Kang Sheng
Kang Sheng (康生, 1903-1975), de son vrai nom Zhang Rong, est certainement un des dirigeants les plus énigmatiques de la République populaire de Chine. Longtemps à la tête des Services secrets, il fut un pilier des purge du régime tels que le « Mouvement de rectification » (1942), le « Mouvement anti-droitier » (1957) puis des purges pendant la Révolution culturelle. Kang est aussi considéré comme le père des laogai (le goulag chinois) et un des parrains de la Révolution culturelle. C'est un homme supérieurement capable dont l'influence est considérable, sans qu'on sache toujours au service de qui il sera amené à l'exercer.
Né dans une famille de propriétaires terriens à Jiaonan, dans la province du Shandong, il fait ses études à l'université de Shangai. Il entre au Parti communiste chinois en 1925 et devient actif dans la cellule de Shanghai, principalement dans les départements d'organisation et de contrôle. Il organise l'insurrection ouvrière de Shanghai en 1927 aux côtés de Gu Shunzang et réussit à échapper au massacre des communistes qui s'ensuivit sur les ordres de Tchang Kaï-chek. En 1928, il travaille déjà au niveau du Comité central. Il est arrêté, puis relaché en 1930. Membre du Bureau politique en 1931, il devient l'intime collaborateur de Bo Gu.
En 1932-1933, puis de 1935 à 1937, il est envoyé à Moscou en tant que délégué du Komintern pour étudier les techniques soviétiques de sécurité et de renseignement. Il assiste à ce titre aux purges massives organisées par Staline à cette époque, qui ne seront sans doute pas sans l'inspirer par la suite. En 1935, il adopte Kang Sheng comme « nom de guerre ». Il quitte Moscou pour Yan'an en 1937 à la demande de Staline en compagnie de Wang Ming et Chen Yun, où il commençe à exercer ses talents à l'École centrale du Parti, et plus tard au département des Affaires sociales, l'organe suprême de sécurité sous le Comité central (qu'il dirige jusqu'en 1946). Il assume surtout la direction des Services secrets, qui constituera jusqu'à la fin la source occulte de son pouvoir.
Kang se marie avec Cao Yi'ou. À la même époque, c'est lui qui présente Jiang Qing à Mao Zedong, qui l'épousera en 1938, la future « âme damnée » de la Révolution culturelle. Kang avait eu Jiang Qing comme domestique dans sa ville natale durant sa jeunesse avant qu'elle ne devienne une actrice de deuxième zone à Shanghai. Ils se fréquentaient dans les années 20 et 30, où ils furent probablement amants. Il se porte garant de ses références politiques soi-disant au dessus de tout soupçon (alors qu'elle avait sans doute négocié sa libération contre la dénonciation d'un certain nombre de camarades quand elle avait été arrêtée à Shanghai). Cette intervention, en plaçant Jiang Qing auprès de Mao, a sans doute bouleversé l'histoire de la Chine contemporaine.
À Yan'an, Kang joue un rôle majeur durant le « Mouvement de rectification », dont le but affiché est d'inculquer les principes politiques de Mao à tous ceux qui avaient afflué à la base mais qui manquaient de connaissance et d'engagement envers l'idéologie du PCC, mais dont le but réel est d'affaiblir Wang Ming et ses alliés, un des adversaires les plus acharnés de Mao avec Bo Gu. Le mouvement commençe comme une campagne d'éducation avant que Kang le transforme en une chasse aux sorcières contre des espions et les membres d'une « cinquième colonne ». Cela aboutit à l'arrestation de membres fidèles du Parti sur la base d'accusations fictives. Beaucoup des conflits qui devaient intervenir plus tard durant la Révolution culturelle trouvent leur origine durant cette période. Mao continuera à le protéger, même après qu'il fut relevé de ses activités concernant la sécurité et tombé en disgrâce.
Kang ne joue aucun rôle public visible dans les premières années de la RPC ; on a dit que l'hostilité de Liu Shaoqi et du Premier ministre Zhou Enlai l'avait éloigné du pouvoir. Il refait surface au milieu des années 1950 avec un rôle actif en 1959 lors de la réunion de Lushan dans l'éviction de Peng Dehuai. Il retrouve apparemment le contrôle des Services secrets. Il devient un collaborateur très proche de Mao dans les luttes internes du Parti qui commencèrent avec la « campagne anti-droitière » de 1959 et culminèrent avec la Révolution culturelle. Celui que Simon Leys a pu comparer à un Fouché est également un opportuniste habile qui a sans doute servi plusieur maîtres — parfois simulatanement —. Il devient membre du secrétariat général du Parti en 1962.
Kang vit d'une manière extravagante et corrompue. Comme meilleur calligraphe parmi les plus hauts dirigeants du PCC, mais aussi comme peintre, amateur éclairé d'antiquités, poète et historien, Kang a un appétit insatiable pour les antiquité chinoises et use de ses pouvoirs pour en détourner de grandes quantités, notamment de la Cité interdite (un fait qui ne fut découvert qu'après sa mort). D'autre part une rumeur veut qu'il ait eu des relations avec la sœur de son épouse pendant fort longtemps, et qu'il eut construit plusieurs villas pour ses rendez-vous.
En 1966 il est conseiller du Groupe de la Révolution culturelle placé sous le Comité central, et membre du Comité permanent du Bureau politique. Toute l'ambiguïté et le machiavélisme du personnage est bien résumé par le fait qu'au début de l'année 1966, il fait partie du Groupe des Cinq organisé par Peng Zhen pour torpiller la Révolution culturelle que Mao essaie de lancer. Il est difficile encore aujourd'hui de déterminer si sa participation à ce groupe était dès le départ motivée par la volonté de jouer le rôle de mouchard pour Mao, ou si ce n'est ultérieurement qu'il retourna sa veste.
Kang est impliqué de près dans les purges de la Révolution culturelle qui voit la chute de Peng Dehuai, Liu Shaoqi, Deng Xiaoping, Lin Biao et bien d'autres, et plonge la Chine dans le chaos. Le dernier service qu'il rendit à Mao fut l'orchestration de la campagne de 1976 qui critiquait le « déviationnisme de droite » et qui visait Zhou Enlai et Deng Xiaoping, bien que Kang décéda en fin 1975 avant que la campagne ne soit lancée.
Agonisant, Kang fait venir à l'hopital les traductrices anglaises et protégées de Mao, Nancy Tung and Wang Hairong, pour accuser Jiang Qing de traîtrise. Il meurt en 1975.
Hu Yaobang, qui devient secrétaire général du Parti en 1981, dans un discours secret en 1978, compara Kang aux chefs de la police secrète soviétique Félix Dzerjinski and Lavrenty Beria. Il est exclu du Parti à titre posthume en 1980.