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Gun et Yu domptent les Eaux

© Chine Informations - La Rédaction

On dit que dans la Chine antique sévirent à une époque de graves inondations. Les dégâts causés par les crues incessantes dépassent l'imagination. La terre ressemblait à un océan, toutes les cultures étaient noyées, les maisons détruites.

Soutenant les vieux et portant les enfants, les gens s'enfuyaient dans les montagnes ou se réfugiaient sur de grands arbres. Ceux qui réussissaient à se sauver en montant sur les arbres ou sur quelque escarpement mouraient de faim et de froid peu après. Ceux qui avaient eu la chance de pouvoir joindre à temps les montagnes menaient une existence toute provisoire eux aussi.

S'ils pouvaient s'abriter dans les grottes ou construire des abris, se nourrir d'écorces ou de légumes sauvages, ils étaient cependant trop nombreux pour les maigres ressources dont ils disposaient. En outre, de nombreux serpents venimeux et des animaux sauvages qui, chassés par les inondations, s'étaient sauvés dans les montagnes menaçaient la vie des hommes.

Aussi le nombre de gens qui mouraient de noyade, de froid, de faim ou de l'attaque des animaux était-il incalculable. Désespérés, les sinistrés en appelaient jour et nuit à la clémence de l'Empereur Céleste, lui demandant de résorber les crues et de leur épargner la vie.

Loin de là, à l'autre bout du ciel, l'Empereur Céleste faisait la sourde oreille aux injonctions de son peuple. Il ne pensait qu'à s'amuser avec sa cour et ne se souciait nullement du sort de l'Humanité. A ses yeux, les habitants de la terre ne valaient pas mieux que des fourmis.

Le malheur du peuple et ses prières désespérées avaient beaucoup touché Gun, grand génie du ciel et petit-fils de l'Empereur Céleste ; "Il faut que j'intervienne auprès de mon grand-père", pensa-t-il.

Tout grand génie et petit-fils de l'Empereur qu'il fût, il ne lui en était pas moins difficile de rencontrer son grand-père. A plusieurs reprises, il alla demander audience. Mais, soit le féroce Gardien de la Porte du Ciel lui en refusait l'accès, soit sa requête recevait une fin de non recevoir de la part de l'Empereur qui n'avait pas le temps de s'occuper de lui.

L'Empereur Céleste était très égoïste. Non seulement il ne pensait qu'à son propre plaisir, mais il était privé de tout sentiment envers ses propres descendants. Imbu de sa puissance, il cherchait à en imposer.

Un jour, rongé de soucis et n'en pouvant plus d'attendre, Gun força la Porte du Ciel, disant qu'il avait quelque chose d'extrèmement urgent à dire à son grand-père. Le Gardien céleste en informa l'Empereur et introduisit Gun dans le Palais céleste.

L'Empereur était en train de se divertir quand Gun arriva. Devant lui était disposée une coupe de fruits d'immortalité, tandis que des Fées évoluaient avec grâce au son d'une musique envoûtante. L'intrusion de son petit-fils dans le Palais irrita beaucoup l'Empereur.

- Qu'as-tu de si urgent à me dire pour me déranger ainsi ? Lui demanda-t-il sèchement.

- Grand-père, toute la terre est inondée. Les gens qui ne sont pas morts sont en fuite, vivant dans un état misérable ! Pourquoi ne faites-vous pas descendre les crues ?

- Pas question ! Répliqua l'Empereur en colère. Ces créatures sont chargées de tous les péchés, ce qui leur arrive n'est qu'un juste châtiment. Et puis, je n'ai pas le temps de m'occuper d'eux. Va et, désormais, ne me dérange plus pour des vétilles !

Gun fut obligé de se retirer. Mais les souffrances et les malheurs du peuple lui brûlaient le coeur comme un feu ardent. "De toutes façons, se dit-il, je dois tout faire pour sauver les survivants !" Hélas, tout le pouvoir était détenu par son grand-père. Il ne pouvait rien faire.

