Impression chinoise n°1 : l'intimité des latrines chinoises.
Dans ce bus qui me conduit à Yangshuo, je repense à mes premiers jours en Chine. Pour l'instant, pas de grands bouleversements.
J'ai passé mes longues heures de voyage de Paris à Hong Kong le plus agréablement possible. A moitié dans les vapes, au beau milieu du désert des Qatar, j'avais eu la crainte d'y rester bloquée. "Mais pourquoi diable ce jeune homme de l'aéroport griffonne-t'il mon billet? Et maintenant, il m'annonce que je n'ai pas la place réservée sur le site de la compagnie aérienne???" Heureuse surprise : je réalise que je venais d'être reclassée en business class ! Navette de bus particulière, siège-lit massant, ronce de noyer, produits de beauté de luxe offerts, caviar, foie gras, chardonnay... J'avais atterri à Hong Kong fraîche et dispo et pu profiter tout à loisir du superbe trajet de l'aéroport de l'île de Lantau à la Cameron Road, dans le quartier des routards. Le soir, j'avais découvert le pittoresque marché de Temple Street et ses étals de délicieuses et parfois étranges spécialités culinaires, et la magie de la baie sous la pluie et la brume.
x" width="px" align="" alt="illustration" >
Canton s'était averée un peu plus dépaysante. J'avais profité avec bonheur de l'ambiance particulière de l'ancien quartier colonial de Shamian : exercices de taï chi, chants et danses populaires, jeux de dominos chinois... Le spectacle était partout.
Je m'étais étonnée des étalages du célèbre marché de Qinping : bocaux d'hippocampes, bassines de scorpions ou serpents, amas d'ailerons de requins, champignons bizarres, sacs remplis de mouches, larves ou coléoptères, produits de pharmacopée inconnus...
Je m'étais imprégnée de l'ambiance appaisante et colorée des temples bouddhistes et taoïstes, parmi les effluves parfumées des cônes d'encens et des chants psalmodiés des moines. J'avais admiré les boutiques d'articles de prière alentour.
J'avais pris en pleine face, au détour d'une étroite ruelle typique, un Canton plus moderne, aux grandes avenues aérées et aux magasins de mode, décoré de fanions, de lanternes et d'enseignes rouges.
Pas de doute, j'étais bien dans cette Chine aux multiples facettes.
x" width="px" align="" alt="illustration" >
Ma première tentative pour quitter Canton s'était soldée par un échec et une grosse frayeur. Mon chauffeur de taxi, sous prétexte d'éviter les bouchons, m'avait promenée dans toute la ville avant de me laisser à une station de bus locaux... juste à côté de mon point de départ. J'avais dû le menacer d'un appel à la police touristique pour qu'il baisse le prix exorbitant demandé et j'avais fini par l'abandonner sans payer, sous le regard amusé du policier qui venait de me renseigner. J'eus la chance de demander mon chemin à une jeune Chinoise dont l'apparence douce tranchait avec la froideur habituel des Cantonais. Elle se fit un devoir de m'accompagner jusqu'à la gare et me paya même mon ticket de bus ! Elle voulut m'inviter dans sa famille, mais je ne m'attendais pas à ce que tous les bus soient complets, et elle avait déjà tant fait pour m'aider...
Le lendemain, j'avais enfin pu prendre mon bus pour Yangshuo. Ah, les joies d'une grande gare routière au moment de Xinming, la Fête des Morts ! D'abord trouver l'entrée, puis la zone des départs, se faire orienter vers la bonne porte d'embarquement... Heureusement que mon bus était encore plus en retard que moi ! Ensuite bouchonner pour sortir de la ville et de la province, tenter d'oublier les soubressauts de la route et les sollicitations de sa vessie... Enfin, la pause tant espérée. J'avais eu quelques lectures sur la vétusté des toilettes publiques des villes, mais j'avais été rassurée de lire les efforts entrepris ces dernières années. Rien n'aurait pu me préparer à ce que j'étais sur le point de vivre.
