Broderie chinoise
La broderie, un des plus anciens arts chinois, a grandement contribué au raffinement de la civilisation chinoise. La tradition historique rapporte que l'usage de la broderie remonterait, en Chine, à l'an 2255 avant Jésus-Christ. Les recherches archéologiques récentes placent toutefois l'apparition de la broderie plus tardivement, sous la dynastie Chang (fin XVIe - fin XIe siècle av. J.-C.).
Originellement utilisée pour afficher son rang à l'intérieur d'une caste, la broderie a ultérieurement pris des valeurs purement ornementales et esthétiques. Elle est finalement devenue un art fort apprécié par les gens du commun également. Au cours de cette longue évolution, les traits artistiques de la broderie se sont multipliés. Des découvertes archéologiques révèlent que la broderie, d'une extrême simplicité sous la dynastie des Tcheou occidentaux (1121-771 av. J.-C.), est rapidement devenue très élaborée à l'époque des Royaumes combattants (403-221 av. J.-C.) pour atteindre un apogée artistique sous la dynastie Han (206 av. J.-C. - 220 ap. J.-C.).
La prospérité économique qu'a connu la Chine à cette époque a permis le développement de nombreux métiers artisanaux, dont le tissage de la soie, qui est crucial pour la broderie. Plus tard, comme la classe des riches et des privilégiés s'est accrue, la broderie s'est plus largement répandue. Gréce à un approvisionnement soutenu en matières premières et à une forte demande, la broderie a prospéré.
Sous la dynastie Han, la broderie était plus qu'une simple décoration vestimentaire. Des applications nouvelles sont apparues et les techniques se considérablement améliorées. Les broderies réalisées sous cette dynastie étaient élégantes, d'une grande complexité et très variées. Cette maîtrise artistique et technique a donné d'excellentes assises pour l'essor de la broderie au cours des deux millénaires suivants.
Dès lors, la broderie ne cessa d'évoluer et ses fonctions de se diversifier. Le principal changement fut l'introduction de motifs religieux. Le bouddhisme apporté d'Inde s'implanta en Chine sur la période des sept siècles qui suivirent. Les bouddhistes chinois choisirent la broderie, qui était un symbole d'honneur et de zèle, comme support favori pour la représentation de l'imagerie bouddhique, afin d'exprimer leur sincérité et leur respect. De grande taille et de thèmes variés, les colossales broderies bouddhiques se sont répandues sous la dynastie T'ang (618-907). Quelques chefs-d'œuvre de cette époque sont encore conservés dans certains musées en Angleterre et au Japon. Les pièces étaient exécutées avec une minutie parfaite une palette de couleurs inspirée. Les broderies bouddhiques sont parmi les plus belles.
Une autre particularité de la dynastie T'ang est l'apparition de nouveaux points de broderie. Jusque là, le point de chaînette était le seul point communément en usage. Il fut remplacé sous les T'ang par un nouveau point : le plumetis. Ce point particulier était très en vogue auprès les brodeurs et brodeuses, car il leur laissait la liberté d'utiliser des styles différents et de créer de nouveaux motifs. Ces innovations techniques firent entrer la broderie dans une nouvelle ère de progrès.
Les artistes de la dynastie Song (960-1279) étaient capables de créer des broderies purement esthétiques dépassant de loin, en termes de qualité et de quantité, tout ce qu'on avait pu voir auparavant, et ce que l'on a vu depuis. Ce formidable succès des brodeurs et brodeuses de l'époque Song tient à trois raisons essentielles. La première est que le plumetis était réversible et pouvait se marier aux autres points nouveaux qui en dérivaient. La deuxième raison à cet essor est l'amélioration des outils et matériaux employés. Les artisans se servaient d'aiguilles en acier très fines et de fils de soie aussi fins que des cheveux. La troisième raison enfin est que l'art de la broderie s'est totalement identifié à la peinture. Les brodeurs copiaient en fait des tableaux de grands maîtres. Les remarquables chefs-d'œuvre de broderie de la dynastie Song sont composés de centaines de milliers de points compliqués, utilisant une large palette de couleurs agréables. L'image finale est souvent d'un réalisme et d'une vivacité étonnants.
Les artisanats, la broderie en particulier, ont continué de s'épanouir sous la dynastie Ming (1368-1644). La broderie Ming comporte trois traits distinctifs. En premier lieu, elle était très répandue et était largement utilisée dans les différentes classes sociales. Ensuite, la qualité des broderies ordinaires s'est grandement améliorée, gréce à l'affinage des matériaux et la maîtrise des techniques. Bien que perpétuant la tradition d'excellence établie sous les Song, la broderie a connu à l'époque Ming plusieurs innovations. Les brodeurs et brodeuses professionnels, parfois des familles entières, acquérirent une grande réputation pour leurs talents d'artistes. Ainsi, la célèbre broderie Le jardin de la rosée parfumée a été créée par la famille Kou de Changhaï. Cette famille aquit une immense renommée pour la qualité de ses « peintures à l'aiguille ». Ce style de broderie est resté très populaire jusqu'à la fin du XVIIe siècle. La dernière innovation majeure fut l'introduction sous la dynastie Ming de matériaux autres que la soie. On réalisait par exemple des broderies translucides sur un fond de gaze de soie ; une broderie particulière usait de cheveux humains comme de fils à broder ; la broderie de papier se faisait avec des fibres de papier ; la broderie de flanelle était réalisée par collage et piquage de motifs en flanelle sur les vêtements ; le rebrodage de dentelle se faisait sur le pourtour des petits trous d'une dentelle ; et les broderies réalisées avec des fils d'or pur. Ces innovations ont considérablement étendu les horizons artistiques de cet artisanat.
Sous la dynastie mandchoue des Ts'ing (1644-1911), la broderie a conservé les acquis des dynasties précédentes, mais a toutefois connu deux changements remarquables. Le premier est le succès extraordinaire des styles régionaux du Kiangsou, du Kouangtong, du Seutchouan, du Hounan, du Chantong et de Pékin. Ces styles régionaux rivalisaient de technicité et de variété. Le second, vers la fin de la dynastie, est l'influence de la broderie japonaise et des valeurs esthétiques apportées par la peinture européenne. L'influence japonaise est visible dans les œuvres de Chen Cheou, et l'influence européenne dans celles de Yang Cheou-yu, originaire du Kiangsou, qui a lancé une technique appelée « broderie libre ». Ces deux artistes ont donné à la broderie chinoise traditionnelle un regain de vitalité.
Malgré les nombreuses transformations qui ont marqué le XXe siècle, l'art de la broderie qui est représentatif de la culture chinoise traditionnelle est encore aujourd'hui bien vivant en République de Chine à Taïwan. La broderie conjugue l'essence de la peinture et de la calligraphie, et les fils colorés de l'habile artisan illustrent la grandeur de la civilisation chinoise. En République de Chine à Taïwan, beaucoup d'artistes de talent continuent de broder en silence. Leur patient travail assure la préservation et le développement continu des arts chinois traditionnels.