Entretien d'André Malraux avec Mao Zedong (1965)
En 1965, André Malraux, éminent romancier français, était Ministre de la culture dans le gouvernement de De Gaulle. Il s'entretient et retranscrit cette année-là un entretien avec Mao Zedong, à la veille de la Révolution Culturelle.
Mao exprime que « Plékhanov et les mencheviks étaient des marxistes, voire des Léninistes. Ils se sont détachés des masses et ont fini par prendre les armes contre les bolcheviks ou, plutôt, ils ont fini par se retrouver en exil ou mort. »
« Maintenant, il y a deux chemins pour tout communiste: celui de la construction socialiste, et celui du révisionnisme. Nous avons dépassé le stade de manger des écorces, mais nous sommes seulement parvenus à un bol de riz par jour. Accepter le révisionnisme c'est se dépouiller du bol de riz. Comme je vous l'ai dit, nous avons réalisé la révolution en collaboration avec les rebelles paysans. Puis nous les avons menés contre les villes gouvernées par le Kuomintang. Mais le successeur du Kuomintang ne fut pas le Parti communiste chinois, aussi important soit-il, ce fut la Nouvelle Démocratie. L'histoire de la Révolution, comme la faiblesse du prolétariat des grandes villes, a contraint les communistes à collaborer avec la petite bourgeoisie. Pour cette même raison, notre révolution, en fin de compte, ne ressemblera pas plus à la Révolution russe, que la Révolution russe n'a ressemblé à la vôtre. Encore aujourd'hui, de larges couches de notre société sont conditionnées de telle manière que leur activité est nécessairement orientée vers le révisionnisme. Elles ne peuvent obtenir ce quelles désir qu'en l'arrachant aux masses populaires. »
Je pense à Staline: « Nous n'avons pas fait la révolution d'Octobre afin de donner le pouvoir aux koulaks! ».
« La corruption, le non-respect de la loi, l'arrogance des intellectuels, le désir de faire honneur à sa famille en devenant un travailleur en col blanc et de ne plus se salir les mains, toutes ces bêtises ne sont que des symptômes. A l'intérieur comme à l'extérieur du parti. Elles sont toutes dues aux conditions historiques elles-mêmes mais également aux conditions politiques. »
Je sais en quoi consiste sa théorie : vous commencez par ne plus tolérer la critique, alors vous abandonnez l'autocritique, ensuite vous vous détachez des masses, et comme le parti ne peut obtenir sa force révolutionnaire que d'eux, vous tolérez la formation d'une nouvelle classe ; finalement, comme Khrouchtchev, vous annoncez la coexistence pacifique, sur une base durable, avec les États-Unis, et les Américains arrivent au Vietnam. Je n'ai pas oublié son vieux dicton : « Soixante-dix pour cent des gens d'ici sont des paysans pauvres, mais leur sens de la Révolution n'a jamais été incorrect. » Il a expliqué ce que cela représente pour lui en disant qu'on doit d'abord apprendre des masses avant d'être capable de leur enseigner.
« Voilà pourquoi » dit-il, « le révisionnisme soviétique est une . . . apostasie. »
« Quand il [Khrouchtchev] est venu ici pour la dernière fois, à son retour du Camp David, il croyait en un compromis avec l'impérialisme américain. Il imaginait que les contradictions avaient presque disparu là-bas. La vérité, c'est que les contradictions dues à la victoire sont moins douloureuses que les anciennes, et, heureusement, elles sont presque aussi profondes. L'humanité laissée à elle-même ne rétablit pas nécessairement le capitalisme (c'est pourquoi vous avez peut-être raison de dire qu'ils ne reviendront pas à la propriété privée des moyens de production), mais elle rétablit certainement l'inégalité. Les forces qui tendent vers la création de nouvelles classes sont puissantes. Nous venons juste de supprimer les titres militaires et les insignes de grade ; tout « cadre » devient un travailleur à nouveau, au moins un jour par semaine ; des trains chargés de citadins partant travailler quittent les villes pour les communes populaires. Khrouchtchev semblait penser qu'une révolution est terminée quand un parti communiste saisit le pouvoir - comme si il s'agissait simplement d'une question de libération nationale. »
« Lénine était bien conscient qu'à ce stade, la révolution ne faisait que commencer. Les forces et les traditions auxquelles il faisait référence ne sont pas seulement l'héritage de la bourgeoisie. Elles sont aussi notre destin... Les révisionnistes mélangent la cause et l'effet. L'égalité n'est pas importante en soi, elle est importante parce qu'elle est naturelle pour ceux qui n'ont pas perdu le contact avec les masses... Vous vous souvenez de Kossyguine au 23e Congrès ! « Le communisme signifie l'élévation du niveau de vie », bien sûr ! Et nager est une façon d'enfiler un slip de bain ! Staline avait détruit les koulaks. Il n'est pas simplement question de remplacer le Tsar par Khrouchtchev, une bourgeoisie par une autre, peu importe si elle est appelée communiste. La pensée, la culture et les coutumes qui ont amené la Chine là où nous l'avons trouvée doivent disparaître, la pensée, les coutumes et la culture de la Chine prolétarienne, qui n'existe pas encore, doivent apparaître. »
« Ce que reflète ce terme courant de "révisionnisme", c'est la mort de la révolution. Ce que nous venons de faire dans l'armée doit être fait partout. Je vous ai dit que la révolution aussi est partout. Je vous ai dit que la révolution est aussi un sentiment. Si nous décidons d'en faire ce que les Russes en font maintenant - un sentiment du passé - tout s'effondra. Notre révolution ne peut pas être une simple stabilisation du passé. »
D'après le site marxists.org.