Merci Lililele, sujet passionnant.
Avant de parler des valeurs morales, il est plus adéquat de parler de ce qu'est la morale, en Chine et en Occident. J'essaie de revenir sur les notions de base, sans tenir compte de ce qu'en ont fait les boutiques de spiritualités.
En Chinois, le mot moral, s'écrit, Dao De, 道德. Dao, 道 est la Voie, De, 德, est la vertu. Les deux mots sont séparés à l'origine. Depuis le livre de Laozi, le livre de la Vertu de Voie, 道德经, les deux mots sont accolés. Mais le mot De, 德, continue aussi à être utilisé séparément.
Le mot De 德, est synonyme de 得 dans l'ancien chinois. Il est interprété comme "ce que l'on obtient par action" selon le livre 集韵, 德 : 行之得也. De, 德 est interprété dans deux sens, celui du haut ou grand, 上德, et, celui du bas, petit, 下德, cf Laozi, 上德不德,是以有德;下德不失德,是以无德.
Dans l'ancienne Chine, il est communément admis que, si une action est faite en faveur d'autrui, sans attendre un quelconque retour, ni a priori ni a posteriori, alors celui qui agit accumule (ou obtient) de la "haute vertu" , 上德, et il est sur le chemin de l'homme de bien. Sinon, c'est de la "basse vertu" , 下德, et, cet homme-là ne s'élève pas. Cette interprétation prend le Ciel et la Terre comme témoins. Puisque le Ciel et la Terre - eux-même nés de Dao -, sont la mère de toute chose sur terre, les nourrissent, et, ils ne réclament jamais rien en retour. Ils sont donc les meilleurs témoins de la Vertu de Dao.
Quand l'action de l'homme est en concordance avec celle du Ciel, ou, quand la voie de l'homme coïncide avec (suit) la voie du Ciel – la Grande Voie, Dao, 道 -, on dit l'homme et le Ciel ne font qu'un, 天人合一. D'où, la notion de morale, 道德.
Les trois écoles, daoiste, confucianiste et bouddhiste, donnent des méthodes différentes mais dans le même esprit - accumuler de la vertu, 积德. Cependant, l'école de confucianisme a mis l'accent sur la notion de grand amour - ren, 仁, ou l'amour universel, en parallèle de la notion d'autrui : nous sommes tous frères. Mencius en a fait une interprétation très riche. De plus, le bouddhisme a introduit la notion de la grande compassion, 慈. Il s'agit de ressentir la souffrance quand un autre souffre.
Le mot morale, son étymologie remonte au latin, mores. Le mot signifie moeurs, us et coutumes. La morale chrétienne est basée sur l'Amour.
Par comparaison avec le sens du mot amour dans la civilisation occidentale, l'Amour inconditionnel de Jésus, est très proche de cette interprétation de Vertu.
C'est comme l'esprit d'une mère (des parents, mais moins clair pour un père) donnant la vie à un enfant avec vrai amour, sans rien attendre pour elle (les parents), de cet enfant. Il suffit que l'enfant devienne un vrai homme (femme) pour qu'elle soit heureuse .
Dans la perspective chrétienne, il s'agit d'abord de comprendre que j'existe en relation (avec dieu et les autres, mes prochains). La promesse et la vertu sont des moyens de construire ces relations en faisant que je devienne pleinement moi-même, justement, parce que je reconnais que j'ai fondamentalement besoin que l'autre soit pleinement lui-même (dieu ou homme), pour que je puisse être moi. Or la vérité de cette relation est l'amour : aimer l'autre comme soi-même. Ce qui suppose aussi de s'aimer soi-même mais en sachant que l'autre ou moi ne pouvons pas exister sans cet amour. La morale chrétienne est donc basée sur l'Amour.
Ce n'est pas pour rien que Leibniz, nomme la civilisation chinoise, une « théologie naturelle ».
Depuis la modernité, aussi bien en occident qu'en Chine, il y a une crise de morale. Car la morale, est une notion basée sur l'entre-deux - le relationnel, origine de la religion en Occident. Or nous sommes dans une période où il y a domination de la notion de l'individu.
La révolution chinoise voulait une coupure radicale avec l'ancien. Abat la boutique de Confucius, est le slogan depuis le mouvement de 5.4. Le maoïsme est un matérialisme pure et dure, une sorte d'extension de la dialectique matérialiste marxiste. Il a dominé la chine pendant 30 ans. De plus, la production de richesse sans précédant et le commerce en Chine actuelle, amènent la convoitise, la jalousie, la cupidité, etc., si bien que la notion originale de morale, est presque oubliée. Il n'est pas étonnant que depuis quelque temps, il y a une campagne sur la morale en Chine, qui n'est basée sur rien d'autre que la notion de grande vertu.
En Occident, depuis l'avènement de l'individu, et surtout celui de l'individu souverain, agrémenté de la dominance de matérialisme pure, la morale est une affaire individuelle. Kant a essayé de définir la morale en se basant sur l'individu, sans y parvenir (voir Dialogue sur la morale de F. Jullien). L'origine de l'individu souverain, est celui de Nietzsche. Celui-là, est capable de promettre (envers Dieu ou autrui), rien à voir avec celui d'aujourd'hui - une espèce d'«homme-ego universel», issue de la catégorie Soi dont la naissance est liée au sujet homme et au pronom réfléchi de la langue indo-européenne-, sur lequel, sont bâtis, les droits dits «naturels et inaliénables». La morale est en crise profonde.