Cathay
Le terme "Cathay" ou "Catai" représente l'ancienne dénomination de la Chine mongole dans les régions d'Asie centrale et d'Europe. L'emploi du mot est rendu célèbre dans l'Ouest par l'explorateur Marco Polo. Celui-ci regroupa dans un ensemble nominal le royaume de Kubilai Khan qui parut dans le Livre des Merveilles. En réalité, l'on se trouve face à une interprétation du terme "Kitai" ou "Khitans", en tant qu'appellation d'un peuple à l'origine d'un État doté d'une réelle puissance au sein de la Chine du Nord, et ceci au cours des Xe et XIIe siècles. C'est la raison pour laquelle bon nombre d'occidentaux avaient longtemps considéré que le concept du Cathay et de la Chine n'évoquaient pas la même réalité.
Les désignations de la Chine
Les perspectives d'une appellation générique des domaines de la "plaine du centre", répertoriés à proximité du fameux Fleuve Jaune, relèvent de préoccupations très anciennes. En effet, les périodes favorables à l'union sous la bannière d'une dynastie impériale unique et omnipotente étaient le plus souvent pouvaient être rompues par de longues ères d'affrontements entre plusieurs royaumes rivaux, sans que nul ne s'impose en tant que plénipotentiaire légal de la majorité.
Actuellement, la population de la Chine surnomme le pays "Zhōngguó", ce qui signifie "pays du milieu" ou "Empire du Milieu". Cette élocution sert alors à renvoyer antérieurement à l'enseigne politique, géographique et culturelle qui se perpétue voilà 3 000 ans aux alentours du fleuve Jaune. Néanmoins, le poids culturel du terme dans le "Zhongguo lishi" ou l'histoire de la Chine telle qu'évoquée par les historiens actuels, n'adopte que des caractéristiques récentes dans la mesure où pendant des siècles, les chercheurs s'étaient bornés à énumérer les diverses dynasties officielles sans apporter de réponse convaincante au problème d'universalité de l'appellation, laquelle prévaudrait pour tous et à toutes les époques. Le mot Zhonguo a toutefois été employé à quelques reprises pour mettre en avant un royaume qui aspirait à une certaine centralisation par rapport à ses contemporains. Cela n'empêche pas que seule l'époque moderne assiste à une véritable popularisation de la notion qui s'impose désormais au titre de terme générique. Quand venait le temps où l'empereur parvenait à rassembler la région suite à une période de division, il était gratifié d'un mandat du Ciel qui lui octroyait le droit d'asseoir son autorité sur la quasi-totalité du "monde civilisé sous le Ciel" ou "tianxia". De cette façon, il, formait "un îlot civilisé au milieu des barbares", une formule énoncée par Henri Maspéro en 1965. Les Européens n'ont aucunement ressenti l'intérêt d'un emprunt du terme de "Zhongguo " à la Chine. Inversement, les Chinois n'ont jamais eu recours à la locution assimilée à la Chine pour évoquer leur nation.
Tout au long de l'histoire, toute information, aussi infime soit-elle, reçue des Européens concernant les contrées d'Extrême-Orient fut intégrée dans les principales voies de commerce. Ce qui permit de façonner l'image et le nom de ces nations éloignées. A cet effet, l'on recense trois dénominations qui ont été très souvent utilisées :
- quelques Romains du premier siècle, notamment Pline l'Ancien et Sénèque, étaient familiers avec cette partie du monde en raison des échanges commerciaux où cours desquels ils rapportaient de la soie. C'est ainsi qu'ils eurent l'idée de l'appeler le "pays des Sères" ou plutôt "Sericas".
- durant le Moyen Âge, les échanges par voie terrestre du Nord, en passant par la Mongolie pour arriver dans la zone où se regroupe la population Khitan ou Kitai, se multiplient. Après leur expulsion de la Chine, les Kitai se dirigent jusqu'à la vallée du Ferghana et se heurtent à l'hégémonie musulmane des Seldjoukides. Les pionniers musulmans les discernent alors sous le patronyme de Khitā et transformeront l'appellation en "Cathay" auprès des Européens.