Imaginez... Vous suivez un groupe de femmes vers la zone qui vous est réservée. Vous entrez dans une petite pièce rectangulaire en béton légèrement éclairée. Et là, devant le spectacle qui s'offre à vous, vous vous mettez à prier. Prier, mais pourquoi donc ? Prier, pour qu'une latrine des extrémités se libère quand sera venu votre tour. Prier, pour ne pas avoir à vous accroupir les fesses à l'air devant ces femmes qui attendent leur tour. Prier, pour avoir droit à ce peu d'intimité qui pourrait vous être offert si vous avez la chance... Prier, pour la chance de ces latrines des extrémités. Prier, parce que devant vous, ce petit muret n'offre aucune intimité à ces jeunes femmes accroupies, les jambes écartées au-dessus de ce caniveau qui relie toutes ces latrines. J'ai dû prier tellement fort que j'ai eu la chance !
Ah, ma dépaysante Chine...
Impression chinoise n°2 : Le culte des ancêtres.
Mon bus mettra 14 heures pour atteindre Yangshuo. Je décide d'arrêter là mon périple plutôt que de poursuivre vers Guilin, ma destination initiale à une heure de route. Il est déjà 23h, il fait nuit noire, mais la ville est encore très animée. Je croise le chemin d'une jeune assistante professeur d'Anglais et accepte son invitation de dormir à l'école d'Anglais, dans un grand appartement. Le lendemain, Joyce m'emmène prendre mon premier petit-déjeuner traditionnel dans une petite échoppe au bord de la route : un grand bol de nouilles chinoises agrémenté de viande, légumes et de sauce épicée. Après m'avoir aidé à trouver l'hôtel que je cherchais, elle m'invite à partager leur repas, préparé par un des responsables de l'école, ancien cuisinier. Plusieurs plats de viande, légumes et poissons cuisinés de différentes façons sont disposés sur la table, et chaque convive pioche directement avec ses baguettes ce qui lui fait envie. Chacun dispose d'un bol pour l'incontournable riz gluant qui accompagne chaque bouchée. Un vrai délice.
Dans l'après-midi, je pars à la découverte des berges de Yangshuo, accompagné de l'un des jeunes professeurs. Nick vient d'arriver à l'école et connaît assez peu la ville. Comme Qingming vient de débuter, les pains de sucre et la montagne résonnent des milliers de pétards que les familles font exploser à la mémoire de leurs ancêtres. Le culte des ancêtres est en effet extrêmement important en Chine et une famille manquerait à son devoir si elle n'honorait pas ses ancêtres régulièrement. Ce culte mêle croyance et superstition. Les Chinois pensent en effet que les ancêtres sont toujours parmi eux. Ils choisissent donc toujours un lieu avec un bon feng shui et une superbe vue, pour implanter leurs tombes, véritable maison de leur ancêtre. Des magasins entiers sont consacrés aux articles de tombes. On y trouve des maisons en papier, des machines à laver, des voitures et une multitude d'accessoires de la vie quotidienne en carton. A Hong Kong, je découvrirai toute une rue consacrée à ses articles et aux cercueils magnifiquement travaillés. A l'occasion de la fête de Qingming, qui dure plusieurs jours, les familles nettoient les tombes, y accrochent des papiers rouges, des billets et des pétards, y déposent des offrandes de fleurs, nourriture et boisson. L'explosion des pétards doit être la plus bruyante possible pour que les ancêtres constatent à quel point leur famille pense à eux et les honore. Il n'est d'ailleurs pas rare que la montagne prenne feu...
