Huns
Les Shvetahūna ou Huns blancs sont un peuple nomade, nommé Hephthalites par les Grecs, Yeta par les Chinois (*Iep-t'ien en moyen chinois) et Shvetahūna (de shveta, blanc et hūna, hun) par les Indiens. On les rattache généralement aux autres peuples appelés Huns. Ils ont joué un rôle important dans l'histoire de la Perse et de l'Inde.
Les Chinois les ont mentionnés pour la première fois en 125 comme vivant au sud de la Dzoungarie, sous le nom de Hua. Ils franchirent le Syr-Daria avant 450 et envahirent la Transoxiane (habitée par les Sogdiens), la Bactriane et le Khorasan, au nord-est de la Perse. Un historien arménien, Elishe Vardapet, a mentionné une bataille entre l'empereur sassanide Yazdgird II (438-457) et les Hephthalites en 442. Plus tard, vers l'an 500, ils prirent possession des oasis du bassin du Tarim, qui était pourtant beaucoup plus proche que la Transoxiane de leur territoire d'origine.
Identité des Hephthalites
La question de l'identité des Hephthalites est à première vue l'une des plus ardues qui soient, mais on dispose de quelques indices qui permettent d'y voir clair.
Le fait même que des Chinois, comme Wei Jie, aient personnellement conversé avec des Hephthalites mais n'aient pas réussi à les identifier est tout à fait significatif. Cela montre qu'ils n'appartenaient à aucun des grands groupes linguistiques connus au sixième siècle : ils ne devaient être ni mongols, ni turcs, ni iraniens. Selon les annales de la dynastie Liang, (502-556), « leur langue fut comprise par un interpète du Henan et, depuis lors, on en eut connaissance ». Selon le Beishi, publié vers 644 par Li Yanshou, « Leur langue diffère de celle des Ruanruan, des Gaoju et des divers Hu ». On ne sait pas quelle lanque parlaient les Ruanruan, qui ont fondé un empire en Mongolie entre 402 et 552, mais elle a probablement été turque ou mongole. Les Gaoju, ou plutôt les Gaoju Dingling, paraissent avoir été turcs : c'est de leur conférédation, semble-t-il, que sont issus les Ouïgours. Quand au terme Hu, les Chinois s'en servaient à cette époque pour désigner les peuples iranophones, en particulier les Sogdiens.
Les textes chinois affirment cependant que les Hephthalites étaient des Yuezhi. Ce peuple, qui avait fondé un empire au Gansu occidental dans l'Antiquité, était bien connu des historiens chinois. Leur empire s'était effondré dès le IIe siècle av. J.-C., soit sept siècles avant l'émergence des Hephthalites. On sait qu'ils étaient des Tokhariens, de langue indo-européenne, et qu'un peuple vivant dans la région de Karachahr, les Agnéens, avait conservé leur langue. Il ne s'agissait toutefois que d'un petit royaume du bassin du Tarim, dans l'actuelle province chinoise du Xinjiang. Si les Hephthalites parlaient une langue apparentée à celle des Agnéens (appelée le tokharien A), on peut comprendre que les Chinois aient eu du mal à l'identifier.
On sait aussi que les Hephthalites étaient originaires de la région de Tourfan, à l'est de Karachahr. Cette proximité géographique avec les Agnéens donne une raison de plus de voir en eux des locuteurs du tokharien A. Ils auraient été, comme les Agnéens, un débri de l'empire des Yuezhi, mais ils auraient conservé un mode de vie nomade tandis que les Agnéens se sédentarisaient. C'est à partir de Tourfan qu'ils ont commencé à faire leurs conquêtes.