Le niveau des eaux montait toujours. ce furent d'abord les plaines et les maisons qui disparurent sous les eaux, puis les arbres élancés qui ne laissaient voir que leur faîte et bientôt ce serait les collines qui seraient englouties. Toute la terre présentait un spectacle terrible. Les flots boueux déferlaient partout dans des tourbillons meurtriers.

Ceux qui s'étaient réfugiés au sommet des montagnes criaient sans cesse des appels de détresse, tristes et lamentables. Si le niveau des eaux continuait à monter, elles submergeraient toute la terre et l'Humanité serait exterminée.

Généreux et honnête, Gun ne pouvait plus rester inactif. Il savait que, pour dompter les eaux, il suffisait d'obtenir un précieux trésor jalousement gardé par l'Empereur : La "Terre Proliférante". Une petite quantité de cette terre suffisait, en se dilatant, à ériger une digue solide contre les flots de plusieurs kilomètres, voire de plusieurs centaines de kilomètres. Grâce à la Terre Proliférante, on pourrait drainer les eaux et faire décroître les crues.

Mais cette terre proliférante était soigneusement cachée par l'Empereur. Insensible comme il l'était au sort de son peuple, on imagine mal qu'il permit d'utiliser son trésor.

Gun fit alors appel à un hibou qui passait par là. Il lui demanda :

- Sais-tu que l'Humanité est plongée dans le malheur ?

- Et comment ! Les crues sévissent, ici comme partout ailleurs. L'Humanité est au bord de l'extermination, répondit l'oiseau.

- Tu survoles souvent la cour du Palais céleste et ses environs. Avec ta vue perçante, de jour comme de nuit, tu distingues nettement les objets. Aussi voudrais-je te demander quelque chose.

- Quoi donc ?

- Sais-tu où mon grand-père cache la Terre Proliférante ? Elle m'est indispensable dans l'aménagement des Eaux, il faut absolument que je la trouve.

- Cela, je ne le sais point, dit le hibou d'un air pensif. Mais je suis sûr qu'elle est cachée dans le Palais postérieur de la cour céleste. De nombreux coffres en jade y sont entassés. C'est sans doute là que ton grand-père met tous ses trésors.

- Peux-tu faire des recherches pour moi ? Il y va de la survie de l'Humanité, demanda Gun avec insistance.

Le hibou acquiesça d'un signe de tête. La nuit était tombée. Toutes les portes du ciel étaient fermées. Mais cela ne pouvait constituer un quelconque obstacle pour notre hibou : Il avait deux ailes et une vue perçante. Il arriva dans la cour du Palais et se posa sur le bord d'un fenêtre du Palais Postérieur. De là, il put regarder à loisir l'intérieur de la pièce.

De gros coffres étaient alignés, sur lesquels étaient gravés de gros caractères en or : "Elixir d'Immortalité", "Bâton de Vie Millénaire", "Câble de Communication avec le Ciel",... Finalement, il apperçut dans un coin un coffre sur lequel étaient gravés deux caractères dorés : "Terre Proliférante". Il revint aussitôt annoncer la nouvelle à Gun.

Cependant, la question n'était pas résolue pour autant. Cette Terre Proliférante était terriblement lourde, trop lourde pour un oiseau. Gun réfléchit un moment et se rappela soudain de la Tortue Céleste qui habitait au bord de la rivière Yu et qui avait la force de transporter une montagne.

Gun rendit visite à la Tortue et lui fit part de sa requête. La Tortue Céleste accepta d'aider Gun à sauver l'Humanité.

Guidée par le hibou, la tortue se mit en route pour le Palais postérieur, elle pratiqua une ouverture et se glissa à l'intérieur. Un instant après, elle en ressortit avec la Terre Proliférante sur le dos. Tout le monde sait que les tortues sont des animaux robustes. Néanmoins, notre tortue céleste était couverte de sueur et, sous sa charge pesante, elle avait du mal à reprendre haleine.

A la vue de la Terre Proliférante, Gun ne se sentit plus de joie. Il pria la tortue de la déposer à un endroit choisi et cria à la terre : "Etends-toi !" Alors la Terre Proliférante s'étendit et s'étendit encore, drainant les eaux, canalisant les crues, édifiant des digues, tant et si bien qu'en peu de temps l'inondation fut maîtrisée.

