D'abord, merci à Yihan de nous apporter son point de vue de Chinoise sur la question. J'en profite pour lui souhaiter la bienvenue sur le forum.
Pour répondre à Lililele, ce qui me frappe d'abord, dans les feuilletons chinois modernes, c'est l'absence d'ancrage dans la réalité politique nationale : il est fréquent, en France, que l'époque soit clairement indiquée par les informations diffusées à la télévision, par exemple. Rien de tel dans les feuilletons chinois. Les autorités politiques du pouvoir central en sont totalement absentes, du moins pour autant que je puisse ne juger. Il n'en va pas de même des cades locaux, omniprésents au contraire, que ce soit pour exalter leur dévouement pour la population comme dans
Eaux claires sous un ciel bleu ou, au contraire, pour mettre en évidence leur corruption comme dans
Mon âme éternelle.
La réalité économique apparaît elle aussi de manière tronquée et biaisée mais elle apparaît. Je remarque d'abord la diversité des milieux sociaux : urbains, campagnards, provinciaux, gens des grandes métropoles ou de la capitale, migrants coréens, petits employés, grands patrons, cadres des entreprises, policiers, ouvriers, journalistes, médecins hospitaliers ou médecins traditionnels, infirmières, chauffeurs de taxis, vendeurs à la sauvette, livreurs d'eau, libraires, instituteurs, professeurs de collège ou d'université, étudiants, tenanciers de restaurants ou de bistrots, kiosquiers, buralistes, militaires, agents de sécurité, journaliers même, voilà quelques-unes des professions dont j'ai découvert l'image.
Lorsque l'on aborde la question des rapports sociaux, les choses se compliquent. Les conflits de classe n'apparaissent jamais en tant que tels : lorsque, par exemple, la patronne d'une grande entreprise automobile est menacée de prison (pour de bonnes raisons, elle a tué un piéton au volant de sa voiture alors qu'elle roulait en état d'ivresse), tous les ouvriers font corps derrière elle. Ils n'apparaissent d'ailleurs que dans le décor et, pour le moment, je n'ai pas vu de feuilletons dont ils soient les héros, ce qui, en république socialiste, peut sembler curieux. Lorsqu'un patron est désigné à la vindicte des spectateurs, ce n'est pas parce qu'il exploite honteusement ses ouvriers, c'est parce qu'il ne respecte pas les lois environnementales ou lorsqu'il met en danger les consommateurs en leur fournissant des produits de contrefaçon. Les feuilletons servent donc, comme le dit Michelem, à pointer du doigt un problème que l'on veut corriger. Et on n'hésite pas, dans ces circonstances, à faire l'apologie de la liberté de la presse et du courage des journalistes d'investigation qui mettent ces trafics en évidence ! La concurrence, nouveau credo économique, est elle aussi promue mais dénoncée dans ses excès qu'elle amène les entrepreneurs à tricher sur la qualité ou les employé(e)s à évincer leurs rivaux de manière malhonnête.
Ce qui est sans doute le plus intéressant, ce sont les espaces, espaces de travail, espaces de loisir, espaces d'habitation, espaces de circulation qui apparaissent dans leur diversité : du taudis au palace, du vieux siheyuan ou du village traditionnel convoités par la spéculation immobilière aux immeubles confortables des classes moyennes, des banlieues sans âme aux centres rutilants ou aux quartiers résidentiels dessinés par d'audacieux architectes. On montre beaucoup de choses, même si on ne montre pas tout : dans l'industrie, pas d'ateliers sordides pour le moment, mais de grandes entreprises ; à la campagne fermes insalubres et entreprises agro-industrielles se partagent assez équitablement l'écran ; en ville, salons de coiffure ou d'esthéticienne, boîtes de nuit, bars branchés ou cabinets médicaux, cités universitaires, hôpitaux et même prisons sont représentés.
L'espace domestique est évidemment présent avec son mobilier, sa décoration, qui varient selon les milieux sociaux et culturels. Je n'avais jamais vu de kang dans les films chinois, je l'ai découvert, avec tous les meubles qui lui sont associés, dans
Eaux claires sous un ciel pur.
Les intrigues n'ont, la plupart du temps, guère d'intérêt pour moi, sinon en tant qu'elles témoignent de l'idéologie officielle ou de la marge de contestation que peuvent se permettre les réalisateurs ; ce qui m'intéresse, ce sont ces images qui ne peuvent pas être tout à fait mensongères.
Mais au-delà de la réalité contemporaine de la Chine, qui change à toute vitesse, ce qui m'intéresse dans les feuilletons, c'est ce qui relève de la longue durée ; ce sont
les manières de faire et les manières de dire,
la gestuelle, les
jeux d'enfants, les usages qui résistent au temps et qui nous révèlent l'âme de cette merveilleuse civilisation.