Longwang, les rois Dragons
A travers la Chine tout entière, c'est à des êtres mytologique que l'on s'adressait pour obtenir la pluie : aux dragons, monstres au corps recouvert d'écailles, avec quatre pattes, qui sont capables de s'élever jusqu'au ciel et de marcher sur les nuages, et qui produisent la pluie. Dans le centre et dans le sud, on fait ordinairement une grande procession : un dragon, fait d'une carcasse de bois recouverte de papier ou d'étoffe, est porté par des hommes ou des jeunes gens, qui s'avancent en dansant, à la suite d'un enfant dansant à reculons qui porte la perle du dragon ; ou bien un dragon en terre est porté sur un brancard autour duquel dansent des jeunes gens ; quelquefois, c'est seulement un drapeau sur lequel est figuré un dragon, qu'on porte derrière des drapeaux de toute sorte avec des inscriptions pour demander la pluie, et un porteur d'eau suit qui trempe de temps en temps une branche de saule dans un de ses seaux et asperge la rue et les passants en criant : « Voilà la pluie qui vient ! » Au Sichuan, il y a une procession analogue, mais c'est le dragon qui est arrosé d'eau : chaque maison a préparé un baquet devant sa porte, et les enfants l'aspergent quand il passe. Danses et processions de dragons sont des cérémonies très anciennes pour obtenir la pluie. Déjà, au temps de Confucius, les habitants du pays de Lu, sa patrie, mimaient au quatrième mois de l'année le dragon qui sort de la rivière ; pour cela, deux troupes de six à sept hommes, l'une d'adultes, l'autre d'adolescents, faisaient une danse cérémonielle au milieu du courant de la rivière Yi, qu'ils passaient à gué, puis sortaient de la rivière pour aller chanter sur l'autel de la pluie. Dans d'autres endroits, au IIIe siècle A. C., on faisait l'image d'un dragon ailé pour écarter la sécheresse.
Dans les croyances actuelles, fortement teintées d'idées bouddhiques, les dragons forment un peuple immense que gouverne le Roi-Dragon, Longwang 龙王. Ils ont le corps écailleux aux quatre pattes armées de griffes ; leur tête est surmontée de cornes, et le milieu de leur crâne forme une sorte de bosse en forme de montagne ; ils ont la faculté de monter au ciel ainsi que de plonger dans les eaux, celle de grandir et rapetisser leur corps à volonté. Comme les nâga du folklore hindou, auxquels, dès les premiers temps de la prédication du Bouddhisme, missionnaires et fidèles les ont assimilés, ils possèdent une perle merveilleuse que les représentations figurées manquent rarement de placer devant eux sous la forme d'une grosse boule ; lorsque, comme il est fréquent, on les représente par couple s'affrontant, la perle est posée entre les deux têtes qui se font face. Ils ont aussi emprunté des nâga le pouvoir de prendre la forme humaine quand ils le veulent, et ils en profitent pour aller se promener au milieu des hommes, le plus souvent pour épouser ou enlever des jeunes filles.
Leur souverain, le Roi-Dragon, est énorme : il a un li (environ 500 mètres) de long. On le vit bien quand le Premier Empereur de Qin, sur les conseils de ses magiciens, étant parti lui-même sur la mer à la recherche des Iles des Immortels, que ses envoyés avaient vues sans pouvoir les atteindre, essaya d'effrayer le Roi-Dragon en faisant battre le tambour sur ses vaisseaux par les soldats ; le bruit attira le Roi-Dragon, qui apparut à la surface des flots, long de 500 pieds ; l'Empereur le fit cribler de flèches, en sorte que son sang rougit l'Océan tout entier. Mais, la nuit suivante, il rêva qu'il luttait avec le Roi-Dragon et était vaincu ; le lendemain, il tomba malade et il mourut sept jours après.
Mais il est bien rare qu'on figure les rois dragons autrement que sous forme humaine : c'est celle que, dans les légendes, ils préfèrent ordinairement, et ce n'est que lorsqu'ils sont tués ou vaincus qu'ils reprennent leur aspect monstrueux. Il semble que ce soit le théâtre qui ait eu la plus grande part à la création du type habituel des images populaires : gros, avec une longue barbe, de fortes moustaches et d'énormes sourcils, le visage recouvert d'une peinture multicolore, formant des taches ou des raies au milieu desquelles toute figure humaine disparaît. Ses statues lui donnent simplement l'aspect de gros mandarins barbus, confortablement assis, et c'est surtout par les devises et les inscriptions qu'ils se distinguent de nombreuses autres divinités de type iconographique analogue.
Les livres bouddhiques traduits en chinois comptaient les uns huit, les autres dix rois dragons (nâga). Mais, du moment où, pour les Chinois, les rois dragons furent devenus les rois des mers, leur nombre devait être fixé à quatre, car pour eux la terre est entourée de Quatre Mers, une sur chaque face, à chacun des points cardinaux, et ces Quatre Mers l'entourent d'une ceinture continue comme le Fleuve Océan de la mytho¬logie homérique. C'est ce système du folklore populaire qu'ont adopté les Taoïstes ; ils ont quatre rois dragons pour les Quatre Mers : le Roi-Dragon qui Élargit la Vertu, Guangde, pour la Mer Orientale ; celui qui Élargit le Bien, Guangli, pour la Mer du Sud ; celui qui Élargit la Faveur, Guangrun, pour la Mer Occidentale ; celui qui Élargit la Générosité, Guangze, pour la Mer Septentrionale. Mais ces noms ne sont guère plus connus dans le peuple que ceux des dix Nâgarâja bouddhistes. Les seuls noms vraiment populaires sont ceux qui leur ont été donnés dans le roman du Voyage en Occident (Le Singe Pèlerin, Xiyouji) et qui, bien qu'apparentés aux noms taoïstes, en sont assez différents. Les rois dragons sont des frères et ont le même nom de famille, Ao. On les appelle Ao Guang (Mer Orientale), Ao Qin (Mer du Sud), Ao Run (Mer Occidentale), Ao Shun (Mer Septentrionale). Ils gouvernent chacun une des Quatre Mers, celui de la Mer Orientale étant le chef des trois autres, sous les ordres de l'Auguste de Jade, à qui ils doivent aller rendre hommage, comme tous les dieux, une fois par an. C'est au troi¬sième mois qu'ils montent à la Cour Céleste, et c'est pourquoi le troisième mois est un mois de grandes pluies.
Les grands rois dragons ne tiennent guère de place dans la religion populaire chinoise. Tout au plus les dragons locaux, chacun dans son lac ou son fleuve ou son tourbillon, en ont ils parfois un peu davantage dans leur district. Ce ne sont pas ces créations mythologiques qui intéressent les paysans chinois, c'est l'animal doué de puissance surnaturelle qui vit dans l'eau, mais est capable de s'élever au ciel en amoncelant les nuages ; c'est le dragon faiseur de pluie.