Conte des deux fées
Il était un état en dehors du temps, un pays où se trouvait des montagnes hautes, extraordinairement hautes, à tel point que du sommet de la plus haute, on pouvait se croire dans le ciel tant on avait l'illusion d'en être prêt. Cet endroit particulier se nommait le Palais de Brocart ! Qu'avait-il de si étonnant ce palais pour que beaucoup de monde encore actuellement ne l'oublie pas ? C'était un édifice tout de blanc vêtu qui offrait ses nombreuses pièces et dépendances à deux charmantes personnes, deux petites chinoises : les Fées Célestes...
Que faisaient-elles ainsi en ce lieu si peu fréquenté, en cet espace si froid enveloppé de neiges éternelles ? Elles appartenaient à une famille noble qui avait été obligé de les laisser à l'Empereur du Ciel afin de racheter leurs multiples fautes. Elles étaient arrivées un jour en cette forteresse du bout du monde et leur Maître leur avait adjoint un travail assez fatiguant en soi : celui de tisser à jamais les nuages qui parcourent à l'envi le ciel du monde. Pour accomplir cette tache, elles devaient se tenir au plus près de cette atmosphère ouateuse et attraper les fils pour en effectuer de beaux ouvrages cotonneux et doux.
Mais ces deux petites poupées, ces filles du Soleil Levant sont-elles heureuses au moins en ce lieu assez sinistre ma foi ? Car outre la solitude, le froid et les vents étaient leur quotidien. Les hurlements des souffles divins se déchaînaient autour d'elles et ne leur donnaient pas de répit, un repos pourtant bien mérité. Tout au long des jours et des nuits, elles se recroquevillaient ensemble pour ne pas devenir folles des cris hululants dans tous les coins de la maison-forteresse. Elles étaient assises l'une contre l'autre et tissaient, entrecroisant sans cesse les fils ténus puis tendus pour pratiquer de la belle ouvrage.
Seulement, un jour, lasses de toujours accomplir le même labeur (commande céleste de huit nuages, toujours identiques, l'un sous forme d'une enclume et d'un marteau et les autres bien moutonneux tout alentour), elles décidèrent de se sauver, de s'enfuir par-delà les vallons et ravins aux profondeurs insondables. Il faut bien croire que chaque jour faire les mêmes gestes, boire le même nectar, se retrouver avec les mêmes serviteurs, être dans la même grande solitude que le temps passant, cela puisse les agaçer prodigieusement. Elles possédaient pourtant tout ce qui leur était indispensable et même superflu : vêtements éclatants de belles couleurs vives et pastels, bonne nourriture diététique afin qu'elles gardent une ligne de sylfide pour se sentir mieux en leur tissage, musique sereine aux instruments 'fluidiques' offrant des sons harmonieux...
Pour ce faire, il leur était facile de saisir le bon moment, l'instant propice pour fomenter leur révolte... Lors de l'anniversaire de leur Maître, l'illustrissime Empereur du Ciel, lui et tous ceux qui le servaient, envahissaient les salles impériales et buvaient tout à loisir : elles savaient que ce serait à cette occasion-là qu'elles partiraient, faisant ainsi faux bond à leur charmante compagnie. Ce jour fatidique arriva et tout se déroula au mieux pour nos deux petites demoiselles si laborieuses et bien malines. Elles eurent l'extrême patience d'attendre que tous soient dans un état second, tant ils avaient forcés sur la boisson et se faufilèrent vers la fameuse Porte du Sud, porte de leur délivrance gardée par des soudards bien emméchés, accès direct aux routes terrestres.
Dès que nos deux petites Fées Célestes furent au-dehors, elles respirèrent enfin : le souffle de la liberté les environnait : le rouge se mit à leurs joues, le rire pour la première fois surgit de leurs lèvres, les surprenant toutes deux : elles revivaient enfn ! Pour leur donner plus de chance en leur fuite éperdue, elles décidèrent de se séparer. L'une irait vers le Sud et l'autre au Nord, se donnant comme ligne de conduite, celle d'assister les autres. Après s'être embrassées très fort, toutes deux bien fortement émues, elles prirent deux chemins, ceux de leur Destinée. Chemin faisant, elles rencontrèrent deux très vieilles femmes sur leur route, l'une du Sud et l'autre du Nord.
