Liu Chia-liang
Contrairement a un Chang Cheh ou a un King Hu, Liu Chia-liang 劉家良 n'ignore rien du kung-fu. Car avant d'etre probablement le plus grand realisateur de films de kung-fu, Liu Chia-liang est surtout un authentique maitre en arts martiaux chinois.
C'est au sein de sa propre cellule familiale qu'il apprend le kung-fu, son pere et sa mere etant respectivement de l'ecole Hong et Wing-Chun. Le reve de tout artiste martial qui se respecte! Liu Chia-liang est donc un representant du kung-fu dans sa version Sud (predominance des techniques de poings). Detail amusant : son pere, Liu Zhan, etait eleve de Lin Shirong, qui fut lui-meme eleve de Wong Fei Hung (le vrai) !
A l'age de 15 ans, Liu Chia-liang commence ses premieres figurations dans le cinema hong-kongais, a une epoque ou le kung-fu tel qu'il est montre a l'ecran ressemble a tout sauf a du kung-fu. Et pour cause : les acteurs principaux n'entendent rien aux arts martiaux, et les veritables pratiquants comme Liu Chia-liang sont alors relegues au second plan.
Les evenements prennent une tournure differente a partir de la serie des Wong Fei Hung, a laquelle tout le clan Liu, ainsi que d'autres acteurs-pratiquants, participe. Aussi le pere Liu Zhan interprete-il son propre maitre Lin Shirong, alors que les freres Liu Chia-liang et Liu Chia-yung tiennent des roles plus secondaires. Montrant pour la premiere fois au cinema du veritable kung-fu, la serie (longue de plus de 80 films!) remporte un vif succes, et permet au cinema cantonais de s'affirmer, a une periode ou le cinema mandarin jouit d'un prestige encore inegale. Mais dote d'un physique plutot ingrat, Liu Chia-liang ne tarde pas a passer derriere la camera. Il dirige ainsi ses premiers combats pour South Dragon, North Phoenix (1963).
Mais c'est avec The Jade Bow (1966), un film.mandarin, qu'il realise son premier coup d'eclat. Melant pour ce wu xia pian (film de sabres) kung-fu authentique et techniques d'effets speciaux, le film emporte l'adhesion du public. Du coup, la Shaw Brothers l'engage de suite, et Liu Chia-liang devient des lors, en compagnie de Tang Chia, le directeur de combats de Chang Cheh. Reglant les combats des plus grands films de ce dernier, le duo Chang Cheh-Liu Chia-liang regne sans partage sur le box-office local durant l'age d'or du wu xia pian mandarin, qui se situe durant toute la seconde moitie des annees 60.
Cet age d'or prend brusquement fin avec l'avenement de Bruce Lee, qui impose des lors la suprematie du combat a mains nues. La mort de ce dernier marque le debut de la crise du cinema martial.
Cherchant desesperement a renouer avec le succes, Chang Cheh demande conseil a Liu Chia-liang. Ce dernier lui suggere l'exploitation des legendes du Temple de Shaolin, tradition dont Liu Chia-liang est un pur produit. Ainsi sont realises les classiques du genre que sont Men from the Monastery (1974), Heroes two (1974) ou Five Shaolin Masters (1974). Mais en depit des efforts des deux acolytes et de la qualite de leurs films, le succes n'est toujours pas au rendez-vous. Brouille avec Chang Cheh sur le tournage de Marco Polo (1975) et decourage par l'insucces, Liu Chia-liang songe alors a quitter le cinema et la Shaw Brothers, et a partir enseigner le kung-fu aux USA.
C'est alors que la Shaw Brothers lui propose de mettre en scene ses propres films de kung-fu. Et c'est en prenant le contre-pied de son mentor Chang Cheh que Liu Chia-liang va litteralement sauver le cinema d'arts martiaux. Car le cinema de Liu Chia-liang est bien plus que de la technique martiale parfaite servie par une realisation virtuose. La ou Chang Cheh insiste sur l'heroisme et l'amitie virile, Liu Chia-liang, lui, prefere l'humour, comme dans sa premiere realisation The spiritual Boxer (1975). Il engendre ainsi un nouveau sous-genre du cinema de kung-fu, a savoir la comedie kung-fu, un genre qui fera bientot la gloire d'un certain Jackie Chan. Fidele a la morale que lui a enseigne le kung-fu, Liu Chia-liang evite les massacres qu'affectionne tant Chang Cheh, et prefere preserver la vie, ce qui signifie vaincre sans tuer (Shaolin challenges Ninja-1978) ou faire se repentir un criminel (Challenge of the Masters-1976).
