La Chine fascine autant qu'elle effraie. A vouloir aller trop vite, la deuxième puissance économique mondiale accumule les déséquilibres économiques. Aux premiers rangs desquels figure, notamment, la bulle immobilière. A en croire nombre d'experts, celle-ci finira tôt ou tard par éclater. « Quand l'immobilier chinois s'effondrera, c'est l'économie de la planète tout entière qui sombrera dans la dépression. Serons-nous alors capables de résister à une nouvelle crise systémique ? » s'interroge, inquiet, un lecteur de MoneyWeek.
Son inquiétude n'est pas sans fondement. Depuis deux mois, l'immobilier chinois est à nouveau reparti à la hausse. En juillet, sur 10 grandes villes chinoises, cinq ont vu leurs prix au mètre carré remonter, dont Fuzhou (sud) : +18% ; Xiamen (sud-est) : +27% ; Nankin (sud-est) : +32%. En août, une nouvelle hausse a été constatée, touchant cette fois-ci cinquante-huit des cent villes de grande et moyenne importance. Le mouvement va-t-il se poursuivre ? De combien les prix vont-ils encore augmenter ? Le risque d'un krach immobilier est-il imminent ? Pour l'heure, une seule certitude : aucune des mesures lancées par Pékin depuis janvier pour enrayer la surchauffe immobilière n'a abouti. Pour mémoire, depuis que la Chine a décidé, en 1998, de libéraliser son marché immobilier en autorisant les Chinois à devenir propriétaires de leurs logements, ceux-ci n'ont cessé d'être de plus en plus chers.
Selon un document confidentiel que MoneyWeek a réussi à se procurer, « entre 2004 et 2009, les prix de l'immobilier ont progressé de 11,79% par an en moyenne ». Plus impressionnant encore : en 2009, « les hausses ont atteint des sommets, dépassant les 45 à 50% à Pékin et à Shanghai ». Voilà une information qui, à quelques dizaines de villes près, contredit le Bureau national des statistiques, pour qui, « en 2009, les prix des logements ont augmenté de 1,3% dans 70 villes »...
Vers de nouvelles mesures pour contrer la demande
Pour certains économistes chinois, l'irrésistible ascension des prix de l'immobilier s'explique par la solidité de la demande : « Notre pays est en pleine phase d'urbanisation, dont le taux est passé de 26,94 à 46,6% entre 1991 et 2009. Mais nous sommes encore loin de l'objectif de 65% fixé pour 2030. »
Certes, les Chinois sont encore très nombreux à vouloir accéder à la propriété. Mais cela ne justifie pas tout.
Aux dernières nouvelles, Pékin s'apprête à prendre de nouvelles mesures pour calmer le jeu. Or, huit mois après la mise en oeuvre des premiers dispositifs dans ce sens, le scepticisme reste entier quant à leur efficacité.
L'appât du gain et l'ambition politique alimentent la spéculation
D'abord, les promoteurs immobiliers voient d'un mauvais oeil toute mesure qui vise à faire baisser les prix des logements. Ils vont tenter de s'y opposer en maintenant à un niveau élevé les prix sur le marché, ce qui leur permettra de préserver leurs marges.
Par ailleurs, les gouvernements locaux ne souhaitent pas non plus voir chuter les prix de l'immobilier. D'une part, cela risque de compromettre leur avenir politique – en Chine, les chances de promotion des hauts fonctionnaires de province dépendent en grande partie du taux de croissance de leur région. Soutenir l'immobilier, vital pour de nombreux secteurs d'activité (construction, industrie électrique...), reste pour eux le moyen le plus pratique de créer de la croissance. D'autre part, l'immobilier constitue l'une des principales sources de revenus des gouvernements locaux, propriétaires de terrains. Pour en tirer le plus de profits, ceux-ci n'hésitent pas à céder une partie de leurs terrains, à des prix souvent exorbitants, à des promoteurs immobiliers.
« Nous ne gagnons que peu de marges sur les ventes de logements. C'est aux gouvernements locaux que revient la plus grosse part du gâteau », lâchait récemment Ren Zhiqiang, un célèbre promoteur immobilier chinois.
Le gouvernement central : un spéculateur qui s'ignore ?
Enfin, le gouvernement de Wen Jiabao a lui aussi une grosse part de responsabilité dans les hausses de prix. Souvenez-vous qu'en 2008 Pékin avait lancé un plan de sauvetage qui prévoyait 4 000 milliards de yuans (460 milliards d'euros) d'investissements pour la période 2009-2010. Or, en 2009, la capitale n'a que peu investi : ce sont les collectivités locales qui ont réalisé la majeure partie des investissements.
Aiguillonnés par le gouvernement central qui leur avait assigné des objectifs ambitieux en matière de PIB, les hauts responsables de province se sont alors livrés à la spéculation immobilière.
Certes, les autorités centrales ont à plusieurs reprises tenté de réguler les prix des logements, devenus trop irrationnels et susceptibles de provoquer des troubles sociaux. Mais, conscient que la croissance du pays repose pour une bonne part sur ses revenus fonciers, Pékin n'ira jamais très loin dans sa politique de régulation.
Première parution le 16 septembre dans le numéro 98 de MoneyWeek