Qingming était l'un des sujets favoris des peintures traditionnelles chinoises. Sous les Song (960 à 1279), Zhang Zeduan a fait un tableau fameux, intitulé "Qingming Shanghetour" (Scène de vie le long du fleuve le jour de Qingming). Cette peinture sur soie (5,5 m de long sur 0,25 m de large), une des plus précieuses de Chine, est conservée dans le Musée du Palais Impérial (la Cite Interdite Pourpre) à Pékin. Elle représente une vue panoramique de la vie sociale de l'époque : une route à circulation intense au bord de la rivière, des foires sur les champs, des villages pleins de vie, des ruelles bondées de gens de professions diverses et d'age divers : fonctionnaires, marchands, soldats, lettrés et porteurs, ainsi que hommes, femmes, jeunes et vieux. Le tableau totalise environ 500 personnes et une vingtaine de bêtes, sans compter des véhicules, chaises à porteurs, ponts et bateaux. Plus de 700 ans plus tard, j'ai le sentiment d'être transportée dans cette peinture : la rivière Lee sur ma droite, une route bondée de personnes de tout âge et condition portant parfois des volailles en cage (civils habillés plus ou moins richement, militaires,...), le passage de quelques véhicules, les bateaux, des marchands ambulants, la montagne ponctuée de tombes et de la fumée des pétards... Malgré la modernité des habits, des moyens de transport et des échoppes, l'ambiance est restée identique.
x" width="px" align="" alt="illustration" >
Qingming est non seulement le jour du culte des ancêtres, mais aussi le signe annonciateur du printemps. Han Hong, poète sous les Tang, y a consacré un joli poème :
* Les chatons fleurissent profusément à travers la capitale,
* Une scène significative du paysage printanier.
* Sous le souffle du vent d'est le jour de l'Aliment froid,
* Les saules pleureurs se courbent dans la cour imperiale.
* Quand la nuit tombe doucement,
* Les chandeliers s'allument dans le Palais Han.
* Vers les cinq grandes maisons des nobles,
* S'envole la fumée argentée des bougies.
Le jour précédent Qingming s'appelle Hanshi (aliment froid en français). Ce nom a son origine dans une anecdote historique : Durant la Période des Printemps et Autonmes, au 7ème siècle, le Duc Xiao, le monarque de l'Etat de Jin, nourrissait l'intention de priver de ses droits à la succession le prince héritier Shen Sheng, son fils ainé, au profit de Li Ji, l'enfant de sa concubine favorite. Plus tard, Shen Sheng fut assassiné, et le second fils Chong'er s'enfuit, ayant appris que le même sort lui était réservé. Le fugitif et son entourage vécurent de vagabondage pendant 19 ans, "sans feu ni lieu". Un jour, il était à l'agonie après plusieurs jours de famine. Un de ses sujets fidèles, Jie Zitui, préleva un morceau de chair sur sa propre jambe et le servit à son maitre, qui se remit rapidement de sa faiblesse extrême. En 636 av. J.C., Chong'er réussit finalement à monter sur le trône, avec le titre officiel de Duc Wen de l'Etat de Jin. Au lendemain de son intronisation, il récompensa sa suite d'époque, sans se remémorer pourtant l'offrande de Jie Zitui. Celui-ci, le coeur brisé, quitta le pays. Lorsque le Duc se rappela plus tard la fidélité de Jie, il envoya des gens à sa recherche. Ayant appris sa demeure, le Duc s'y rendit en personne pour lui demander de pardonner sa négligence et de retourner dans le palais ducal. Mais Jie refusa son offre et se retira dans les profondeurs des montagnes, si bien que personne ne l'a plus trouvé. Des fonctionnaires proposèrent au duc d'incendier la région montagneuse pour forcer Jie à en sortir et lui assurer une vie aisée. La proposition fut acceptée. On mit le feu dans les montagnes. L'incendie dura trois jours. Jie Zitui fut retrouvé, adossé à un grand arbre et portant sur le dos sa mère. Mais ils étaient morts tous les deux. Fortement navré, le Duc decréta la construction d'un monastère à la mémoire de son plus fidèle sujet et l'interdiction d'allumer le feu à l'anniversaire de sa mort. Tout le pays devait manger l'aliment froid ce jour-là, qui s'appela "Hanshi". (Source : chine-informations.com)
Impression chinoise n°3 : Programmes télévisés.
