Influence de la Chine sur la culture française
Il serait présomptueux de prétendre que la Chine a eu une influence déterminante sur certains aspects de la culture française, tant les civilisations des deux pays s'avèrent différentes. Par ailleurs, au contraire de l'Europe de l'Ouest et des États-Unis, la Chine n'a pas cherché à aller voir plus loin. Quand elle l'a fait dans quelques expéditions maritimes, par exemple celle entreprise sous le commandement de l'amiral Zheng He et qui a atteint les côtes de l'Afrique orientale au XVe siècle, c'était sans prosélytisme.
Et puis, il est difficile de mettre au point une somme exhaustive de ce que la France a dû emprunter peut-être à la Chine à travers les âges. Le mieux est de donner un aperçu de ce que l'on pourrait appeler « La France chinoise », selon la terminologie adoptée par le sinologue Etiemble, et de montrer comment les merveilles de la culture chinoise ont séduit la France à un moment donné de l'histoire et surtout grâce aux missions des jésuites qui ont joué le rôle de trait d'union dans les échanges intellectuels entre l'Orient et l'Occident. Comme le démontre Leibniz, le monde s'offre à l'homme à travers une infinité de points de vue, d'où l'intérêt de cet échange entre les différents peuples qui vivent sous le même soleil.
Les premières impressions
Déjà dans Le Livre des monts et des mers, classique chinois datant du IIIe s. av. J.-C., ont été décrits les premiers contacts des Chinois avec les Échanges des pays lointains . Mille cinq cents ans plus tard, Marco Polo est arrivé à Khanbaliq, l'actuelle Beijing. Il est demeuré plusieurs années à la cour de Kubilay Khan, fils de Gengis, et a fourni les premières précisions sur la Chine. Depuis lors, les Français ont rêvé de ce pays lointain que le voyageur vénitien appelait « Cathay ». Ils se représentaient la Chine comme dans Le Roland amoureux de Matteo Maria Boiardo, qui racontait les amours du chevalier Roland et d'Angélique, princesse de Cathay.
À cette époque, au sujet de la Chine, on pouvait lire encore Les Mémoires du comte de Gramont (1715) d'Antoine de Hamilton, écrivain irlandais d'expression française, qui faisait allusion à la civilisation chinoise, et Les Mémoires de Saint-Simon, dans lesquels il traitait des rites de Confucius. Le Père Philippe Couplet avait publié en 1687 son fameux Traité sur Confucius, orné du portrait du philosophe. Néanmoins, la Chine est restée pendant longtemps, aux yeux des Français, un pays mystérieux qui se trouvait au bout du monde.
Le goût chinois en France
« Allons à cette porcelaine !
Sa beauté m'invite et m'entraîne.
Elle vient du monde nouveau,
L'on ne peut rien voir de plus beau.
Qu'elle a d'attraits, qu'elle est fine !
Elle est native de Chine ! »
chantaient des vers de mirliton sous Louis XIV, roi-Soleil. En effet, la porcelaine chinoise importée par les Compagnies des Indes orientales émerveillait les Français. Autant que de la porcelaine, ils raffolaient du thé. Le moine Janvier a même écrit L'Éloge du thé, affirmant que dans Paris on aimait beaucoup le thé. En outre, les laques et les soieries chinoises envahissaient le pays. À Paris, une douzaine de marchands étaient spécialisés dans la vente des « Lachine ». Les gens riches admiraient l'habillement des Chinois et s'entouraient d'un décor chinois en tapissant leurs maisons de papier peint à la chinoise. On portait de plus en plus d'intérêt au jardin chinois et à l'architecture de l'empire du Milieu.
Mais bien avant cette période, la Chine est sans doute un des pays dont l'action a le plus profondément influencé les comportements humains. Avec la civilisation chinoise transmise en Occident par la route de la Soie, les Français entraient dans un univers fort différent du leur. Ils y déchiffraient la fertilité du génie oriental, la vertu confucéenne et leur pensée s'en trouvait ainsi enrichie. C'est dans ce sens que l'on peut dire que la Chine a contribué à ouvrir l'esprit des Français.
On peut mentionner des découvertes chinoises diffusées en Europe : le papier et l'imprimerie, la poudre à canon, la boussole marine, l'horloge hydromécanique, le gouvernail d'étambot, la brouette, la bricole de poitrail pour l'attelage du cheval, l'étrier, l'alchimie, la technique du fer et de l'acier par cofusion (fonte et fer forgé), sans parler du domaine du magnétisme dans lequel la Chine était très en avance sur l'Occident et du système équatorial des Chinois destiné à mesurer la position des étoiles dans le ciel et que l'astronomie moderne utilise toujours.
