27/10/2009 à 04:47 - L'Europe, la Chine : une alternative pour la pensée
"...Quand on veut appréhender l'ordre du monde d'un point de vue chinois, il convient de le penser en termes de processus de transformation et non d'aboutissement. En Occident, la " voie " est celle qui mène à - à la vérité en philosophie, ou au bonheur en politique, ou au Père dans la religion, etc. Elle comporte en elle la notion grecque de finalité (telos) et est croisée par la notion de progrès qui nous vient de la pensée hébraïque et chrétienne. La Chine ne pense pas en termes d'aboutissement, mais en termes de viabilité : la voie, c'est par où ça passe, continue de passer. Un processus en lui-même n'est pas finalisé puisqu'il n'a d'autre fin que son renouvellement. La Chine n'a donc pas pensé le progrès (elle en empruntera l'idée à l'Occident, fin XIXe siècle).
Ce qui conduit à penser autrement l'efficacité en Chine et en Europe. En Occident, nous avons développé une notion épique, héroïque, spectaculaire et quasi théâtrale de l'efficacité. Celle-ci se fonde sur une modélisation, la définition d'une forme idéale - une Constitution par exemple - avant que la volonté n'intervienne pour faire entrer cette forme idéale dans la réalité - éventuellement par une révolution. Ce qui aboutit au couplage théorie/pratique, ou modélisation/application.
Or, la Chine ne pense pas en termes de moyens à fin, ces moyens conduisant le plus directement à la fin visée, mais en termes de condition à conséquence. Le couplage est " configuration " (situation, " terrain " : xing) et " potentiel de situation " (shi). Il s'agit de détecter de quelle façon une situation est " porteuse ", l'efficacité consistant à capter ce qui est favorable en elle pour en profiter, autrement dit à exploiter le " potentiel de situation ". L'efficacité ne dépend pas d'un plan idéal, posé comme fin, mais consiste à s'appuyer sur les propensions oeuvrant à travers la situation. À partir de là, il convient de laisser l'effet advenir, et non de forcer l'événement ; ce qu'on peut appeler l'efficience..."
En Chine,Le sage n'" agit " pas, il " transforme.
extrait de texte qui est la synthèse d'un entretien que François Jullien a accordé à la rédaction de Questions internationales le 13 janvier 2004. Il s'appuie sur les travaux que François Jullien consacre à la Chine depuis une vingtaine d'années.
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Dernière édition : 27/10/2009 06h20