Le lendemain, Nick emprunte deux vélos à l'école et nous pédalons au milieu des pics karstiques jusqu'à un village à une dizaine de kilomètres, Fuli. Le marché est malheureusement terminé et nous déjeunons dans un des rares endroits ouverts et à l'hygiène semble t'il correcte. Seules deux grandes tables rondes et une télévision occupent la vaste pièce et je remarque que les autres convives sont tout à coup totalement captivés par l'émission télévisée. Ce que je prends pour une tribune politique est en réalité la diffusion d'un procès pénal. Nick m'explique qu'il n'est pas rare de pouvoir regarder ce genre de programme "éducatif". Toutes les étapes du procès sont diffusées, que ce soit le témoignage de l'accusé, des victimes, le réquisitoire du procureur, la délibération ou la sentence finale. On va même jusqu'à interviewer les condamnés à mort dans leur cellule juste avant leur exécution, afin qu'ils témoignent de leurs erreurs et montrent leur repentir. Par ces programmes éducatifs, le Parti entend marquer les esprits pour éviter que d'autres ne commettent les mêmes fautes. Nick me raconte un procès qui a eu un grand retentissement : celui d'un chauffeur de taxi qui avait volé et molesté un touriste. A l'issue du procès télévisé, le chauffeur avait été condamné à mort. Je n'ose imaginer la culpabilité que ce touriste va ressentir toute sa vie, et suis soulagée de ne pas avoir alerté la police lors de ma mésaventure cantonnaise...
La télévision diffuse maintenant ce que je prends d'abord pour une publicité. Il faut dire que cela ressemble fortement à celle qu'on nous diffuse actuellement sur l'Armée de Terre... Nick m'explique qu'il s'agit en réalité d'un clip vantant les mérites de l'administration. Une jeune femme en tenue militaire hivernale entonne un long chant patriotique, alors que des images de la dernière catastrophe défilent à l'écran. On y voit les villes et les campagnes recouverts par la neige, les hélicoptères de l'Armée chargés de vivres et de couvertures, venant approvisionner la population affamée et gelée, les techniciens électriques dégelant les câbles électriques qui ploient sous le givre, les pompiers venant au secours des gens coincés dans leur maison et des plus démunis... Il s'agit là de rassurer la population et de lui montrer que le pays est capable de venir à bout des épreuves les plus difficiles et même de braver les éléments, que le Parti prend soin coûte que coûte de sa population.
Avant de continuer notre promenade au bord de la rivière Li, je fais un détour par les toilettes, à côté de la cuisine. J'ouvre la porte et me trouve nez-à-nez avec... des poulets en cage. Les locataires des lieux peuvent ainsi déposer directement leurs fientes dans les toilettes!...
Nous nous promenons en discutant sur les berges tranquilles de la rivière. Nick s'étonne que je voyage alors que mes parents s'inquiètent lorsque je pars. A 28 ans, le jeune homme doit en effet systématiquement demander l'autorisation de ses parents s'il veut s'absenter...
Je passe la soirée avec Luc, le Français propriétaire de l'hôtel Hong Fu Palace, et ses amis. J'étais allée le voir pour qu'il me donne des tuyaux de visite, nous avions sympathisé, parlé voyage, et j'avais décidé d'emménager dans une des superbes chambres de son hôtel, l'ancienne demeure d'un riche négociant.
x" width="px" align="" alt="illustration" >
x" width="px" align="" alt="illustration" >
Impression chinoise n°4 : Point besoin de mots pour de jolies rencontres.
Le jour suivant, je m'installe dans la superbe suite Napoléon de l'hôtel de Luc. Celui-ci a donné des consignes et je suis déjà accueillie en amie. Un des guides travaillant avec lui, David, un ancien professeur d'Anglais d'origine chinoise, me prodigue maints conseils afin que je puisse découvrir les environs de Yangshuo en marchant et avec les transports locaux. Au début peu rassurée à l'idée de me perdre en randonnant seule, je m'aperçois vite que les locaux font tout pour me faciliter la découverte. J'emprunte une très agréable route pour me rendre à la colline de la Lune (Moon Hill). Il n'est pas étonnant que ces magnifiques paysages aient tant inspiré les peintres et poètes. Ce n'est que pics karstiques recouverts de verdure et parfois entourés de brume, petites habitations traditionnelles, vastes champs verdoyants. Je traverse la rivière Jingbao et l'endroit est tellement magique que des hordes de bateaux en bambous l'ont envahie. Je m'arrête un moment pour regarder un de ces bateaux glisser sur l'eau. La douce mélodie traditionnelle chantonnée par une femme à son bord ajoute au charme de ce moment de contemplation.
