Calligraphie - Style d'herbe
La calligraphie « herbe », aussi nommée cursive ou écriture folle, c’est sans doute le plus frappant. Son nom peut être compris de plusieurs manières : soit c’est une écriture agitée comme l’herbe (c’est un des sens de 草 cǎo) dans le vent, soit elle est destinée à des usages éphémères, comme le brouillon (autre sens possible de 草), à la façon de la paille. Loin d’être une forme sténographique née de la précédente, c’est un type d’écriture à part entière. Le tracé des caractères ─ lesquels apparaissent fortement déformés, semblent formés sans contraintes apparentes, sont souvent liés entre eux et s’éloignent souvent du carré virtuel ─ repose sur des formes tachygraphiques empruntées autant au sigillaire, au style des scribes qu’à la régulière. Il existe, de plus, de très nombreuses variantes, selon les époques et les calligraphes. La lecture et l’écriture de ce style sont donc réservées aux calligraphes et aux spécialistes érudits.
L’histoire de ce style, qui a subi de nombreuses modifications, est complexe. On distingue deux cursives historiques principales, la 章草 zhāngcǎo, « cursive des sceaux » et la 今草 jīncǎo, « nouvelle cursive ». La première, dont les premières attestations remonteraient aux Royaumes Combattants, 戰國 Zhànguó, 475-221 avant notre ère, et qui a été perfectionnée sous les 漢 Hàn, dérive du style des scribes et de la sigillaire. La seconde, créée encore une fois sous les 漢 Hàn au IIe siècle de notre ère, est une modification de la zhāngcǎo elle-même. Si les caractères de la première cursive sont encore séparés les uns des autres et relativement réguliers, ceux du deuxième style prennent plus d’indépendance, allant vers le brouillage complet des limites entre traits et caractères eux-mêmes. 王獻之 Wáng Xiànzhī et 王羲之 Wáng Xīzhī des 東晉 Dōngjìn, Jìn Orientaux (317-420 de notre ère), sont considérés comme les maîtres en la matière.
Calligraphie de Sūn Guòtíng (孙过庭)Ce style se caractérise principalement par un tracé très codifié des caractères, qui sont abrégés et réduits à leur forme fondamentale et ne sont plus reconnaissables à l’œil profane. Les réductions procèdent soit d’une simplification naturelle du trait, le pinceau ne quittant que rarement la feuille, soit de graphies sténographiques conventionnelles parfois très anciennes, lesquelles ont pu donner naissance à certains des caractères simplifiés de la République populaire de Chine. Le calligraphe travaillant en style d’herbe ne trace cependant pas forcément les caractères plus vite que pour les autres styles : la rapidité est suggérée et décrite mais non recherchée en soi. Ce style, en effet, n’est maintenant que très rarement utilisé pour les brouillons : il demande une telle connaissance de l’écriture chinoise, de son histoire, et une telle maîtrise technique qu’il est principalement réservé à l’art. De fait, bien que cursif, le style d’herbe se trace le plus souvent avec application.
On peut facilement parler d’art abstrait et d’idéalisation de l’écriture, celle-ci étant presque seulement esquissée, ses mouvements plus que ses tracés étant écrits. La calligraphie en haut de cette section a été exécutée par Iris Yǎwén Hsú (徐雅雯). C’est un extrait du 九歌 Jiǔ Gē (Neuf chants) de 屈原 Qū Yuán (339 ?-278 avant notre ère) dont voici le texte en caractères réguliers (la calligraphie se lit bien sûr en colonnes de droite à gauche) : 帝子降兮北渚, 目眇眇兮愁予. 袅袅兮秋風, 洞庭波兮木葉下 (Dì zǐ jiàng xī běi zhǔn mù miǎo miǎo xī chóu yú. Niǎo Niǎo qiū fēng, dòng tíng bō xī mù yè xià). On remarque que, parmi les contraintes sténographiques (feintes), l’auteur a utilisé le caractère d’itération, 々, servant à ne pas répéter les caractères redoublés : on lit en effet 眇々 dans la deuxième colonne (en partant de la droite) et 袅々, en haut de la troisième colonne, au lieu de 眇眇 et 袅袅.
Celle de Sūn Guòtíng (孙过庭) est tirée du 書譜/书谱 Shūpǔ (Traité de calligraphie) et a été réalisée vers 650.