Je voudrais revenir sur les raisons pour lesquelles l'oeuvre d'Ai Weiwei dérange les autorités chinoises.
D'abord, contrairement à ce que vous dites, Ai Weiwei n'est pas un illustre inconnu que les médias occidentaux auraient tout à coup promu au rang d'artiste dissident !
Tje Kong Haer a écrit :Comme le souligne David, ces dissidents ne sont connus qu'à leur arrestation finalement et ne représente qu'une infime partie de la population, ça ne justifie pas leurs arrestations, mais remets en doute leurs paroles.
Nous ne pouvons mesurer la réalité à l'aune de notre propre ignorance (je ne connaissais pas plus Ai Weiwei que vous avant son arrestation) ! Ai Weiwei était reconnu de ses pairs, les artistes contemporains, comme en témoigne son exposition à la Tate Modern de Londres, mais aussi de la population chinoise qui l'a élu
« artiste de l'année 2010 » le 21 février 2011 ; mais il était surtout bien connu des autorités qui voyaient en lui un dangereux porte-parole de la société civile chinoise :
« L'après-midi même, son portrait était effacé » du portail portail Sina qui avait organisé le vote...
Car il n'est pas vrai que ces artistes
« ne représentent qu'une infime partie de la population » ! En prêtant sa voix à tous ceux qui sont sans voix, Ai Weiwei a honoré sa mission d'intellectuel.
l'avocat Pu Zhiqiang a écrit :Dans l'affaire Yang Jia [condamné à mort pour le meurtre de policiers, en 2008], il a réclamé que justice soit faite. Après la catastrophe humaine du séisme au Sichuan, il a fait avancer les investigations. Quand Tan Zuoren [auteur d'une enquête sur les écoles du Sichuan] a été emprisonné, il a été molesté pour avoir voulu témoigner. Quand son assistante Liu Yanping a été arrêtée, il a volé à son secours. Quand des artistes ont été menacés d'expulsion, il s'est empressé de descendre dans la rue. Quand un incendie a ravagé une tour résidentielle rue Jiaozhou [à Shanghai], il s'est rendu sur place pour connaître la vérité. Quand Qian Yunhui a connu une fin tragique [paysan écrasé par un camion, en 2010], il a affronté les médias. Quand il était là, il semblait que cela ne changeait rien à la moralité et aux moeurs de notre société, et pourtant son absence change tout ! Quand demain il réapparaîtra, il me faudra le regarder en face ; aussi je ne peux pas me taire !
Son art, que je n'apprécie pas nécessairement au point de vue esthétique, a incontestablement une portée sociale et politique fort dérangeante pour les autorités :
En 2009, pour commémorer Qingming, jour du nettoyage des tombes, Ai Weiwei a rassemblé sur son blog les noms des enfants morts sous les décombres de leurs écoles lors du tremblement de terre du Sichuan alors que les parents étaient
« astreints à un deuil encadré, de crainte qu'ils ne manifestent » et que les noms des écoliers morts étaient
« un secret d'Etat » !
Sur son blog, chaque enfant identifié (5182 en juin 2009) était symbolisé par une bougie. Donner un nom à ceux qui n'en ont pas, lutter contre l'oubli, n'est-ce pas
« représenter », au sens le plus fort du terme, ceux que l'on veut réduire au silence ?
Le Monde a écrit :«De ce travail sur la responsabilité et la mémoire, dont les archives numériques ont probablement été confisquées par la police dimanche, quand celle-ci a saisi tout le matériel informatique de l'artiste, Ai Weiwei avait déjà tiré plusieurs performances artistiques marquantes. Ainsi, les internautes furent invités à prononcer à haute voix un nom de victime et à envoyer le fichier son à l'artiste, qui en fit un émouvant mémorial sonore, sur Internet, le jour d'anniversaire du séisme.
A Munich, quelques mois plus tard, il recouvrit toute la façade du Musée Haus der Kunst de sacs d'écoliers, détachant en idéogrammes chinois la phrase prononcée par une mère en pleurs : "Elle a vécu heureuse, en ce monde, pendant sept ans."»
Là où le bât blesse le gouvernement, qui renvoie la responsabilité du désastre aux autorités locales, c'est qu'Ai Weiwei met en évidence celle de l'Etat :
Ai Weiwei dans une interview à Courrier International a écrit :«Il fallait 500 yuans par mètre carré de bâti, le gouvernement central en allouait 250, les gouvernements locaux étaient censés compléter. Faute de moyens, ils ont construit au rabais ; ils devaient le faire pour respecter la loi et passer le cap des inspections. Les malfaçons dans les bâtiments scolaires se sont multipliées. La question de la fragilité des écoles relève donc de la politique générale.»
Je commenterai pour finir quelques-unes de ses oeuvres dont Daweide a eu la gentillesse de nous donner les images :
Lorsqu'Ai Weiwei écrit
Coca-cola sur une poterie ancienne, fait-il autre chose que de dénoncer l'américanisation de la société chinoise qui brade son patrimoine culturel pour le clinquant de Disney-Land ? quand il se fait photographier brisant une poterie Han, quand il entasse des portes brisées, fait-il autre chose que de dénoncer le
vandalisme d'Etat qui détruit à tour de bras les quartiers historiques de Pékin pour leur substituer des fast-food, des banques et autres grands magasins ?
Alors quand votre ami Alain réclame à cor et à cri
« Z'auriez pas un dissident chinois vraiment chinois ? », permettez-moi de trouver cela vraiment consternant !
Tje Kong Haer a écrit :Pour Alain, j'avoue me fier beaucoup à ses écrits, la majorité d'entre eux, si ce n'est tous, portant sur la désinformation occidentale sur l'état de la censure en Chine ont été repris avant, en même temps ou après sur Chine Informations et d'autres blogs, je présume donc qu'il se renseigne un minimum avant de fournir son information (contrairement à l'AFP par exemple), de même que diverses informations sur l'actualité politique ou autre.
Si votre ami
« se renseignait un minimum », il n'insinuerait pas qu'Ai Weiwei
« a passé plus de douze ans aux « States », sans doute plus pour des raisons de rentabilité que de conscience politique pure » ; il saurait qu'Ai Weiwei a vécu en exil pendant cinq ans dans un village du Xinjiang avec son père, le poète Ai Qing, condamné à en nettoyer toutes les latrines du matin au soir. Avouez que cela peut donner envie de partir loin, très loin du paradis chinois !