Autour de moi, les collines portent les noms poétiques de Pic du Lotus de jade ou Pics Porte-Pinceaux. Après avoir dépassé le site du Grand Banian, un banian tellement vieux qu'il a fini par devenir une forêt à lui seul, j'arrive en bas de la colline de la Lune. Je m'assied quelques instants pour lire et me reposer, bien vite rejointe par une petite dame d'un âge avancé. Elle insiste pour monter avec moi et me vendre de l'eau. Je commence l'ascension en espérant la semer mais elle est tenace et bien mieux entraîner que moi, et surtout, elle se ménage ! Au bout d'une longue et pénible montée, encouragée par ceux qui descendent, j'arrive au sommet. Mon effort est largement récompensé. Le panorama sur les pics, cours d'eau, villages et champs est splendide et l'arche qui constitue la colline ajoute au charme et à la singularité du lieu.
x" width="px" align="" alt="illustration" >
Je décide de poursuivre vers le village de Gaotian (prononcez Gaotine). Juste en face de Moon Hill, je découvre des pisciculteurs en plein travail. Vêtus de grands imperméables verts et de chapeaux de paille, de l'eau jusqu'au dessus de la taille, un couple et leur fille trient les poissons dans différents filets. Voyant mon intérêt pour leur travail, la jeune fille ne cesse de me gratifier de jolis sourires. D'ordinaire très gênée à l'idée de photographier sans autorisation, je n'ai besoin d'aucun mot pour comprendre l'invitation à filmer et prendre des photos.
Un peu plus loin, c'est la contemplation des travaux des champs qui m'arrête quelques instants.
Alors que j'approche de Gaotian, j'aperçois une femme et son gros bébé, assis au bord de la route. Elle doit attendre son mari qui travaille dans les champs. Elle répond à mon "Ni hao" par un grand sourire surpris. Elle est tellement heureuse, curieuse et surprise de voir une touriste blanche se promenant par ici que je décide de m'asseoir à mon tour. Sans que nous ayions besoin de mots pour communiquer, je comprends qu'elle est heureuse que son bébé puisse voir mon visage d'occidentale de si près et que je lui dise bonjour en chinois. Je prends une photo de ce gros visage étonné. La maman est émerveillée et fière de voir son enfant sur le petit écran de mon appareil. Nous passons de longues minutes ensemble à communiquer sans un mot, magie de rencontres simples... Les gens de Gaotian et des proches environs semblent peu habitués à la présence de touristes, les enfants m'accompagnent de leurs sourires et de leurs rires, charme de l'Asie... Cette gentillesse et cet accueil valent bien tous ces splendides paysages, qui seraient bien fades sans cela...
x" width="px" align="" alt="illustration" >
Impression chinoise n°5 : Hot Dog Pot.
Ah, la beauté des marchés traditionnels ! Celui de Fuli a lieu les jours finissant par 2, 5 et 8 et David me l'a recommandé, le plus intéressant des environs d'après lui. Je décide donc de prendre un minibus local, pour une poussière de yuans. J'adore prendre ces petits véhicules, agréable moment de partage avec la population locale. Le marché n'est pas aussi touristique que le prétend le routard et les exposants sont fiers de me voir regarder tout ce qui nous entoure de façon aussi avide. Je ne retiens plus ma curiosité qui amuse bien plus qu'elle ne dérange. Comment ne pas retrouver ses yeux d'enfant quand on voyage dans des contrées si exotiques ? Et en matière d'exotisme, je vais être servie...
