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Histoire de Chine : "Dix mille années", ou cent siècles Han

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Histoire de Chine : "Dix mille années", ou cent siècles Han« Dix mille années »,
ou cent siècles Han

Tiré du chapitre 12 du livre « Petite Histoire de la Chine »
De Xavier Walter
Editions Eyrolles Pratique



Figurations chinoises

Si, en 2007, un Chinois porte son regard jusqu'au néolithique antérieur,il a des cent siècles écoulés une perception nationale. Des Han, « la race chinoise » dont il est, cultivaient alors les loess du fleuve Jaune sous l'autorité légendaire de Fuxi qui enseigna l'agriculture et la pêche aux pasteurs. Plus tard, le divin Shennong leur apprit à se soigner par les plantes. En ce XXIe siècle, les Han représentent plus de 90 % de la population chinoise, plus de 50 % d'entre eux sont agriculteurs, et leur médecine millénaire n'a pas perdu son crédit. Culturelle sinon naturelle, cette histoire nationale est saisie comme continue depuis Fuxi dont les rois mythiques ont poursuivi l'oeuvre. La Chine croit leur devoir l'établissement de ses normes morales, sociales, ses premiers pictogrammes dont témoigne encore son écriture. Confucius vantait ces figures tutélaires. « Que Yao a été un grand prince ! Quelle splendeur émanait de la culture et des institutions ! » La Chine situe rituellement la perfection dans son passé. Mais les Han sont des hommes et ne cessent, comme tels, de se détourner de l'enseignement des âges, au  prix de l'harmonie de l'Empire et pour la plus grande colère du Ciel.

Les Chinois, empiriques affectifs et intuitifs, attachent un grand prix à l'expérience. Une de leurs figures familières est un vieillard à l'expression maligne, au front immense, siège de son expérience. Le temps et l'étude seuls permettent de parvenir à une perception utile des « Dix mille êtres ». Si les Han sont fiers de leur Antiquité, elle leur crée des devoirs ; ils se sentent les « frères aînés » de l'humanité. Le père Joseph Amiot, mort en 1793, parle « d'un peuple doux, honnête, paisible, complaisant même, amateur de l'ordre, plein d'égards par principe pour les étrangers, et toujours disposé à l'indulgence quant à leurs défauts ». Sentiment renforcé par la conscience de leur masse.

La pensée confucéenne au coeur

Peut-on comprendre la Chine sans connaître ce qui se passe dans la tête des Chinois et les règles auxquelles obéit leur société ? Le Han est souvent regardé comme l'être le plus individualiste du monde. Si cette caractéristique lui a permis de se tirer de situations qui auraient anéanti le commun des hommes, il est admis aussi que l'ordre confucéen fondé sur la famille le garde de cet individualisme. La famille est la clé de la société chinoise. La solidarité y règne, réglée par l'âge des membres de la communauté, la génération à laquelle ils appartiennent. Son ordre calqué sur celui de la société féodale a pesé sur la société chinoise jusqu'au XXIe siècle. Confucius l'a consacré. « Le sujet obéit à son prince comme le fils à son père, et aux officiers comme le frère puîné obéit à son frère aîné ; le prince doit commander à ses sujets avec la même bonté qu'un père à ses enfants. » La Chine est une immense combinaison féodalité/famille. Chacun y obéit aux « Cinq relations » – prince/sujet, père/fils, aîné/cadet, mari/femme, amis – qui régissent la société de bas en haut et de haut en bas. Elles excluent toute différence entre devoir et maintien public, devoir et comportement privé. La substitution des mandarins aux féodaux n'y change rien. Au sommet, le Prince ; sous lui, féodaux ou fonctionnaires ; au-dessous, en une authentique démocratie sociale, les autorités naturelles : propriétaires, chefs de clan, de village, de famille, gros commerçants, réseaux de relations, donnent vie à la société. Il faut peu pour qu'y règne la paix sinon l'« harmonie » que l'Empereur aspire à établir avec le « mandat du Ciel ».
Les Chinois sont endurants, opiniâtres, maîtres de soi ; mais chicaneurs aussi. « On ne saurait priver le dernier des hommes de son librearbitre», observe Confucius ; ce qui n'est pas nécessairement positif.

Perpétuelle jeunesse de l'histoire

La Chine a connu des périodes de crise aux violences inouïes, été souvent subjuguée par des étrangers. C'est une constante : elle subit l'événement lorsque son pouvoir malade perd le « mandat du Ciel » et cesse d'avoir prise sur son immense corps centrifuge. Elle faisait dire à Sun Yatsen que le seul danger que connussent les Chinois était d'être « comme un plateau de sable sec ». Teilhard de Chardin s'étonnait du « singulier spectacle » qu'offrait « cette géante contrée qui […] représentait, toujours vivant sous nos yeux, un fragment à peine modifié du monde tel qu'il pouvait être, il y a dix mille ans » ; voyait l'immense pays « interminablement compliqué sur lui-même », malgré la mise en garde de Confucius : « L'honnête homme cultive l'harmonie, pas la conformité. » Conformisme substitué à l'harmonie, Confucius fossilisé par le néo-confucéisme, ont figé l'Empire que son immensité rendait, par ailleurs, lent à réagir à la nouveauté.

La Chine n'en a pas moins évolué et connu des périodes brillantes. Ainsi, celle des Tang. L'Empire ouvert au monde se développe pendant un siècle et demi de paix, puis ce sont insurrections, calamités, déclin, chute, au milieu d'une anarchie affolante. Viennent les Song. Raffinés, ils ont le tort de cultiver le néo-confucéisme qui fige une pensée subtile ; la machine coince. Les « Barbares » en profitent : Jürchets, puis Mongols, que les Ming finissent par chasser. Sous eux, le pays se ferme, le mouvement « interminablement compliqué sur lui-même » s'accuse, dans l'image que le pays va offrir aux aventuriers de l'« Océan occidental » bientôt arrivés sur ses côtes. Les renversent une formidable jacquerie et un « barbare », le Mandchou qui prend Pékin et étend son pouvoir à tout le pays. Leur dynastie connaît de grands souverains. La Chine n'a jamais été aussi vaste qu'à l'ère Qianlong, ni si brillante peutêtre.

Mais la dynastie prend de l'âge et l'Empire a un cancer au flanc, les marchands de l'Occident. Vrai confucéen, Qianlong le sait et a mesuré qu'il ne peut mieux faire que retarder un peu le mal. À sa mort, la Chine entre dans deux siècles de bouleversements cruels dont elle émerge aujourd'hui, décidée à reprendre la place qui est celle des Han sous le Ciel, la première. Bien des peuples, le cauchemar passé, se trouveraient hébétés. Pas les Chinois. Gou Hongming, en 1915, l'expliquait : ils allient raison adulte et coeur d'enfant. Cette heureuse union leur vaut une forme de perpétuelle jeunesse. Ils savent et tirer parti de toute expérience et prendre mille initiatives avec une fougue juvénile. Ils vont sur les traces de Confucius en qui ses contemporains voyaient, avec un mélange d'incrédulité et d'envie, l'homme « qui cherche ce qu'il sait impossible ». L'expérience rend endurant, le coeur, plutôt confiant. L'histoire de la Chine l'a montré cent fois.

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