Je partage votre agacement, François !
Encore une fois, on constate à quel point l'analyse des
« Principes de la novlangue » (Principles of new speak), dans
1984, était prophétique.
Il faut que nos responsables politiques ignorent tout de leur propre langue pour avoir validé de telles traductions qui ne respectent ni l'exigence de sens ni les règles de formation de nos néologismes.
Qu'est-ce que le mot
« ramdam » , qui évoque le tapage joyeux de la rupture du jeûne, pendant le ramadan, a à voir avec le
« buzz » qui évoque la rumeur électronique quasiment silencieuse de la circulation de l'information sur Internet et, par assonance, le
« vrombissement » ou le
« bourdonnement » de l'abeille qu'on appelle aussi le
« zonzon » de l'abeille ? Il me semble d'ailleurs que ce dernier terme aurait été d'autant plus approprié pour traduire le mot
« buzz » que l'abeille est aussi une infatigable travailleuse et que le
« buzz » évoque également l'activité qui occupe
(« to be busy ») et qui rapporte
(« le business ») !
Le mot
« bolidage », pour le
« réglage » et
« l'ajustage » personnalisés des voitures de course est une monstruosité grammaticale ! Le suffixe en
« -age » ne s'employant qu'avec une racine verbale, et le plus souvent, avec des verbes du premier groupe (comme dans
« tisser/tissage », « patiner/patinage », « raffiner/raffinage », par exemple), il faudrait qu'il existe un verbe
« bolider » en français pour faire
« bolidage ». Mais il est vrai que l'une des caractéristiques de la
« novlangue » est de gommer toute différence entre le nom et le verbe et de préférer les verbes du premier groupe à tous les autres (cf. le consternant
« clic/cliquer ») !
« Eblabla » pour
« chat » me semble tout aussi inacceptable, le
« e », qu'il faut ici prononcer
« i » à l'anglaise pour faire sens, reste un anglicisme mâtiné de français. Pour traduire le nom-verbe anglais
« chat » (a chat / to chat), nous avons
« causette », en français qui a l'avantage de se développer verbalement en
« faire la causette ».
Pour
« talk » qui, là encore se décline sous forme verbale et nominale
(« a talk/ to talk »), on a le choix entre
« conversation / converser » « discussion / discuter » et « débat/ débattre » .
Quant à
« newsletter », je ne vois pas pourquoi il faudrait le traduire par
« infolettre » en important en français la place du complément de nom anglais, placé avant le nom : en français, que je sache, il se place après le nom : est-il si difficile de dire « lettre d'information » ? Sommes-nous décidément trop paresseux pour dire les mots en entier ?
Je voudrais pour finir, vous donner un aperçu de la
« novlangue » telle que George Orwell la décrit si magistralement dans
1984 (n'ayant que la version anglaise du roman, je traduis moi-même) :
Soit la phrase
"Oldthinkers unbellyfeel Ingsoc", qu'on pourrait traduire, en faisant ce que font nos prétendus défenseurs de la francophonie, par
"archéopenseurs intripalsentent Angsoc". La traduction la plus proche de l'original en
“old speak” serait :
« Those whose ideas were formed before the Revolution cannot have a full emotional understanding of the principles of English Socialism.» Autrement dit :
« Ceux dont les idées ont été formées avant la Révolution ne peuvent avoir une pleine compréhension émotionnelle des principes du Socialisme anglais. »
On voit tout l'intérêt d'une telle formulation : en
« ancilangue » (la langue ordinaire), on a une proposition neutre qui part d'un simple constat et ne préjuge en rien de la valeur de ceux dont on parle ; en
« novlangue », au contraire, on a un mot incorporant la condamnation immédiate et sans jugement de ceux dont on parle.
Au train où l'âne trotte nous en serons bientôt là ! Car, comme le démontre magistralement Orwell, ces abréviations ont une incidence terrifiante sur la pensée (c'est toujours moi qui traduis, si vous voulez le texte anglais, je vous le communiquerai volontiers) :
George Orwell a écrit : Dès les premières décennies du XX° siècle, le langage politique s'est caractérisé par les télescopages verbaux et l'on a pu constater que la tendance à utiliser de telles abréviations était plus marquée encore dans les pays totalitaires et les organisations totalitaires avec des mots comme « Nazi », « Gestapo », « Komintern », « Inprecorr », « Agitprop », par exemple. A l'origine, cette pratique a été adoptée de manière instinctive mais, en novlangue, elle a été utilisée dans un but conscient. On a compris qu'en abrégeant ainsi un nom, on réduisait et on altérait subtilement sa signification en le coupant de la plupart des associations d'idées qu'il aurait, sans cela, évoquées. L'expression « Internationale communiste », par exemple, suggère une image composite associant fraternité universelle, drapeaux rouges, barricades, Karl Marx et la Commune de Paris. Le mot « Komintern », à l'inverse, suggère simplement une organisation à mailles serrées et un corps de doctrine bien défini. Il renvoie à quelque chose d'aussi aisé à reconnaître, et d'aussi limité dans son acception, qu'une chaise ou une table. Le mot « Komintern » peut être prononcé pratiquement sans aucune pensée alors que l'expression « Internationale communiste » exige de celui qui la prononce qu'il s'y arrête ne fût-ce qu'un instant. De même, les associations d'idées liées à un mot comme « Miniver » (Minitrue) sont beaucoup moins nombreuses et beaucoup plus contrôlables que celle qu'évoque la désignation de « Ministère de la Vérité ». Tout cela n'est pas pour rien dans cette manie des abréviations et dans le soin avec lequel on veillait à ce que chaque mot soit très facile à prononcer.
Voilà, je crois qu'on ne saurait mieux dire !
Alors, de grâce, Messieurs (et, plus rarement, Mesdames) qui nous gouvernez, arrêtez de massacrer la langue ! et quand vous nommez un secretaire d'Etat à la francophonie assurez-vous au moins qu'il parle français et qu'il connaisse les règles élémentaires de formation de sa langue !