On trouve à peu près de tout sur ce marché : des distributeurs de miel, de la nourriture, des fruits et légumes, des objets ménagers, du tabac séché, des jeux pour enfants, des vêtements, des CD, des produits de pharmacopée chinoise...
Des hommes se font couper les cheveux et la barbe, des femmes font réparer leurs bijoux, d'autres cirer les chaussures. Des groupes sont attablés autour de diverses spécialités culinaires.
x" width="px" align="" alt="illustration" >
Un groupe d'hommes attire plus particulièrement mon attention. Ils sont assis sur de petits tabourets autour d'une table basse où trône un caquelon à fondue. Ma curiosité me pousse à m'approcher et à observer le contenue de la fondue. Aussitôt, les hommes me font signe de m'approcher. Ils veulent absolument que je me joigne à eux. Devant mon refus, ils insistent, me tendant cigarettes et boissons. Je finis par céder, partagée entre curiosité égoïste et envie de leur faire plaisir. Cette façon si simple de partager réchauffe décidément le coeur. Ils me désinfectent des baguettes avec de l'alcool de riz, en font de même pour mon bol, me dotent d'un récipient de sauce et d'un gobelet. Ils veulent absolument que je goûte leur fondue.
x" width="px" align="" alt="illustration" >
J'insiste pour savoir de quoi elle se compose, mais mes compagnons ne parlent que le mandarin ou le dialecte de leur région. Je leur montre mon petit livre d'illustrations. Ils me répondent que l'animal de la fondue n'y figure pas. Ils trient pour moi ce qui représente pour eux les meilleurs morceaux : les abats, le coeur... La fondue (hot pot...) est agréablement épicée et le goût de la viande ne m'évoque rien de connu. Comme j'insiste toujours, un de mes comparses mime à quoi ressemble l'animal : des oreilles dressées et petites, une taille petite à moyenne et me fait son cri... ressemblant vaguement à un aboiement. Comme l'un d'eux n'avait pas reconnu les caractères chinois pour chien dans mon dictionnaire, je me rassure en me persuadant que je suis en train de déguster... un bébé buffle d'eau. Il faut bien se rassurer comme on peut... J'ai beau leur expliquer que je n'ai pas très faim, ils ne cessent de me servir encore et encore alors que mon bol n'est pas fini. Je profite du départ d'une partie de la troupe pour m'éclipser après les avoir chaudement remerciés.
Après avoir passé de longues heures à profiter du marché, je rentre à Yangshuo en suivant la rivière Li. Je retraverse le village, à la recherche du petit pont de pierre. Je retrouve la montagne, ponctuée du rouge et gris des nombreuses tombes et animée du bruit des pétards. Qinming dure vraiment très longtemps cette année.
La promenade s'avère encore plus agréable que celles que j'ai faites jusqu'à présent. Outre la magnificence des pics karstiques, j'assiste aux scènes de la vie locale : femmes lavant le linge dans la rivière ou discutant, accompagnées d'enfants, à l'ombre d'un arbre, paysans travaillant dans les champs, pilotes de bateaux en bambous transportant des touristes,... Tous sont surpris de me voir marcher le long de la rivière plutôt que de me promener à vélo sur la route, et essaient d'échanger quelques mots. Je traverse des villages à l'extrême précarité et on n'est pourtant qu'à quelques kilomètres d'une ville moderne, touristique et riche... Je découvre un enfant jouant dans une décharge à ordures. C'est manifestement la première fois qu'il voit une occidentale et il s'enfuit en hurlant.
Plus loin, je m'aperçois que je suis sur la mauvaise rive de la rivière et je n'ai plus d'autre chemin pour poursuivre que la route. Une vieille femme, voyant mon désarroi, me mène, au travers des dédales de son village, vers l'embarcadère pour l'autre rive. On m'annonce que les traversées sont terminées et je n'ai d'autre choix que de rentrer par la route.