La civilisation
Les textes chinois donnent des renseignements assez abondants sur le mode de vie des Hephthalites. Ils insistent sur leur polyandrie : quand une femme épousait un homme, les frères cadets de son mari devenaient également ses époux. Ses enfants étaient considérés comme ceux de l'aîné. Elle mettait des « cornes » sur sa coiffe, en nombre égal à celui de ses époux. Cette coutume, semblable à la polyandrie des Tibétains, devait avoir la même explication: pour que l'héritage ne soit pas partagé, les frères cadets n'avaient pas de biens propres. Tout appartenait à l'aîné, y compris l'épouse. Il faut remarquer que cette coutume était inconnue des Köktürks (les Turcs Bleus). En revanche, elle est peut-être attesté chez les Tokhariens de Tourfan, mais à une époque très antérieure, au Ve siècle av. J.-C. : trois femmes enterrées dans un cimetière avaient des chapeaux pointus, mais l'une d'elles avait un chapeau à deux pointes. Les archéologues chinois, sans doute inspirés par l'exemple des Hephthalites, ont pensé qu'elle avait eu deux maris. Les Hephthalites admettaient que les invités fussent reçus par leurs épouses. Ils pouvaient s'asseoir ensemble. D'ailleurs, les femmes ne vivaient pas tout le temps avec leurs époux. Ils étaient parfois séparés de plus de 100 km.
Les Hephthalites se coupaient des cheveux ras et décoraient leurs vêtements avec des rubans et des cordons. Les tentes étaient en feutre et s'ouvraient à l'est. Celle du roi était de forme carrée ; on suspendait des tapis de laine à ses quatre côtés. Le souverain et son épouse, qui possédaient des demeures séparées, s'asseyaient sur des trônes en or. La reine portait une sorte de hennin d'où retombaient des voiles qui descendaient jusqu'à terre et que quelqu'un était chargé de relever. Elle était accompagnée par les épouses des principaux dignitaires. Parmi les frères et les fils du roi, c'était le plus capable qui lui succédait.
La nourriture des Hephthalites, comme celle des Mongols aujourd'hui, était constituée de chair de mouton et de farine de blé. Comme les Köktürks, ils gravaient leur contrats sur des plaquettes de bois. Ils avaient des livres en peaux de mouton. La justice était rendue de manière simple et sévère : le coupable d'un vol était coupé en deux et la victime recevait dix fois ce qu'elle avait perdu. Une telle sévérité reflétait le caractère guerrier des Hephthalites. Quand un père ou une mère mourait, leurs fils se coupaient une oreille et choisissaient un jour faste pour l'enterrement. Les riches étaient inhumés sous des tumulus en pierres.
Les Hephthalites vénéraient le dieu du Ciel et le dieu du Feu. Chaque matin, ils sortaient de leurs tentes pour vénérer leurs dieux, puis ils prenaient leur premier repas. Ces cérémonies, de même que l'orientation des tentes à l'est, étaient certainement en rapport avec le soleil levant.
Les Hephthalites en Transoxiane
Comme il a été dit dans l'introduction, l'empereur perse Yazdgird II fut confronté aux Hephthalites dès 442. La situation était si sérieuse qu'il transfera sa capitale plus au nord, afin de pouvoir mieux répondre aux attaques de ces nomades. Son propre fils Peroz alla demander aux Hephthalites de lui donner des troupes afin de prendre possession de la Perse. Selon l'historien arabe al-Tabari, le roi des Hephthalites s'appelait alors Akhshunvar. On reconnaît un titre sogdien, khsundar, signifiant « roi ». Apparemment, afin de pouvoir régner sur les Sogdiens, les Hephthalites avaient dû adopter leur langue. Ils commenceraient plus tard à se sédentariser.
Un autre fils de Yazdgird II lui avait succédé, Hormizd III (457-459). Grâce à l'aide obtenu chez les Hephthalites, Peroz le renversa et devint empereur de la Perse (459-484). Pour les remercier, il leur céda le district de Taliqan, au sud-est de l'actuel Turkménistan. Il ne tarda cependant pas à entrer en conflit avec eux. Deux fois de suite, dans les années 460, Peroz fut capturé par les Hephthalites. Chaque fois, une rançon fut demandée pour sa libération. La première fois, elle fut en partie payée par les Byzantins. La seconde fois, comme la somme demandée ne put être rassemblée, Peroz dut laisser son fils Kavad en otage chez ses ennemis. Ils étaient de si farouches guerriers que la simple mention de leur nom terrifiait tout le monde. Les soldats perses envoyés à leur rencontre ressemblaient à des condamnés à mort se rendant à l'échafaud. Kavad, cependant, ne fut pas maltraité durant ses quatre ans de captivité. Il eut droit à tous les honneurs et il épousa la fille ou la sœur d'Akhshunvar.