L'Humanité fut ainsi sauvée. Les réfugiés retournèrent chez eux et commencèrent à semer, à réparer ou à reconstruire leur maison.

Mais l'affaire du vol de la Terre Proliférante parvint aux oreilles de l'Empereur Céleste. Très en colère, il fit venir immédiatement Gun et l'accabla de reproches :

- Tu as même osé voler ma Terre Proliférante ! C'est une rébellion !

Pensant que ce qu'il avait fait était juste, Gun nullement effrayé, tint tête à son grand-père :

- L'Humanité a subi un immense cataclysme et tous les hommes ont dû quitter leur foyer, manquant de vêtements et de nourriture. N'était-il pas injuste de les laisser mourir sans leur apporter aucun secours ? Répliqua Gun.

- Tais-toi ! Comment oses-tu me parler sur ce ton ?

Atteint dans son prestige, l'Empereur éclata de colère. Sans laisser à Gun le temps de se défendre, il donna l'ordre à son gardien Zhu Rong de l'emmener dans les monts Yushan au pôle Nord et de le mettre à mort. De plus, il ordonna qu'on rapportât la Terre Proliférante au Palais.

Ainsi l'Humanité qui venait juste d'échapper à la catastrophe, fut à nouveau frappée par le fléau des inondations.

Gun, tué sur l'ordre de l'égoïste Empereur Céleste, resta vivant dans le coeur des hommes. Son corps resta trois ans sans se décomposer. Craignant que Gun ne ressuscitât pour se venger, l'Empereur envoya un génie éventrer la dépouille de Gun. Mais le ventre de Gun s'était ouvert de lui-même et de son coeur était né un fils, Yu. Après la naissance de Yu, le corps de Gun roula dans un abîme et devint un poisson.

Comme son père Gun, Yu avait un coeur généreux et était épris de justice, mais il était plus intelligent et plus courageux que son père. Il prit la résolution de reprendre et de poursuivre sa tâche inachevée pour dompter les Eaux.

Yu haïssait l'Empereur Céleste. Il ne monta pas au ciel pour implorer son aide, mais prit le parti de maîtriser les Eaux de ses propres mains et avec l'aide de tous ceux qui voudraient le suivre.

Yu savait que la cause première de tous ces désordres sur terre, c'était Gong Gong, le génie des eaux qui, avec son armée de diables des montagnes et de démons des eaux, troublaient l'ordre de la nature. On ne pourrait dompter les eaux sans le neutraliser d'abord.

Yu invita les divinités à se rassembler sur le mont Maoshan, au bord de la Mer orientale pour organiser une expédition commune contre Gong Gong. Ce projet généreux avait gagné beaucoup de partisans. Les divinités vinrent de partout. Il y avait là Bo Yi le génie des oiseaux, Wu Muyou le génie des bois, Tong Lü chargé du maintien des règlements et de la loi céleste, Geng Chen le génie du temps ainsi que Kui Long, Ying Long et d'autres encore...

Ils se consultèrent : La Plaine centrale du mont Tongbai était la région la plus sinistrée ; elle était occupée par Wu Zhiqi, génie des eaux des rivières Huai et Guo. C'était le génie favori de Gong Gong. Fort de son pouvoir, il semait vent et tempête. Il était cruel et sans aucune retenue dans sa conduite.

Yu était passé trois fois par cette région. Il avait vu les crues déferler : Le spectacle de cette mer immense était effrayant. La décision fut donc prise de neutraliser Wu Zhiqi en premier.

Yu chargea d'abord Tong Lü et Wu Muyou de faire une expédition contre Wu Zhiqi. Mais comme le génie des eaux était très fort, ceux-ci ne pouvaient l'emporter. Wu Zhiqi était à la fois rusé et féroce. Il ressemblait à un gorille : Front proéminent, nez applati, une tête blanche sur un corps vert, des dents d'une blancheur de neige et des yeux jaunes, brillants de malice. Son cou mesurait une trentaine de mètres. Il était doté d'un force extraordinaire et pouvait se mesurer à neuf éléphants.