Eleve dans la tradition du kung-fu Shaolin Sud, c'est tout naturellement que Liu Chia-liang met en scene certaines des legendes qu'il connait par coeur. A ce titre, The 36th Chamber of Shaolin (1978) doit se regarder comme un veritable documentaire, une reconstitution fidele de l'entrainement quotidien des mythiques moines de Shaolin. Autre source d'inspiration pour Liu Chia-liang: sa propre vie. Ainsi, The Executioners from Shaolin (1977) raconte non seulement l'histoire de la boxe Hong (ecole dont est issu le pere du realisateur), mais il illustre egalement le conflit de parents issus d'ecole differente (le Tigre pour le pere et la Grue Blanche pour la mere dans le film) a propos de l'education martiale des enfants, situation dont Liu Chia-liang a lui-meme fait l'experience. Ce film montre egalement la rivalite entre les ecoles au sein meme du couple, comme le fait egalement Shaolin challenges Ninja. Autre theme recurrent chez Liu Chia-liang: le lien maitre-eleve, qu'il voit de facon orthodoxe, comme dans Challenge of the Masters.
Tous ces ingredients constituent le cinema de Liu Chia-liang, qui n'est pas simplement technique, mais qui se veut egalement epique et moral. Afin de faire passer son message, il laisse la plupart du temps le premier role a son frere (adoptif) et eleve Liu Chia-hui, se contentant pour sa part de jouer des seconds roles, comme celui du maitre ivrogne dans Shaolin challenges Ninja ou celui du brigand dans Challenge of the Masters.
Ainsi, dans cette seconde partie des annees 70, Liu Chia-liang ressuscite le cinema de kung-fu, renouant avec le succes populaire et signant, avec des oeuvres tels que The Executionners from Shaolin, Shaolin Mantis (1978) et Shaolin challenges Ninja, des films qui figurent parmi les tout meilleurs du genre. Cependant, la carriere de Liu Chia-liang connait un coup d'arret en 1979, ou pour la premiere fois, ses films, Dirty Ho et Mad Monkey Kung-Fu, sont exclus du Top Ten hong-kongais, et ce malgre l'extraordinaire qualite de Dirty Ho. Cet insucces marque le debut d'une nouvelle ere dans le cinema hong-kongais. Car a ce moment-la, les studios Shaw ne tiennent plus que grace aux films de Liu Chia-liang. Ce dernier commencant a vaciller sur son trone, et c'est tout l'edifice Shaw qui entame son effondrement. Tout cela alors que la carriere de Jackie Chan prend des lors son veritable envol. Liu Chia-liang semble avoir beaucoup moins de choses a dire. L'homme a change : il n'hesite plus a present a jouer les premiers roles, comme pour Mad Monkey Kung-Fu. Dorenavant, son oeuvre devient irreguliere, le bon (Legendary Weapons of Kung-Fu-1982) alternant avec le moins bon (The 8-Diagram Pole Fighter (1984), aussi sombre et sanglant qu'un Chang Cheh). The 8-Diagram Pole Fighter, a l'echec cuisant, sonne le glas de la Shaw Brothers en tant que studio de cinema, et les Shaw se tournent des lors vers la production televisuelle.
Malgre tout, Liu Chia-liang demeure le maitre inconteste du cinema de kung-fu. C'est donc tout naturellement a lui que la Chine continentale fait appel pour mettre en scene le troisieme volet de la trilogie Shaolin, dont l'interprete principal est un denomme Jet Li. Par l'emploi d'un expert en styles traditionnels, l'idee est alors de rendre (martiallement parlant) credibles des pratiquants rompus au wushu, style de kung-fu moderne qui mele kung-fu traditionnel, gymnastique et Opera de Beijing, et dont la finalite n'est pas le combat. Enthousiasme a l'idee de tourner dans d'immenses decors naturels (par opposition aux decors artificiels de la Shaw Brothers), Liu Chia-liang va finalement voir ses espoirs decus. La collaboration ne se passe pas aussi bien que prevu, en raison probablement des oppositions ancien/moderne et Chine Populaire/Hong-Kong. Mettant en scene la rencontre Shaolin Nord/Shaolin Sud, Martial Arts of Shaolin (1986) se revele tout de meme etre le meilleur episode de la serie, meme s'il se situe tres en dessous des meilleurs films du maitre.
