Han Shaogong
Han Shaogong 韩少功 est un écrivain chinois né le 1er janvier 1953 à Changsha, chef-lieu du Hunan.
Garde rouge à douze ans pendant la Révolution Culturelle, il fut envoyé dans la campagne profonde en tant que jeune instruit pendant six ans. C'est de là qu'il tire son style teint de traditions et de croyances anciennes, très marqué des racines culturelles chinoises. Il ne reprend ses études qu'à vingt-cinq ans.
Han Shaogong adhère à l'Association des écrivains chinois (AEC) en 1979 dont il a été élu membre du Conseil en 1988. C'est en 1979 qu'il commence à écrire.
En 1985 il fonde le mouvement littéraire "racines" auquel appartient également A Cheng.
En1988, il devient rédacteur en chef général de la revue "Hainan, Reportages en direct".
Vice-président de l'Association des écrivains du Hunan en 1990, il est aussi le PDG du périodique "Le Bout du monde" et professeur à l'Ecole normale du Hainan.
Il a publié beaucoup d'ouvrages tels que : "Yue Lan", "La Séduction", "Une ville vide" et d'autres romans, ainsi qu'un recueil de ses critiques.
Ses romans sont traduits en français, anglais, russe, japonais, allemand, néerlandais et italien.
Il a traduit en chinois des oeuvres de Carver, Pessoa et Kundera dont "L'insoutenable légèreté de l'être". Il est aussi un grand lecteur de Garcia, Marquez et Kafka.
Il est lauréat de plusieurs prix dont "meilleures nouvelles" et "meilleurs micro-romans".
Han Shaogong a reçu le titre de Chevalier des Arts et de la Culture par le ministère français de la Culture en juin 2002.
Han Shaogong vit actuellement entre l'île de Hainan et la campagne du Hunan.
Parmis les romans les plus connus de Han Shaogong traduits en français, on trouve :
- "Bruit dans la montagne" (Edition Gallimard) qui a été désigné comme l'un des dix meilleurs livres littéraires en 2000 en France;
- "Enigme d'une maison vide" (Centenaire) ;
- "Femme, femme, femme» (Picquier, poche, 2000) ;
- "Pa Pa Pa" (Aube, poche, 1995 ) ;
- "La Séduction" (Picquier, poche, 1990);
- "L'Espion qui n'avait pas de cerveau" (FUN FAX) (documentaire jeunesse encyclopédie et dictionnaire).
- "L'Obsession des chaussures" (M.E.E.T , Arcane, 1992)
INTERVIEW DE LIBERATION.FR
Vous êtes à l'origine du mouvement de la littérature chinoise à la recherche de ses racines. Peut-on parler d'école?
Je n'aime guère les écoles: chaque écrivain a sa voix, et je préfère me tenir à l'écart de ce genre de caractérisation, disons que c'est avant tout une réflexion. L'article que j'ai écrit sur «les Racines de la littérature» en 1985, dans la revue Ecrivains, avait seulement pour but de réintroduire dans le débat littéraire la question de la tradition parce que beaucoup d'écrivains à l'époque cherchaient à s'occidentaliser. C'était un phénomène global qui consistait à se tourner vers l'Occident, à écrire systématiquement à l'occidentale. Les écrivains chinois étaient obnubilés par l'idée d'imiter les grands maîtres occidentaux, comme Borges ou Kafka. Le problème n'est pas, bien sûr, qu'on s'intéresse à la littérature occidentale ou à d'autres littératures: au contraire, c'est tant mieux! Il s'agit plutôt de la capacité à digérer, à assimiler, à faire la synthèse. Ce n'est pas parce qu'on mange du boeuf que l'on se transforme soi-même en boeuf, on reste un homme.
Quelles sont les racines propres de la littérature chinoise?
La question des racines est toujours extrêmement difficile à déterminer. Au colloque, je m'étais demandé: «Qu'est-ce que la Chine, finalement?» Les influences se croisent toujours. Et partout, il y a eu des interférences et des mélanges. Certes, en Chine, on peut isoler divers courants: confucianiste, taoïste" Pour ma part, c'est le philosophe taoïste Zhuangzi qui me marque le plus. Zhuangzi dit que «les raisons essentielles sont indicibles», et aussi qu'on peut regarder une chose d'un côté comme de l'autre. Ce n'est peut-être pas d'une grande utilité dans un monde contemporain «efficace» et peu porté sur la nuance. Mais cela ne date pas d'aujourd'hui, à toutes les époques, empereurs et officiels se sont méfiés de la liberté d'esprit et du manque d'orthodoxie de Zhuangzi.
