Opium en Chine
L'opium, produit en Inde, et exporté par les Hollandais dans toute la Mer de Chine, se répand en Chine vers 1720. En 1729, l'empereur chinois interdit l'importation et la vente de l'opium en Chine. Devant l'échec de cette décision, un autre édit (1799) réitère la prohibition, puis un troisième (1820) donne des récompenses aux informateurs et accorde des réductions de peine à ceux qui révéleraient l'identité de leurs fournisseurs.
«Le seul effet de ces lois semble avoir été de renforcer la contrebande de l'opium et la corruption des fonctionnaires chargés de son contrôle». À cette époque (1820), quelque 2 à 12 millions de Chinois sont devenus consommateurs d'opium. Que s'était-il passé durant ce siècle ?
Une compagnie anglaise créée en 1600, la Compagnie des Indes Orientales, réussit à survivre à diverses crises grâce à l'instauration, en 1773, d'un monopole officiel sur la production d'opium. Elle intensifie le commerce de cette drogue avec la Chine. En soixante ans (1770-1830), la vente de ce produit passe de 1,3 tonnes à 1275 tonnes par année ; cela représente les 2/3 des recettes indiennes de la compagnie et, pour l'Angleterre, le 1/7 des revenus totaux en provenance des Indes.
La crise industrielle vécue en Europe au début du 19e siècle accentue l'intérêt pour la Chine, seule région du monde encore fermée au commerce anglais. De nombreux commerçants réussirent alors à briser le monopole de la Compagnie des Indes Orientales.
En 1836, commence un débat à la Cour impériale de Chine sur les mesures à prendre face à l'importation et à l'abus de l'opium. L'empereur donne raison aux prohibitionnistes et exige que des mesures nécessaires soient prises : deux mille trafiquants sont arrêtés et de nombreuses fumeries sont fermées. En 1838, nouveau débat. Quatre arguments sont invoqués : la santé (dommages physiques et mentaux), l'immoralité (opium mène à la décadence), les conséquences économiques (le trafic et la vente de l'opium menacent la stabilité financière) et enfin, les principaux responsables sont des étrangers.
En mars 1839, un commissaire impérial promulgue des lois et des peines sévères pour les trafiquants et les consommateurs. Il fit arrêter le président de la Chambre de commerce de Canton (sujet britannique), un trafiquant notoire et fit détruire 1300 tonnes d'opium, d'une valeur de 9 millions de dollars. Il édicta aussi les 39 règles, dont l'une prévoyait l'application de la peine de mort aux trafiquants, vendeurs et même aux consommateurs, après un délai de 18 mois. Suite à la mort d'un paysan chinois, lors d'une bagarre provoquée par des marins anglais, le commissaire impérial exige la livraison du coupable, sinon un otage sera pris et exécuté chez les marins anglais. Les Britanniques quittèrent Canton et se retirent à Hong Kong. Suite au blocus de celle-ci, la flotte britannique est intervenue. Ce fut le début (septembre 1839) de la première des guerres de l'opium. Celle-ci fut facilement remportée par l'Angleterre.
Après avoir été militairement défaite, la Chine signa le traité de Nankin : elle dut payer 21 millions de dollars pour les frais de l'expédition et l'opium détruit ; elle dut aussi ouvrir cinq autres ports de commerce, établir des relations diplomatiques avec les autres pays, déterminer un tarif juste et régulier pour les exportations et les importations, tout en cédant à l'Angleterre l'Île de Hong Kong.
D'importantes conséquences résultèrent de cette première guerre de l'opium : économiques d'abord car elle força l'ouverture de tout un continent au commerce extérieur, entraînant la totale dépendance de la Chine, durant plus de cent ans, vis-à-vis le monde occidental et le Japon, tout en intégrant l'opium dans l'économie chinoise. Au niveau politique, elle montra l'impossibilité pour un pays de résoudre lui-même un problème (la consommation de l'opium) qui touche les intérêts d'autres puissances. Des conséquences humaines et sociales s'ajoutèrent aussi car l'opiomanie se propagea considérablement. Ainsi, entre 1870 et 1900, on estime qu'entre 5 et 20% de la population, i.e. de 25 à 100 millions de Chinois étaient des toxicomanes.
Suite à une nouvelle expédition gagnante dirigée par l'Angleterre et la France afin de faire respecter le traité de Nankin, ces derniers obtinrent que soient levées toutes les restrictions relatives à l'importation d'opium dans le pays, de nouveaux ports de commerce furent ouverts et l'Angleterre obtint de nouveaux territoires chinois.
À la fin du 19e siècle, émerge en Chine un courant anti-opium. Ce courant mène au décret impérial du 21 novembre 1906 qui prévoit un plan de suppression de l'opium en 10 ans par la réduction de 10% des surfaces d'opium cultivables par année et l'imposition de lourdes peines aux trafiquants, fonctionnaires corrompus, etc.
Le même courant frappe aussi l'Angleterre, ce qui amène la création d'un Commission royale d'enquête sur l'opium. Les avis sont contradictoires sur le danger de l'opium. «Ses principales conclusions sont les suivantes : 1) Il n'existe pas une demande suffisamment importante pour justifier la prohibition de la culture de l'opium en Inde, prohibition qui poserait par ailleurs des graves problèmes internes à ce pays dans la mesure où ses finances ne pourraient pas supporter cette interdiction ; et 2) L'affirmation du mouvement anti-opium, selon laquelle la Chine a été forcée d'importer cette substance, est sans fondement».
Mais, un changement de gouvernement en 1906 permit la signature d'un accord en 1908 avec le gouvernement chinois en vue de la soutenir dans sa campagne de suppression de l'usage de cette drogue. Cette réduction provoqua une hausse de la rareté du produit. La conférence internationale de Shanghai est organisée en 1909 afin de corriger la situation. À partir de 1911, l'opium se raréfie en Chine, mais un nouveau produit, de fabrication anglaise et allemande, commence à inonder le marché : la morphine, un dérivé de l'opium.
Ainsi, après avoir exercé le trafic de l'opium pendant plus de cent cinquante ans, l'Angleterre essaie d'internationaliser leur contrôle. Les États-Unis s'imposeront dans ce domaine.
Source : José M Rico, Les législations sur les drogues : origines et évolution. Psychotropes, vol lll no 1 p.72-75
Rédaction : Jean-Yves Cloutier, consultant en toxicomanie - www.etape.qc.ca
Centre l'Étape (1998)