Cao Zhi
Cao Zhi 曹植 (192 – 232 ap.JC), qui avait pour prénom de lettré Zijian (子建), était un poète chinois de l'époque des Trois Royaumes. Il est avec son père, le seigneur de guerre Cao Cao, et son frère aîné, l'Empereur Cao Pi, la figure de proue du style poétique antique dit Ji'an. Il était passé maître dans les poèmes pentasyllabiques (5 caractères par vers) et fut considéré comme le plus grand poète de son époque. Son œuvre la plus connue aujourd'hui est sans doute le fu d'amour intitulé La Déesse de la rivière Luo 洛神賦, qui fut repris de Song Yu.
Malgré des grandes ambitions politiques, Cao Zhi n'a pu rivaliser avec Cao Pi dans la lutte pour la succession, et a été écarté du pouvoir. Le personnage de Cao Zhi a été immortalisé dans le roman « Les Trois Royaumes » et sa rivalité avec son frère a souvent constitué la trame d'opéras et de pièces de théâtre. Il est connu au Japon sous le nom de Sôshoku Shiken(?) et en Corée sous le celui de Josig Jaegon (ou Jochi Jageon?)
Cao Zhi était le quatrième fils de Cao Cao, un puissant seigneur de guerre de l'époque qui avait conquis le Nord de la Chine (les Wei) pendant le déclin de la dynastie des Han. Grâce à ses prodigieux talents littéraires, Cao Zhi était le préféré de son père. Il était en effet très précoce et avant l'âge adulte connaissait par cœur de nombreux traités et poèmes, représentant au total plusieurs centaines de milliers de lignes. Cao Cao emmena un jour ses fils au "Pavillon du Moineau de Bronze" nouvellement construit et leur demanda d'écrire une ode. Cao Zhi rédigea sur le champ un poème qui stupéfia son père et l'assistance (selon la légende ce poème incitera Zhou Yu à déclarer la guerre à Cao Cao).
Cao Cao fondait en lui de grands espoirs et le nomma Seigneur de Pingyuan en 212, puis Seigneur de Linzhi en 215. En 218, il augmenta la taille de son fief à 10.000 foyers et lui laissa la garde de la ville de Ye tandis qu'il partait guerroyer contre Sun Quan. Cette décision laissa à tous l'impression que Cao Cao allait faire de lui son héritier.
Malheureusement Cao Zhi menait une vie assez tumultueuse, s'adonnait volontiers à la boisson et ses frasques avaient plus d'une fois excité la colère de son père. Un jour par exemple, complètement saoul il fit dévaler son chariot à travers la ville avant de sortir par la porte Sima, laquelle est exclusivement réservée aux militaires. Cao Cao, qui était plutôt du genre à montrer l'exemple à ses troupes par sa conduite, entra dans une colère noire et fit exécuter le conducteur et surveiller étroitement son fils. Puis peu après, Yang Xiu, un des amis intimes de Cao Zhi fut également exécuté, achevant sa disgrâce.
En revanche, son frère aîné, Cao Pi, qui avait beau ne pas avoir ses capacités intellectuelles, se montrait plus rusé, avait su graisser les bonnes pattes et mener une vie sans excès. Il sût se trouver rapidement de solides appuis politiques et s'arranger pour qu'on parle de lui en bien à son père. Finalement ce fut Cao Pi qui fut nommé héritier.
Pourtant, Cao Cao n'avait pas encore perdu tout espoir de racheter Cao Zhi. Il le nomma en 220 « Général qui défait les adversaires » et l'envoya à la rescousse de Cao Ren, alors encerclé par les troupes de Guan Yu. Malheureusement Cao Zhi fut tellement saoul qu'il ne pouvait suivre aucun ordre, et Cao Cao fut contraint de le rappeler à lui.
Cette même année, Cao Cao mourut et Cao Pi prit la succession de son père et destitua l'Empereur pour fonder la dynastie Wei. La première action de Cao Pi fut d'asseoir son pouvoir, en envoyant ses frères dans leurs fiefs respectifs afin qu'ils ne s'investissent plus dans la politique de la cour et ne puissent contester son héritage. Il interdisit toute communication entre eux et fit exécuter deux proches amis de Cao Zhi : Ding Yi (丁儀 ) et Ding Yi (丁廙) ainsi que leur familles. Il fit également surveiller de près ses frères. L'un des surveillants rapporta que Cao Zhi était un "alcoolique arrogant qui menace les messagers de l'Empereur" lorsque celui-ci s'est fait rudoyer. Or s'en prendre à un messager de l'Empereur est un crime passible de la peine capitale. Cao Pi pensait punir sévèrement son frère mais renonça à l'idée sur l'intervention de sa mère (d'après la légende Cao Pi l'aurait défié dans un concours de poésie, et, ému, lui accorda la vie sauve). Il rétrograda néanmoins Zhi au titre de Seigneur de Anxiang, puis peu après à celui de Seigneur de Yincheng.