A lire vos livres, on a l'impression que vous prônez le retour à une Chine préclassique, préconfucéenne. Ne craignez-vous pas d'être pris pour un rétrograde?
Il y a eu effectivement ce genre de réactions. Comme tout le monde se tourne vers les Etats-Unis et les pays dits développés, on perçoit toute réflexion sur le passé comme quelque chose de réactionnaire. C'est un problème général de la pensée humaine ou de la parole de vouloir toujours tout simplifier. Quand on parle des racines de la littérature et de revenir à la tradition, ce n'est qu'un aspect du problème. Et puis, la littérature des racines n'a rien à voir avec cette littérature nostalgique, passéiste qui tend à se développer en Chine. Ça, c'est une littérature de gare, anecdotique, qui vise à l'exotisme du voyage facile dans l'espace ou dans le temps. Ça n'a d'ailleurs que très peu de rapports avec la littérature. Parce que la littérature est une perception contemporaine des choses: elle n'est ni un musée, ni une agence de tourisme.
Les nouvelles de «Bruits dans la montagne» ont été écrites après le massacre de Tian Anmen (3), vous y évoquez des minorités non-Han (4) qui résistent à travers leurs coutumes à l'hégémonie du pouvoir central. C'est une façon détournée de critiquer l'absolutisme du régime?
Dans le Hunan, au sud du Yangzi, en Chine profonde, les minorités ont des cultures extrêmement riches, et vivent effectivement à l'écart de la culture dominante. Il y a sans doute là une figure de la résistance. Mais on éprouve toute sorte de motifs de résister. Et il faut savoir qu'elles sont de toute nature: elles ne se limitent pas à la dissidence. L'essentiel est d'écrire des choses de qualité. Moi, par exemple, je ne m'inscris pas dans la veine réaliste ou néoréaliste des écrivains comme Chi Li ou Fang Fang. Dans le genre, les documentaires ou les journaux sont nettement plus efficaces et plus directs. La voie de la littérature est ailleurs: décrire une chose pour parler d'autre chose ou poser le problème de la métaphore, voilà qui est intéressant.
Dans la préface de Femme, femme, femme, vous dites que chaque métaphore s'oppose ou résiste à la science.
La littérature permet d'établir des relations entre des choses d'ordre et de nature différents, ce que la science ne peut pas faire. Ainsi, lorsqu'on dit qu'une femme est une fleur, on jette un pont entre deux mondes: l'animal et le végétal. Seule la littérature est capable de créer des réalités nouvelles, tout en donnant une intuition de la raison profonde des choses. Dans «Cendres», par exemple, il y a des collusions de temps, le personnage évolue dans deux moments différents. Dans le quotidien, c'est pareil: il se produit souvent des raccourcis, tel événement qui date d'il y a vingt ans resurgit tout à coup. Ce n'est même pas une question de technique littéraire, ça se passe comme cela dans la vie.
Dans votre dernier roman, qui n'est pas encore traduit, le Dictionnaire de Maqiao, ce sont précisément ces différents niveaux de temps comme de langue que vous exploitez.
C'est un ouvrage qui mène une réflexion sur le langage et l'existence. Il y a plein d'anecdotes qui s'entremêlent, mais peu d'intrigue. J'essaie à travers les mots (c'est un dictionnaire) de voir comment l'expression peut influer sur la vie des gens et inversement. La langue chinoise, avec sa grammaire qui ne possède ni temps ni modes, permet de faire partager une autre dimension du monde. Une écriture «au fil de la plume» et une lecture à plusieurs entrées. A la parution de ce livre, une polémique s'est engagée: on a dit que ce n'était pas une oeuvre romanesque. Mais cela m'est égal. Le but était pour moi d'exploiter toutes les possibilités de la forme. Car la forme est un contenu.
(1) Nouvelle traduite par Annie Curien, Saint-Nazaire, M.E.E.T. (1992).
(2) Les actes du colloque feront prochainement l'objet d'une publication.
(3) Place Tian Anmen, 4 juin 1989: révolte des étudiants de Pékin, violemment réprimée par les autorités.
(4) Han, nom par lequel se désignent les Chinois.