et en fronçant ses sourcils. Dong Shi, une laideron du même village, imitait souvent cet exemple. Les villageois se dépêchaient alors de fermer leur porte ou l'évitaient en amenant leur enfant. Zhuang Zhou estima que Dong Shi ne connaissait que son apparence.
En réalité, l'idée directrice de Zhuang Zhou ne concernait pas la beauté ou la laideur de ces femmes ; en fonction de la doctrine confucianiste, il fit des critiques sur les rites et les principes du droit des Zhou. Il estima que ces rites et principes doivent changer en fonction du temps. Si on les applique mécaniquement, c'est comme faire du canotage sur la terre ou comme si l'on aidait un singe à porter un ancien habit de cérémonie des Zhou. L'histoire du laideron Dong Shi qui imitait ce que faisait Xi Shi est l'un des trois arguments apportés par Zhuang Zhou.
À son avis, l'apparence du laideron Dong Shi n'est pas la sienne propre, mais elle correspond plutôt à celle de son imitation maladroite.
Dans son ouvrage Zhuangzi, Zhuang Zhou écrit : « Mao Qiang et Li Ji étaient deux beautés de l'Antiquité. Pourtant, elles faisaient peur aux poissons, aux oiseaux et aux cerfs ; tous ces animaux ne comprenaient pas à quel point elles étaient belles.
D'après son point de vue philosophique, la nature de l'univers est relative. Il n'existe pas de différence absolue car le jugement est subjectif. De l'avis de Zhuang Zhou, la beauté et la laideur n'ont ni différence qualitative, ni limite sérieuse, ni même un standard distinctif.
Avec le temps qui passe, on oublie graduellement la doctrine de Zhong Lijun sur la gouvernance d'un pays. Dong Shi imitant le froncement de sourcils de la belle Xi Shi et se rendant ainsi plus laide est une histoire qui s'est transmise de génération en génération.
Il y a plus de 2 000 ans, Confucius a dit : « La richesse intérieure constitue la beauté ». Quelle ressemblance frappante avec le point de vue esthétique moderne ! Se conduire avec grâce a plus de valeur qu'un maintien gracieux . En matière de beauté, certains atouts féminins ont été déclassés au fil du temps. La vraie beauté éternelle n'est pas un élément lié seulement à la vue, car la source des connaissances réside dans l'ensemble des sensations reçues du monde extérieur par tous les sens.
Huo Jianying