Prenons comme exemple la poudre à canon, elle a été transmise en Europe au XIIe siècle, et des franciscains, ayant sillonné les routes de la Chine, ont rapporté à Paris des pétards chinois pour les fêtes religieuses et populaires. Au temps de Louis XIV, les inventions chinoises ont fasciné la France.
Au XVIIIe siècle, Antoine Watteau (1684-1721) s'est mis à la recherche d'une grâce orientale dans les objets d'art chinois. Il s'inspirait de l'art chinois pour orner éventails pliants et paravents. Maître du style alors en vogue, il doit aux Chinois l'irrégularité des lignes, les formes contournées et les teintes monochromes des arrière-plans dans presque toutes ses peintures du château de la Muette. En 1717, il a présenté son morceau de réception à l'Académie : L'Embarquement pour Cythère. Il y a eu recours à la technique de la peinture de la dynastie des Song (960-1279), afin de mieux dépeindre les formes fantastiques des montagnes de l'île d'Aphrodite, pays mythique de l'Amour. Après lui, François Boucher, un autre maître de la peinture rococo qui a d'ailleurs reproduit cent vingt-cinq œuvres de Watteau pour le graveur F. Cars, a créé un univers gracieux, caractérisé par la composition en spirale et les figures ondulantes présentant un aspect irréel, quasi onirique, comme dans la peinture chinoise traditionnelle. On remarque tout particulièrement l'esprit chinois qui l'animait dans une œuvre où un vieux pêcheur est assis devant deux pavillons, avec un enfant tenant une ombrelle au-dessus de lui et, à ses côtés, une femme chinoise regardant couler la rivière d'un air pensif.
L'apport des missions jésuites
Sous le nom de Cathay, la Chine a hanté l'imagination de l'Europe. Le 29 janvier 1552, François Xavier écrivait à Ignace de Loyola : « La Chine est un pays très vaste, pacifique et gouverné par de grandes lois. Il y a un seul roi qui est tout à fait obéi… Si ici, dans l'Inde, il n'y a pas d'empêchement pour m'interdire de partir cette année 1552, j'espère partir pour la Chine afin d'accomplir le plus grand service de notre Dieu, ce qu'on peut faire en Chine aussi bien qu'au Japon. »
François Xavier était un des premiers compagnons de Ignace de Loyala qui avaient prononcé à Montmartre des vœux d'apostolat à la disposition du pape. Envoyé à Goa par la Compagnie de Jésus en 1542, il correspondait avec Ignace, fondateur de la Compagnie. Il est allé au Japon en 1549 à bord d'un bateau chinois, et est mort trois ans après à l'île Shangchuan, au large de Guangzhou, sans avoir abordé au continent chinois dont il rêvait depuis son départ de Paris. Un de ses compagnons de route décrit ainsi la fin de sa course aux portes de la Chine : « Quand je compris que François se mourait, je plaçai une petite chandelle dans sa main… c'était le 3 décembre 1552 : l'aube se levait sur la Chine. »
La curiosité de la Chine n'a fait que s'accentuer. Le jésuite Jean Gerbillon a pris la suite de François Xavier. Il est parvenu à Beijing en 1687. Mathématicien envoyé par Louis XIV, il a rédigé en chinois Le Traité de géométrie, ouvrage important pour la pénétration de la géométrie euclidienne en Chine. Antoine Gaubil, un autre missionnaire français, s'est embarqué pour la Chine en 1721 et y est demeuré jusqu'à sa mort. Pendant trente-six ans, il a traduit nombre de classiques chinois dont Le Chou King, « un des livres sacrés des Chinois » (Paris, 1770) et laissé d'importants travaux savants sur l'empire du Milieu : Traité historique et critique de l'astronomie chinoise, Histoire de Gengis Khan et de toute la dynastie des Mongols et Histoire de la dynastie des Tang, suivie d'un Traité de la chronologie chinoise .
Sur ce chapitre, il faut encore mentionner La Description du Père du Halde, souvent citée comme un jalon de l'esprit des Lumières. Car c'est le jésuite du Halde qui a offert dans son étude géographique, historique et sociale la meilleure image de l'emprise de la Chine en Europe.