Généralement il se cachait dans l'eau et, lorsqu'il en sortait, c'était tantôt à l'Est, tantôt à l'Ouest et cela rendait difficile sa capture. Yu envoya alors Geng Chen, le Génie du Temps. Il était plus leste que Wu Zhiqi. A la vue de Geng Chen, Wu Zhiqi voulut se sauver dans l'eau, mais il était trop tard ; dans un cliquetis d'acier, il fut touché par la hallebarde de Geng Chen et capturé. Yu ordonna qu'on lui passe une chaîne au cou et qu'il lui soit accroché au nez une grappe de grosses cloches d'or, puis qu'on l'enferme à clef au pied du mont Gui, au bord de la rivière Huai, afin de le neutraliser à jamais.

Wu Zhiqui réduit à l'impuissance, il fallait maintenant sévir contre Gong Gong. Celui-ci se trouvait alors dans la région de Kongsang. Pour qu'il ne s'échappât pas par avance, Yu rappela les génies en consultation. Ils décidèrent d'encercler à l'improviste Gong Gong afin de le capturer d'un seul coup. Mais le Génie du Vent arriva en retard à la réunion, différant ainsi le départ de l'expédition.

Gong Gong eut vent de la capture de Wu Zhiqi et de l'expédition qu'on préparait contre lui. Il excita les crues et la région de Kongsang fut entièrement submergée. Profitant de la puissance des eaux, il s'enfuit on ne sait où.

Tout le monde était très fâché contre le Génie du Vent. A cause de lui, on avait manqué l'occasion de capturer Gong Gong et lorsque le retardataire arriva enfin au mont Maoshan, Yu le fit mettre à mort. On dit que le mont Huiji, dans la province de Zhejiang, n'est autre que l'ancien mont Maoshan. "Huiji" ne signifie-t-il pas "réunion de discussion d'un projet" ?

Après la capture de Wu Zhiqi et la fuite de Gong Gong, la tâche principale restait encore à faire : Drainer les eaux vers la mer et maîtriser les crues pour que les hommes puissent vivre en paix. L'oeuvre était immense et extrêmement pénible.

Après avoir bien réfléchi, Yu estima que pour dompter les Eaux, il fallait d'abord faire des recherches sur la configuration et le relief de la terre. Il ordonna alors à Da Zhang et Shu Hai, deux grands génies célestes, de mesurer la surface de la terre. Da Zhang marcha d'Est en Ouest et calcula la largeur de la terre : 200 033 500 li et 75 pas. Shu Hai obtint le même chiffre du nord au sud.

En outre, selon leur rapport, des rivières et des fleuves sillonnaient la terre en tout sens, tandis que d'innombrables abîmes s'ouvraient sur une profondeur de plus de 800 mètres. L'aménagement des Eaux sur une si vaste étendue ne serait pas chose aisée.

Cependant, vouloir c'est pouvoir. Déterminé à ne reculer devant aucune difficulté, Yu se lança dans cette tâche gigantesque pour délivrer l'Humanité de ce fléau le plus rapidement possible.

Pour draguer les fleuves et combler les abîmes, il fallait d'abord connaître l'inclinaison de la terre, et trouver les sources des fleuves et les endroits où l'on pouvait drainer les eaux des crues. A la tête d'une petite troupe et au mépris du vent et de la pluie, Yu chemina par monts et par vaux en faisant face à d'innombrables dangers. Il parcourut des régions où personne n'avait jamais mis les pieds. Il y vit des choses extraordinaires et apprit des histoires étranges qui sont présentées dans les contes des pays lointains.

Dans son travail d'aménagement des crues, Yu bénéficia du soutien de plusieurs divinités. Un jour, au cours d'une inspection dans les monts Longmen, il rencontra Fu Xi, qui habitait la région. Ce dernier lui offrit la carte des Huit Trigrammes représentant le ciel, la terre, le vent, le tonnerre, l'eau, le feu, la montagne et les lacs, ainsi que leur place et leurs rapports entre eux. Cela était d'une grande utilité pour aménager les eaux.

