06/11/2009 à 12:17 - Kubin ne démontre pas grand-chose
Le reproche que je ferais à W. Kubin, c'est qu'il ne démontre pas grand-chose ! En quoi ne pas « parler un mot d'anglais » est-il synonyme d'inculture ? Irait-on reprocher aux romanciers allemands ou américains d'ignorer Le Rêve dans le pavillon rouge ou Le Roman du bord de l'eau ? Comment peut-on dire à la fois que « le romancier [chinois] contemporain type [...] n'a pas la moindre connaissance de la littérature étrangère » et en même temps qu'il plagie Jack London ou Jonathan Swift ?
Le peu que je connaisse de la littérature chinoise, entre autres Mo Yan, dont parle ici Michelem, montre au contraire que cette littérature se nourrit d'une réelle connaissance du roman français par exemple. Toute la première partie de Beaux seins, belles fesses est à l'évidence inspirée de La Terre d'Emile Zola (sans en être le plagiat). Et n'allons pas croire que Zola soit un romancier en odeur de sainteté en Chine communiste ! Bien au contraire ! J'ai rencontré un traducteur de Zola en 1989 : Le Rêve, une bluette sentimentale ou Au bonheur des Dames étaient traduits en chinois mais Germinal et L'Assommoir, les romans ouvriers de Zola et La Terre, son roman paysan, irréductibles à la vulgate du réalisme socialiste, restaient au purgatoire : lire Zola, Hugo, Dostoïevski ou Balzac, pendant la révolution culturelle, pouvait conduire au laogaï (cf. Vents amers, d'Harry Wu). Prendre modèle sur ces auteurs au lieu de se plier « à la conception de romans réellement contemporains, c'est-à-dire postmodernes », n'est donc pas aussi conformiste que l'on pourrait croire ! Kubin me semble donc avoir une conception insupportablement normative de la littérature...
L'idée que la littérature chinoise soit insuffisamment critique avec le régime ou l'idéologie officielle me semble plus intéressante ; c'est l'une des restrictions que j'ai formulées personnellement, sur ce forum même, à l'encontre de Brothers qui escamote malheureusement toute l'exploitation sur laquelle se fonde la richesse du héros. Mais doit-on exiger qu'un « auteur [et] sa maison d'édition [soient] ennuyés par le régime » pour reconnaître leur valeur ? On ne peut dire en tout cas que ce livre se réduise à n'être qu'un simple « miroir du présent » ; il me semble au contraire qu'il a une incontestable valeur littéraire, bien que je ne puisse juger de la qualité de sa langue. Dire qu' « aucun romancier actuel n'ose aborder les vrais sujets politiques, comme le Tibet ou la question du communisme » me semble très excessif : je rappelle le formidable roman de Yan Lianke, Le rêve du village des Ding (dûment censuré il est vrai), impitoyable avec toute la hiérarchie politique chinoise et visiblement nourri d'une réelle culture classique...
L'idée selon laquelle « la langue chinoise a été détruite, exactement comme la langue allemande l'avait été entre 1933 et 1945 » me semble elle aussi plus intéressante - et préoccupante -, mais Kubin ne nous explique absolument pas en quoi consiste la production de cette « novlangue » à la chinoise ! Nous n'avons malheureusement pas, pour la plupart d'entre nous, les moyens de juger par nous-mêmes de cet appauvrissement linguistique puisque, ignorant à peu près tout de la langue chinoise (y compris quand nous faisons l'effort de l'apprendre), nous sommes aussi « incultes » que les romanciers chinois vus par Kubin...