- Dès le XVIe siècle, le contact prend forme sur les routes maritimes du Sud et s'étend aux côtes méridionales de Canton, de Macao et de l'actuel Fujian. C'est grâce au navigateur portugais Jorge Álvares qu'apparaît le terme "China" lorsqu'il parvient au delta de la rivière des Perles en 1513. Le terme est issu des peuples d'Asie du Sud-est, ou Cina en malais moderne. Après lui, plusieurs navigateurs et missionnaires venus d'Europe entèrent dans le pays puis le nommèrent "Sinae" en latin ou "Cina" en italien et "Chine" en français. A l'heure actuelle, il n'est pas encore possible de déterminer les véritables origines de ce terme même si pendant trois siècles et demi de nombreux débats sur la question ont opposé l'avis des sinologues. Selon Wade en 2009, "Les premiers sinologues occidentaux avaient atteint ce que l'on pourrait appeler un consensus suivant lequel le terme venait du nom de l'empire Qin, quelques savants chinois et indiens pensent que le nom de l'État Jing est un candidat plus probable, tandis qu'au moins un spécialiste de l'histoire chinoise pense que ce sont des origines peu probables". En effet, l'auteur a lui-même choisi de retenir le nom d'un État du sud, "ʐina", un autonyme pour les peuples Lolo/Yi.
Khitans et Cathay
Les Khitans constituaient un peuple d'éleveurs nomades situés dans le bassin de la Siramuren, dans la Mandchourie méridionale qui est l'actuel Liaoning. Cette tribu est classée parmi les protomongols et créa au Xe siècle un État puissant surnommé "Liao". Le royaume regroupait la Mandchourie et la Corée ainsi que les Tianshan à l'ouest. Ces Liao étaient réputés pour posséder un pouvoir politique important car ils avaient pour vassaux les Song au sud, avant d'établir des liens avec le grand empire des Abbâssides.
Les contacts qui se mettent en place par la suite, bien avant l'ascension mongole, s'étendant dans toute la zone des steppes, sont sans nul doute à la base de l'explication du nom de Kitan. Celui-ci est officialisé au XIIIe et XIVe siècles par les Mongols et prend la forme de "Kitai" ou "Khitai", l'appellation de la Chine en persan, en turc occidental et dans les dialectes slaves de l'Est. Il est de notoriété que le terme est venu à l'idée des Européens alors qu'ils visitaient l'empire mongol d'Asie Orientale. Selon Marco Polo toutefois, seule la Chine du Nord est le Cathay.
La force des Khitans se désagrège au XIIe siècle. Expulsés du nord de la Chine, ils vagabondent sur les terres d'Asie Centrale avec pour dirigeant le prince Yelü Dashi. Par ailleurs, nombreux sont ceux qui empruntent la riche vallée de la Ferghana où ils combattent et corrigent la principale puissance musulmane de l'époque, les Seldjoukides. Cet échec musulman a une retombée énorme. Le Prince Yelü Dashi décide alors de fonder la dynastie des Liao occidental, plus connue sous l'appellation de "Khitans Noirs" ou "Kara-Khitans", laquelle perpétuera jusqu'à la venue des Mongols durant l'année 1218.
Au XVIe siècle, les cartes du monde faites par les Européens illustrent la nouvelle configuration de la planète, conformément aux périples et descriptions obtenus des navigateurs dont Christophe Colomb ou Ferdinand Magellan. Néanmoins, pour indiquer l'intérieur des terres, les cartographes de l'époque avaient pour habitude de recourir au contenu des récits anciens de voyageurs terrestres.
Les cartes du monde
Les cartes du monde réalisées par Abraham Ortelius étaient toutes basées sur les principes de projection de Mercator. Ces préceptes ont l'avantage de ne pas altérer les angles et peignent assez bien les diverses parties du monde, dans un souci de maintien des formes et des dimensions d'origine. Toutefois, ils continuent d'englober de très vieux renseignements donnés par Marco Polo. Dans l'Asie Orientale, l'on retrouve au sud l'appellation de "China" qui est limitée au nord-ouest par la dénomination de "Cataio" et un peu plus au nord "Tartaria" et "Mangi". L'Italien Verrazzano retient également dans son planisphère de 1529 que Cathay et la Chine représentent deux nations distinctes. Par ailleurs, Jean Guérard réalise lui aussi une "carte universelle hydrographique" qui présente la Chine comme séparée de "Cathaya" au niveau de la Grande Muraille.