Un autre jour, Yu était en train d'inspecter le fleuve Huanghe lorsqu'un génie à visage d'homme et à corps de poisson surgit de l'eau et lui offrit à son tour une carte hydrologique. Ce génie n'était autre que Feng Yi, le maître des fleuves. Cette carte indiquait les directions des fleuves ainsi que leur débit. Comme dit le proverbe, celui qui s'en tient à la justice gagne toujours des soutiens. Grâce à ces deux cartes et à ses propres investigations, Yu put commencer l'aménagement des Eaux proprement dit.

On se mit au travail. Muni d'une pioche et d'un panier, Yu ouvrit le chantier sur lequel allaient travailler des milliers et des milliers de gens. Ils creusèrent des lacs, construisirent des barrages, transportèrent de la terre et comblèrent les ravins.

Au cours de leur travail, la Tortue Céleste qui avait aidé Gun à transporter la Terre Proliférante apporta son soutien à Yu. Elle pouvait transporter une colline en une seule fois. Pour combler un ravin profond de centaines de mètres, quelques allers et retours lui suffisaient. Le Dragon Ying, d'une taille gigantesque et d'une force herculéenne vint aussi apporter sa contribution à l'aménagement des crues. Avec son immense queue plus dure que l'acier, il pouvait draguer plusieurs fleuves en une journée.

Les travaux les plus durs et les plus pénibles furent sans conteste ceux du percement de la porte du Dragon. Le mont Longmen s'étendait sur des centaines de kilomètres et barrait le fleuve Huanghe sur son cours moyen, coupant le cours des eaux tumultueuses et les obligeant à s'écouler par une étroite vallée au pied de la montagne. Lorsque les crues venant d'amont se précipitaient ici, elles nepouvaient être drainées à temps et se ruaient partout en causant de terribles inondations.

Malgré la fatigue et en dépit du danger, Yu participa aux travaux de perçage du mont Longmen. En été, le soleil ardent leur tapait sur la tête ; les pierres étaient brûlantes et les corps luisaient de sueur. En hiver le vent hurlait, le froid fendait les pierres ; les doigts étaient transis et les pieds crevassés.

D'un bout de l'année à l'autre il fallait lutter contre le vent, le givre, la pluie ou la neige, se protéger contre les insectes venimeux et les fauves. Les printemps et les hivers se succédèrent. Finalement, après cinq années de travail acharné, la Porte du Dragon fut percée et les eaux purent désormais s'écouler librement.

Qhel orgueil et quelle joie lorsque les travaux furent achevés ! Les gens vinrent entourer Yu et lui exprimer leur gratitude. Leurs cris s'envolèrent jusqu'au ciel et secouèrent la cour céleste. Lorsque l'Empereur Céleste daigna jeter un coup d'oeil en bas, il n'en revint pas. il ne lui était jamais venu à l'idée qu'on pût réaliser un aussi gigantesque ouvrage.

Plus tard, la Porte du Dragon devint un endroit mystérieux. Chaque année, au début du printemps, les carpes vivant en aval de la Porte s'y rassemblaient pour sauter ce barrage naturel. On dit que celles qui réussissaient cet exploit devenaient des Dragons et celles qui échouaient se cassaient la tête et les branchies contre les rochers. Malgré le danger, peu de poissons ne tentaient pas leur chance.

La femme de Yu était originaire du mont Tushan dans le sud. Elle s'appelait Nujiao. Après leur mariage, Yu ne resta que quatre jours auprès d'elle, puis repartit aménager les Eaux. Nujiao donna naissance à un fils qu'elle appela Qi, comme lui avait demandé Yu avant de repartir. Qi signifie "départ" et symbolise le départ de Yu quatre jours après leur mariage.

Après avoir quitté sa famille, Yu parcourut le pays d'un bout de l'année à l'autre. Nujiao s'ennuyait beaucoup de lui. Souvent, son fils dans les bras, elle descendait au pied du mont Tushan pour attendre son retour. En vain, Yu ne rentrait pas. dans sa déception, elle composa pour lui la première chanson d'amour de la Chine du Sud :

"Ô homme que j'attends, sais-tu que le temps est long !..."