Peroz fut tué en 484 lors d'une nouvelle bataille contre les Hephthalites, mais l'un de ses suivants, Sukhra, força les troupes ennemies à se retirer. Sa mort entraîna un conflit interne chez les Sassanides. Kavad s'empara du trône en 488, grâce aux Hephthalites ; il régna jusqu'en 531. Il fit de nouveau appel à eux quand il fut confronté au mouvement révolutionnaire des Mazdakites. En échange, la Perse dut encore céder des territoires. De plus, elle paya un tribut aux Hephthalites. Cette situation dura jusqu'au début du règne de Khusrau I Anushirvan (531-579), qui fut un puissant empereur.
La conquête du bassin du Tarim mit les Hephthalites en contact avec les Ruanruan, mais il n'y eut jamais de conflit entre ces deux peuples. Ils se comportèrent au contraire comme des alliés. Après avoir porté un coup fatal aux Ruanruan en 552, les Köktürks cherchèrent à s'allier avec les Perses contre les Hephthalites. Entre 560 et 563, ces derniers furent vaincus lors d'une grande bataille, qui dura huit jours, près de Boukhara. Par la suite, ils se partagèrent en principautés qui payèrent tribu, les unes aux Perses, les autres aux Turcs. Certaines d'entre elles, au Tadjikistan méridional et en Afghanistan, subsistèrent longtemps.
Les Hephthalites en Inde
Quand les Hephthalites s'installaient en Transoxiane, la dynastie indienne des Gupta était au faîte de sa puissance. L'inscription de Junagadh, datée d'environ 457, mentionne une victoire remportée par le roi Skandagupta (vers 454-467) contre des tribus comme semblent avoir été hephthalites. Leur pénétration en Inde fut permise par le déclin des Gupta qui suivit la mort de ce roi.
À la fin du Ve siècle, un de leurs chefs, Toramâna, envahit le Panjâb et s'y établit. Son fils Mihirakula - ou Mihiragula - lui succède vers 515. Durant son règne, les Huns blancs font de nombreux raids dans la plaine gangétique où ils détruisent des monastères. En 528, une confédération de râjas hindous renverse Mihirakula qui se réfugie au Cachemire, où il s'empare du trône après quelques années et à partir d'où il attaque l'état voisin du Gandhara, où il pratique de terribles massacres. Un an plus tard, vers 540, il meurt et les Hephthalites s'effondrent sous les coups des Turcs.
Notre connaissance des Hephthalites provient majoritairement de la numismatique, de quelques inscriptions trouvées au Panjâb et en Inde centrale et des écrits du voyageur chinois Xuanzang qui visita l'Inde peu après la mort de Mihirakula. Le voyageur grec Cosmas Indikopleustès, qui visita le pays vers 530, fait la description d'un roi hun blanc, qu'il nomme Gollas, qui perçoit un tribut en opprimant son pays au moyen d'une grande armée composée d'une cavalerie et d'éléphants de guerre. Il est probable qu'il s'agisse de Mihiragula. D'après les monnaies frappées par Mihirakula, qui porte l'emblème de Nandin, on pense qu'il vénérait Shiva, bien que la première partie du nom provienne peut-être de celui du dieu perse Mithra. On a trouvé de nombreuses pièces frappées par son père, Toramâna, au Cachemire, territoire qui faisait partie de la zone d'influence de Hûnas. Mihirakula a laissé en Inde la mémoire d'un souverain cruel qui a persécuté sévèrement le bouddhisme.
Les Grecs ont laissé une description des Hephthalites beaucoup plus flatteuse, basée probablement sur le fait qu'ils étaient une menace contre l'ennemi perse aux frontières de l'Empire romain d'Orient, mais trop lointain pour l'Empire lui-même. Procope affirmait qu'ils étaient bien plus civilisés que les Huns d'Attila.
Les Huns blancs n'eurent que peu d'influence sur la société perse, mais en Inde, ils furent à l'origine d'une modification du système des castes en changeant la hiérarchie des familles régnantes. Certains Huns blancs sont restés en Inde et se sont fondus dans la population, probablement à l'origine d'un ou plusieurs clans râjput.