En 223 il retrouva à nouveau son statut de Prince et reçut un fief de 2.500 foyers. En 224 il reçut le fief de Yongqiu et eut l'autorisation d'aller présenter ses hommages à son frère à la capitale. Cependant Cao Zhang, son frère aîné, mourut pendant son séjour et il fut renvoyé dans son fief après les funérailles avec son frère Cao Biao, le Prince de Baima. Tout contact entre les deux était prohibé et c'est à cette occasion que Cao Zhi écrivit son poème « À Biao, Prince de Baima » qui est considéré comme l'un de ses plus grands chefs-d'œuvre en Chine dans lequel il raconte sa tristesse et sa frustration d'être séparé de ses frères.
Vers 226, Cao Pi rendit visite à Cao Zhi à Yongqiu alors qu'il revenait d'une campagne et ajouta 500 foyers à son fief. En 227, Cao Pi mourut et Cao Rui lui succéda. Cao Zhi dut déménager à Junyi, puis l'année revenir à Yongqiu. Frustré de n'avoir pu jusqu'ici mettre ses talents à l'essai, il écrivit un mémorial à l'Empereur mais Cao Rui lui refusa le poste convoité. En 229, il dut déménager à Dong'e. En 232, Cao Rui fit mander tous les seigneurs pour une audience et à l'issue de celle-ci conféra à Cao Zhi le titre de Prince de Chen et lui donna un fief qui englobait les quatre régions de Chen, soit 3.500 foyers au total. Cao Zhi avait essayé à plusieurs reprises d'avoir une audience privée avec l'Empereur, son neveu, sans pouvoir y parvenir. Il revient sur ses terres très déprimé et il mourut de maladie en 232. Conformément à ses instructions, ses funérailles furent modestes.
Cao Zhi, Cao Cao et Cao Pi sont considérés en Chine comme étant les précurseurs et les éléments les plus brillants du style dit "Ji'an". Les poèmes que Cao Zhi écrivit à ses débuts étaient souvent emprunts de l'écho de ses ambitions de servir son pays. Au fur et à mesure des années, son style s'assombrit tandis que ses tentatives pour aboutir à des postes de responsabilité à la cour se voyaient déboutées.
L'un des poèmes les plus connus de Cao Zhi a pour nom « Sur un cheval Blanc » (白马篇). Il le composa dans sa jeunesse et illustre sa volonté de servir son pays :
白马饰金羁,连翩西北驰。 Un cheval blanc au licou d'or, galopait rapidement en direction du nord-ouest
借问谁家子,幽幷游侠儿。 Vous demandez de quelle famille est issu le cavalier ? C'est un noble chevalier originaire de You et Bing.
少小去乡邑,扬声沙漠垂。 Il avait quitté son foyer dès ses jeunes jours Et son nom est maintenant connu à travers tous les déserts.
宿昔秉良弓,楛矢何参差。 Matin et soir il empoigne son bon arc, Combien de flèches pendouillent à ses côtés ?
控弦破左的,右发摧月支。 Tirant de l'arc il transperce sans faillir la cible de gauche, Et perfore de part-en-part la cible de droite.
仰手接飞猱,俯身散马蹄。 Ascendantes, ses flèches recherchent les singes volants légendaires, Descendantes, elles pulvérisent les cavaliers.
狡捷过猴猿,勇剽若豹螭。 Sa dextérité surpasse celle des singes, Son courage est l'égal des léopards et des dragons
边城多警急,胡虏数迁移。 L'alarme retentit aux frontières, Les tribus du nords envahissent le pays par millers
羽檄从北来,厉马登高堤。 Des lettres sont envoyées depuis le nord, Attelant son cheval il escalade la colline
长驱蹈匈奴,左顾陵鲜卑。 Il charge les Huns depuis a droite, Et assaille les Xianbei à la gauche.
弃身锋刃端,性命安可怀。 Il met sa vie en jeu de la pointe de son épée, Quelle valeur lui donne-t-il donc ?