La survenue des missionnaires jésuites dans la Chine permettra de mettre à jour les précédentes dénominations qui consignaient des subdivisions territoriales non valides depuis trois siècles. En effet, la dynastie Ming par exemple, avait réintégré l'empire.
Parmi les premiers missionnaires jésuites à entrer sur le territoire de la Chine pour y apprendre la langue de Confucius, l'on retrouve Matteo Ricci. Arrivé à Macao en 1582, il réussi à gagner la confiance des mandarins et obtient une invitation à la cour impériale de Pékin en 1601. Grâce à sa démarche, il constatera de visu que Pékin est la Qanbaliq telle que décrite par Marco Polo. Il évoquera notamment : "Si le Cathay était vraiment un grand et puissant pays situé à l'est de la Perse, comme on le croyait en Europe, comment était-il possible que, pendant toutes ces années passées en Chine, il n'est jamais entendu un Chinois le mentionner?" Le désordre occasionné par les divers noms mongols, chinois puis portugais qui servaient à désigner la Chine et Pékin, avait incité les cosmographes à jumeler deux pays en un seul. Mais le concept est mal perçu par les Jésuites d'Inde qui décident d'envoyer le Frère Bento de Gois à la quête de "Cathay", ceci en empruntant la route de la soie. Après un voyage qui a duré plus de trois ans, en passant par Kaboul et le Tourfan, il descend finalement à Suzhou, en "Chine", où il entre en relation avec Matteo Ricci.
Les deux appellations n'ont donc plus de raison d'être. Dans un temps où s'opposaient les Mongols de la dynastie Yuan au nord, aux Han de la dynastie Song du Sud, il n'était plus envisageable que demeure cette dualité dans un seul empire, avec à sa tête la dynastie Ming. Etrangement, ces mêmes envahisseurs mongols occuperont par la suite les représentants légitimes de la Chine sur le plan universel.
La dénomination à laquelle ont recours les découvreurs de la route maritime du sud, et donc la Chine, sera longtemps retenue dans les langues d'Europe. Par exemple, via la route terrestre du nord, ou à Cathay, elle sera maintenue dans les dialectes slaves orientaux, en tant que terme générique qui fait référence à la tumultueuse histoire de la région.
Actualisation
Les dynasties Ming et Qing mirent un terme à la division de l'Empire du Milieu. Toutefois, ce ne sera qu'au milieu du XVIIe siècle que les cartes des occidentaux en montreront une illustration unifiée. Martino Martini , jésuite italien décédé à Hangzhou en 1661, réalise des cartes de la Chine admirablement distinctes pour son époque, en se référant à des résurgences chinoises et occidentales, en accord avec un procédé jadis inventé par Matteo Ricci. Publié en 1655, le Novus Atlas Sinensis représente le tout premier atlas occidental de la Chine à présenter nettement les multiples provinces de Chine assemblée, sans faire mention d'aucune marque de la division nord-sud que Cathay avait vécu.
Partant de la création de la dynastie Qin en l'an 221 avant notre période jusqu'à l'époque contemporaine, la zone de peuplement Han en Asie Orientale a rencontré des phases d'unification innombrables suivies de ruptures en royaumes rivaux. C'est donc un récit très agité fait d'envahissements par les blocs du nord et de l'ouest, suivi d'un vaste remous d'échanges humains, commerciaux et culturels. A travers ces méandres est sortie une des plus grandes civilisations du monde, qui sera qualifiée en tant que la "Chine" dans les expressions européennes, de "Cathay" dans les dialectes slaves orientaux et que les autochtones affirment être celle de "Zhōngguó"
Les appellations définitives des choses demeurent ardues à modifier. En effet, les référents ont tendance à changer à grande vitesse sans que le même mouvement affecte les dénominations. Les permutations lexicales sur les patronymes de l'Empire du Milieu ne peuvent s'être produites en Europe ou en Russie que très longtemps après les mutations politiques, dans la mesure où des barrières linguistiques persistent.