A peine rentrée, je demande à Luc comment on dit chien en chinois. La sonorité du mot ressemble étrangement à ce que me disaient ces messieurs du marché, mais je continue à me mentir...
Le lendemain, je décide de faire un peu de farniente et de profiter de la ville. Je commence par le marché, en terre battue. Lorsque j'entends les cris de désespoir d'un chien, je me dirige vers la partie réservée à la vente de viande de chien. Je me remémorre les images du boucher d'autrefois, où la viande en partie découpée était suspendue à des crochets, sauf que là il s'agit de chiens... Je dois en avoir le coeur net et interroge un commerçant derrière sa vitrine de viande; et cette viande si ressemblante à ma fondue... J'ai bien mangé du chien, de la fondue de chien, hot dog pot...
Alors, si vous allez dans le Sud de la Chine un jour, ne croyez pas tous ces guides papier : la viande de chien est très chère en ville; mais à la campagne et dans les petites villes, on laisse les chiens se reproduire librement et, croyez-moi, il y en a beaucoup !
Impression chinoise n°6 : le charme bientôt perdu d'un village ming.
Remise de mon expérience culinaire quelque peu déroutante (étonamment, mon estomac fragile d'occidentale ne m'a jamais fait de misère en Chine), j'emprunte un minibus local pour le Pont du Dragon. La visite de ce site, construit sur la rivière Yulong en 1412, est le prétexte d'une agréable randonnée, du pont à Yangshuo.
Le cheminement au travers de vastes champs et vergers, suivant constamment la rivière, donne une toute nouvelle dimension, aux pics karstiques qui se reflètent dans l'eau. Aux bruits des insectes et de la rivière, se mêlent parfois les cris de quelques touristes appeurées par le passage de leur radeau de bambous sur les rapides. Je m'amuse à les observer et à filmer la dextérité de certains pilotes remontant le cours d'eau.
Parfois, je découvre de rares habitations faites de briques jaunes. Sans la présence d'une vache devant l'une d'elles et le papier rouge porte-bonheur sur les portes et les tombes, on pourrait croire qu'elles sont abandonnées.
Après m'être faufilée à travers les champs, parfois sans autre chemin que les sillons tracés par les paysans ou des pierres au-dessus d'un cours d'eau, j'arrive au pont qui mène au village ming de Jiu Xian. Je suis accueillie par un vieux monsieur portant un carton décoré de rouge et d'inscriptions chinoises. Il se met rapidement à poser devant mon objectif, mais je sais bien ce qu'il attend de moi et je fais celle qui ne comprend pas : j'ai toujours refusé de payer pour une photo et je n'ai aucune intention de payer un droit de passage pour le pont dont il s'est arrogé la propriété. Beau joueur, il me fera de grands sourires lorsque je quitterai Juixian.
Jiuxian possède de très anciennes demeures à l'architecture ming, ce qui en fait un village de plus en plus fréquenté par les petits groupes de touristes. Ce beau village, encore à l'écart des grands circuits touristiques, risque fort de ne plus le rester bien longtemps et les premiers effets de cette nouvelle notoriété se font déjà sentir. Je suis d'abord accueillie par deux petits garçons habillés de la même façon. Loin d'être effrayés à ma vue, ils se mettent à me fouiller les poches et essayer de me prendre tout ce que j'ai sur moi et que j'accepterais de leur donner... Bien qu'encore très jeunes, leurs mimiques et gestes dénotent parfois la violence dont ils pourraient faire preuve s'ils se sentaient en force.
Le village benéficie d'un environnement privilégié, digne du meilleur feng shui, avec la rivière et les pics karstiques tout autour. La découverte de l'architecture ming est très agréable. Je sens néanmoins de plus en plus le poids d'un mercantilisme qui grandit peu à peu. Comme je suis seule, on ne me réclame pas d'argent pour les visites, mais je remarque vite que les autres touristes, accompagnés de leur guide, sont obligés de rétribuer les gens du village pour pouvoir le visiter. Comme c'est la sortie des classes, les enfants les poursuivent de leurs sollicitations pour obtenir quelques pièces ou bonbons. Et, à ma grande surprise, alors que les touristes viennent de partir, certains enfants se mettent... à me taper ! En chemin, d'autres essaient de m'effrayer en me mettant un serpent sous le nez. Quel dommage que ce si beau village soit devenu un lieu aussi inhospitalier !