( La suite de ce chant n'est malheureusement pas connue. )

Un jour, comme d'habitude, son enfant dans les bras, Nujiao attendait au pied de la montagne. Soudain, elle vit un homme venir au loin. Ce n'est que lorsqu'il fut tout près qu'elle reconnut son mari. Epuisé par sa tâche, il avait beaucoup maigri. Ses pieds et ses mains étaient couverts d'ampoules, ses vêtement étaient en lambeaux. Seuls ses deux yeux brillants reflétaient toujours sa sagesse et sa volonté.

A la vue de Yu, Nujiao fut partagée entre la joie de le retrouver et la tristesse de le voir dans cet état. Elle le pressa de rentrer à la maison pour se reposer.

- Non, ce n'est pas possible, expliqua Yu à sa femme. Les travaux d'aménagement des Eaux ne sont pas finis et les gens bloqués sur des buttes ou réfugiés dans les montagnes sont toujours menacés par les crues. Il est urgent de les sauver !

- Reste au moins quelques jours à la maison, le supplia-t-elle. Regarde-toi, tes vêtements doivent être réparés et tes chaussures sont à refaire.

- Non, le temps presse ! Je sais qu'en mon absence, tu mènes une vie difficile, dit Yu sur un ton de regret, mais tant que les crues ne seront pas maîtrisées, je ne pourrai pas me reposer !

Il prit son enfant des bras de sa femme, lui donna plusieurs baisers, puis, après quelques paroles de réconfort à Nujiao, il repartit sans se retourner une seule fois.

La légende dit que Yu passa ainsi trois fois devant chez lui sans jamais s'arrêter.

Des années passèrent. Yu allait du Nord au Sud, du levant au couchant, malgré le vent et la pluie, la fatigue et les dangers, toujours à la tête des travailleurs pour dompter les Eaux.

Enfin, après treize années de travaux, les ravins furent comblés, de grands lacs creusés, les cours d'eau dragués. Les eaux coulaient désormais des montagnes vers les plaines, des lacs vers les fleuves pour se jeter finalement à la mer. Les plaines furent asséchées. On put réparer et construire les maisons, défricher les champs, élever des boeufs et des moutons, et mener une vie heureuse.

Sans se prosterner devant l'Empereur Céleste ni utiliser de Terre Proliférante, en comptant seulement sur ses propres forces, on réussit tout de même à aménager les eaux sous la conduite du sage et courageux Yu. Si l'exploit en revient à Yu, la fierté rejaillit sur toute l'Humanité. Pour le remercier, le peuple le désigna comme successeur de l'Empereur Shun qui, âgé et en mauvaise santé, céda volontiers sa place à Yu.

Les annales historiques chinoises indiquent que Yu le Grand fut le premier Empereur de la dynastie des Xia ( XXIe - XVIe siècle avant notre ère). Yu s'entoura de deux sages, Bo Yi et Gao Tao qui le conseillèrent utilement. Son règne fut prospère et, toujours proche du peuple, il allait souvent faire des inspections.

Là où la récolte était mauvaise, il faisait importer des régions riches des produits en quantité suffisante pour que tout le monde pût vivre tranquillement et se consacrer à ses occupations, avoir de quoi manger, de quoi s'habiller et mener une existence heureuse.

Il apprit au peuple à planter des arbres sur les versants des montagnes et du riz sur les terres basses.

Chaque année, les neuf préfectures du royaume devaient offrir des produits locaux à la capitale Anyi. Ce n'était pas pour satisfaire ses propres besoins, mais pour faire des échanges de produits dans tout le royaume.

Parmi les Empereurs de l'Antiquité, Yu le Grand fait figure de souverain sage et proche du peuple. Depuis cette époque, on utilise souvent l'expression : "Ne pas être inférieur à Yu" pour faire l'éloge de ceux qui accomplissent de grands exploits au service du peuple.

CRI

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