Apres son experience continentale, Liu Chia-liang delaisse, a l'instar d'un Jackie Chan ou d'un Samo Hung, les films de kung-fu traditionnels en costumes pour des productions se deroulant dans le monde actuel, et dont l'action ne repose plus uniquement sur le kung-fu. Cette reconversion ne lui reussit pas trop, aussi bien artistiquement que commercialement. Seul Tiger on the Beat (1988), un thriller dejante avec Chow Yun-fat, lui redonne un semblant de credibilite. Qu'il le veuille ou non, Liu Chia-liang est d'abord et avant tout un cineaste de kung-fu. De facon surprenante, c'est Jackie Chan , en partie responsable de sa chute, qui va lui remettre le pied a l'etrier en lui confiant la realisation de Drunken Master 2 (1994). Liu Chia-liang retrouve ainsi pour la troisieme fois de sa carriere, apres Challenge of the Masters (1976) et Martial Club (1981), le personnage de Wong Fei Hung (interprete les deux premieres fois par Liu Chia-hui), son arriere-grand maitre. Pour Jackie Chan comme pour Liu Chia-liang, il s'agit avec Drunken Master 2 de livrer une reponse du kung-fu traditionnel au kung-fu moderne et voltigeant de Tsui Hark et de Jet Li, tel que ces derniers le montrent dans la serie des Once upon a Time in China, qui conte egalement les exploits de Wong Fei Hung. Realisateur de Drunken Master 2, Liu Chia-liang se tient aussi devant la camera, dans le role d'un patriote, aux cotes de Jackie Chan. Mais en cours de tournage, jugeant finalement Liu Chia-liang depasse, Jackie Chan finit par evincer le "vieux", et termine le film a sa place, retournant meme certaines scenes. Oeuvre donc a la fois de Jackie Chan et de Liu Chia-liang, Drunken Master 2 constitue le sommet du film de kung-fu par Jackie Chan, et remporte un fabuleux succes au box office. Vexe par son renvoie, Liu Chia-liang realise tout seul "son" Drunken Master avec Drunken Master 3 (1994), avec Andy Lau et Liu Chia-hui, et bien sur sans Jackie Chan. Mais la qualite de ce film laisse a penser que Jackie Chan avait sans doute raison.
Filmographie
Réalisateur
1975 : Wang Yu défie le maître du karaté (Shen da)
1976 : Combat de maîtres (Huang Fei-hong yu liu a cai)
1977 : L'Exécuteur de Shaolin (Hung Hsi-Kuan)
1978 : La Mante religieuse (Tang lang)
1978 : La 36ème chambre de Shaolin (Shao Lin san shi liu fang)
1979 : Les Démons du karaté (Zhong hua zhang fu)
1979 : Spiritual Boxer 2 (Mao shan jiang shi quan)
1979 : Le Prince et l'arnaqueur (Lan tou He)
1979 : Mad Monkey Kung Fu (Feng hou)
1980 : Retour à la 36ème chambre (Shao Lin ta peng hsiao tzu)
1980 : Emperor of Shaolin Kung Fu
1981 : Martial Club (Wu guan)
1981 : Lady Kung Fu (Cheung booi)
1982 : Cat Versus Rat (Yu mao san hu jin mao shu)
1982 : Treasure Hunters
1982 : Les 18 armes légendaires du kung fu (Shih ba pan wu yi)
1983 : Les 8 diagrammes de wu-tang (Wu lang ba gua gun)
1983 : The Lady Is the Boss (Chang jen men)
1984 : Carry On Wise Guy (Po jie da shi)
1985 : Les Disciples de la 36ème chambre (Pi li shi jie)
1986 : Les Arts martiaux de Shaolin (Nan bei Shao Lin)
1987 : Scared Stiff (Xiao sheng meng jing hun)
1988 : Tiger on the Beat (Lo foo chut gang)
1989 : Aces Go Places 5: The Terracotta Hit (Xin zuijia paidang)
1990 : Tiger on the Beat 2 (Lao hu chu geng 2)
1994 : Combats de maître 2 (Jui kuen II)
1994 : Drunken Master 3 (Jui kuen III)
2002 : Drunken Monkey (Chui ma lau)
Récompenses
- Nomination au prix des meilleures chorégraphies lors des Hong Kong Film Awards 1983 pour Les 18 armes légendaires du kung fu.
- Prix des meilleures chorégraphies lors du Golden Horse Film Festival 1994 pour Combats de maître 2.
- Prix des meilleures chorégraphies lors des Hong Kong Film Awards 1995 pour Combats de maître 2.
- Prix du meilleur film asiatique lors du Fant-Asia Film Festival 1997 pour Combats de maître 2.