Séparées mais toujours formidablement en contact émotionnel, elles aidèrent et assistèrent du mieux qu'elles pouvaient ces deux personnes. Ces dernières, très usées par leur vie et solitaires les remercièrent pour leur secours bienvenus. Le teint diaphane, presque transparent des deux petites fées disparut pour devenir 'vivant' rose comme la fleur de lotus au milieu des eaux. Sur la Terre, elles se plaisaient beaucoup car elles diversifiaient leur travail, mais le temps déroulait bien plus vite son tapis d'heures, de jours, de semaines, de mois, d'années que sous la voûte dite 'céleste' ! Cent ans sur Terre équivalait à sept jours au Ciel... Seulement voilà, les festivités finies au bout d'une bonne semaine, leur Maître, l'Empereur du Ciel, se rendit compte de leur départ et se mit à les chercher : elles étaient introuvables !
Il eut beau tempêter, gronder, hurler : rien n'y fit ! Pourtant, il lui fallait d'urgence un nuage d'orage ! Cela faisait longtemps qu'il n'avait plu et il était dans l'obligation de tenir un certain équilibre terrestre. A force de chercher, des serviteurs un peu plus zélés que les autres revinrent lui dire qu'elles s'étaient sauvées par la Porte du Sud, rester grande ouverte. L'Empereur du Ciel quand il apprit la nouvelle entra dans une colère abominable, lui si calme d'habitude devint terrible et lâcha une phrase sèche et dure de ses lèvres au langage fleuri : 'si elles ne reviennent pas sous les deux prochains jours, la Terre entrera dans une sècheresse de presque cent années !'
Du Ciel descendirent alors des messagers impériaux, sortes d'anges casqués et retrouvèrent en bien peu de temps les deux petites Fées Célestes vieillies. Malgré leurs refus premiers, elles furent contraintes à revenir auprès de cet Empereur si puissant ; têtes basses, elles reprirent la voie inverse, le coeur brisé de quitter cette Terre si belle. Avant de repasser la Porte du Sud qui pour elles incarnait une porte de prison maintenant, elles demandèrent une dernière faveur, celle de regarder une ultime fois derrière elles ! Cela leur fut accordé et elles prirent dans leurs vastes manches leurs seuls objets de valeur : deux miroirs ! Elles les jettèrent, ces miroirs de bois face à elles dans le plus profond des ravins qui 'n'avait pas de fond'... De ce geste, elles voulaient sauvegarder une certaine image de ce territoire si naturellement beau et majestueux...
Les miroirs descendirent alors en scintillant, émettant de petits cris stridents, telles des âmes tourmentées et mélancoliques, tournoyèrent un instant qui sembla durer une éternité pour finalement se transformer en deux immenses lacs de montagne, lacs enchantés qui offrent des eaux limpides et reflétantes... jusque tout en haut de ce palais blanc qui les garderait prisonnières. Elles eurent ainsi à jamais les reflets merveilleux de la terre, de ses montagnes, de ses forêts, de ses arbres, de cette vie si paisible et charmante qui leur manquait tant... Tels deux miroirs, elles eurent leurs peines infinies soulagées de moitié et se plurent à venir les contempler quand pour elles le temps se montrait insupportablement long... en ce palais si lisse... trop calme... à leur goût !
Depuis ce temps, elles regardent en bas ce monde, si entier, si complexe mais si magnifiquement à leur image ! Toutes en douceur, en une éternelle éternité, elles continuent d'aimer, d'apprécier cette terre d'en bas... tout en tissant jour après jour les nuages si molletonneux, courant dans le ciel d'azur ! A chaque fois que vous regardez un nuage, faites un voeu d'amour et d'amitié, cela les rendra heureuses de n'être point oubliées, elles qui aiment tant notre vie... recluses mais contentes de leur oeuvre qui n'a jamais été que de l'altruisme ! Les deux lacs sont visibles l'un en Chine (le grand lac occidental) et l'autre vers Hanoï... Leurs âmes immortelles parfois les hantent telles deux Fées Célestes résolument ... Terrestres ! Aimons-nous comme elles nous aiment... entièrement !
Aylcée