La beauté des paysages pour rentrer à Yangshuo me font heureusement bien vite oublier mes désagréments et je finis la journée par une délicieuse fondue... de poisson cette fois !
Impression chinoise n°7 : de joyeuses funérailles...
Alors que David m'avait déconseillé la visite des temples Wen et Wu de Gongcheng qui me couterait cher d'après lui, une femme travaillant pour une agence de voyages et rencontrée dans la rue, m'explique que je peux sans problème m'y rendre en minibus local. Stephen, un ami chinois de Luc, me confirme l'information et me recommande fortement cette visite. Sur leurs conseils, j'emprunte un premier minibus qui me mène à l'intersection près du marché de Fuli, puis un second minibus m'emmène en suivant vers Gongcheng. Les chauffeurs de bus et leurs occupants s'efforcent de me faciliter le trajet et s'assurent que je ne me trompe pas. Il faut dire que mes nouveaux amis écrivent toujours sur mon calepin ma destination en chinois, ce qui me facilite grandement les déplacements et le contact. Cette destination et ces temples, situés à 45 kilomètres au sud de Yangshuo, ne sont en effet repris dans aucun guide de voyage.
Le temple de Wen, aussi appelé Temple de Confucius, a été construit sur les pentes douces d'une colline il y a plus de 600 ans. C'est l'un des quatre plus grands temples de Chine dédié à la vie de Confucius; le plus important se trouvant à Qufù, la ville natale du Maitre.
Bien que longtemps délaissé, dans les faubourgs d'une grosse ville plutôt moderne, cet ensemble de temples reprend des couleurs et constitue un bon exemple de lieu de pèlerinage traditionnel. Les différents pavillons, à l'architecture impériale ornementée, alliant le bois et la pierre, sont disposés sur plusieurs niveaux. En bas, dans la cour centrale, un pont en pierre enjambe un magnifique petit bassin semi circulaire et, sur le côté, une stèle recouverte d'écritures repose sur le dos de bixi (une tortue mythologique proche du dragon). Le pavillon des lettres est un lieu de recueillement pour les étudiants à la recherche de succès dans leurs examens. Plus haut, un mémorial contient des tableaux sculptés d'épisodes de la vie de Confucius et de récits rattachés à l'iconographie du sage. Le temple principal renferme une grande statue de Confucius assis sur un trône dans une alcôve rose et or, et gardée par un quarteron de statues monumentales.
Après avoir visité tranquillement ces deux temples, je décide de monter sur la colline à proximité. Le site est très agréable, et je redescends par une petite place, où se sont installés plusieurs groupes de joueurs de cartes et dominos chinois.
Mon appareil photo et moi devenons vite l'attraction de la place et du proche terrain de jeux, où les enfants et mamans essaient d'échanger quelques mots avec moi. Même si les gens sont heureux de poser pour moi, j'abandonne vite mon appareil pour pouvoir discuter avec eux.
Le moment le plus intéressant de cette journée aura sans doute été la joyeuse procession vers laquelle je me suis dirigée. Alors que je m'apprêtais à prendre le billet d'entrée pour visiter les temples, j'avais entendu une musique de rue. Pensant qu'il s'agissait d'un défilé, je m'étais dépêchée de redescendre vers le centre de la ville pour y assister : des danseurs costumés agitant un dragon, des instruments de musique traditionnels jouant une mélodie joyeuse, les grands sourires et bonjours, la fierté de me voir suivre la procession en prenant des vidéos et photos... Tout était réuni pour que je ne réalise mon erreur qu'après coup : il s'agissait en fait d'une procession de funérailles, et je ne vis le cercueil qu'en regardant la vidéo, de retour à l'hôtel !