父母且不顾,何言子与妻。 Même son père et sa mère n'occupent plus ses pensées, Et que dire de sa femme et de ses enfants !
名编壮士籍,不得中顾私。 Si son nom doit être un jour inscrit à la liste des Héros, Il ne peut se pencher sur ses problèmes personnels.
捐躯赴国难,视死忽如归。 Il donne sa vie pour son pays, la mort n'est pour lui qu'un retour en pays natal
Paradoxalement, les deux poèmes les plus célèbres de Cao Zhi ne sont pas de sa plume, mais sont issus du roman des Trois Royaumes.
Cao Zhi est surtout connu en Chine pour avoir réussi un défi de poésie (purement fictif) que lui a lancé son frère. Il ne s'agit pas d'un événement historique mais d'une scène du roman "les Trois Royaumes", souvent reprise dans des opéras.
Dans ce chapitre, Cao Pi venait de couper net toutes les tentatives de Cao Zhi pour obtenir de l'influence politique en condamnant à mort les appuis qu'il s'était trouvé. Il menace de faire de même de son frère, mais lui donne une chance d'échapper à la peine de mort. Il lui propose de composer un poème avec le temps qu'il lui faudrait pour faire sept pas. Cao Zhi accepte et en demande le sujet. Cao Pi lui montre alors un tableau où sont représentés deux taureaux se battant au pied d'un mur et dont l'un, vaincu, tombe dans un puits. Il lui demande de composer son poème avec pour sujet celui du tableau, mais lui interdit l'usage des mots "puits", "taureau", "pied de mur", "se battre" et "mort". Cao Zhi fit ses sept pas et prononça le poème :
兩肉齊道行,頭上帶凹骨。
Deux masses de muscles meuglaient en parcourant le chemin,
Sur la tête de chaque une paire de vigoureux os courbés.
相遇由山下,欻起相搪突。
Ces deux puissants se rencontrèrent au pied de la colline,
Chacun voulant éviter le précipice fraîchement creusé.
二敵不俱剛,一肉臥土窟。
Des deux ennemis qui disputèrent ce combat inégal,
L'un se retrouva à terre en une masse sanglante.
非是力不如,盛氣不泄畢。
Non que sa force ne fut à la hauteur de son adversaire,
Mais que toute sa force vitale avait été coupée nette.
Toute la cour fut impressionnée par la démonstration du talent de Cao Zhi, mais Cao Pi lui demanda alors de créer un poème sur le vif, avec pour thème leur relation fraternelle, mais en lui interdisant l'usage du mot "frère". Cao Zhi récita immédiatement, sans même se donner le temps de réfléchir :
煮豆燃豆萁,豆在釜中泣。
本是同根生,相煎何太急!
D'haricots cuisants cuisaient sur le feu,
Du fond de la marmite s'élevèrent des pleurs :
"Nous naquîmes de la même racine et de la même branche,
Dès lors pourquoi tant d'acharnement à vouloir me faire mijoter ?"
Comprenant l'allusion du grand frère qui persécute le petit frère, Cao Pi versa des larmes silencieuses et lui laissa la vie sauve, sur l'injonction de sa mère, mais lui retira ses titres de noblesse, ses charges et le condamna à retourner dans son fief.
En dehors de cette scène particulière, il n'est pas souvent fait mention de Cao Zhi dans le roman, bien qu'on lui ait également attribué le poème vantant la beauté des sœurs Qiao dont Zhuge Liang s'est servi pour inciter Zhou Yu à faire la guerre contre Cao Cao.
Une école de poésie avait ouvert à son nom pendant quelques siècles, jusque sous la dynastie des Tang. Puis d'autres styles poétiques apparurent et le ji'an passa de mode. On a pourtant gardé de Cao Zhi près d'une centaine de poèmes dont quelques-uns sont encore appris de nos jours.
Cependant, au-delà du poète historique demeure tout un mythe, principalement centrés sur la rivalité entre lui et son frère. Celle-ci a été reprise dans de nombreuses pièces d'opéras et de théâtre. Le sujet de la querelle ainsi que leurs circonstances diffèrent beaucoup, mais bien souvent revient la scène du poème telle qu'elle est décrite dans le roman. Dans l'un de ces opéras par exemple, Cao Zhi parvient à séduire la femme de Cao Pi et lorsqu'il doit réciter son poème, c'est l'esprit de son amante qui lui souffle dans le cœur les paroles à prononcer...