06/04/2010 à 06:44 - Washington et Pékin organisent une trêve dans leur affrontement sur le yuan
Après plusieurs semaines de tensions entre les élus américains et les autorités de Pékin, les gouvernements des deux pays multiplient les initiatives pour désamorcer leur différend sur la valeur de la devise chinoise, qui aurait pu déclencher une périlleuse guerre commerciale. Hier, les autorités chinoises n'ont pas officiellement commenté la décision du département du Trésor américain de reporter sine die la publication de son rapport semestriel sur le taux de change des devises étrangères, dans lequel Pékin aurait pu être accusé, à la mi-avril, de « manipuler » le cours de sa monnaie, mais plusieurs cadres proches du pouvoir commencent à laisser entrevoir une prochaine évolution de la politique de change de la deuxième puissance économique mondiale.
Pour les observateurs indépendants, la décision du secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, de reporter une éventuelle accusation de « manipulation » va permettre aux autorités chinoises de définir leur stratégie sans pression politique.
Appréciation graduée
Jusqu'ici, la guérilla rhétorique américaine, essentiellement orchestrée par des parlementaires préparant leur élection de mi-mandat, avait pesé sur le vif débat opposant, dans les coulisses du pouvoir chinois, les cadres de l'exécutif, organisés notamment autour du ministre du Commerce, aux économistes et aux dirigeants de la banque centrale. Les premiers se sont jusqu'ici opposés à toute réévaluation de la devise chinoise, dont la valeur est ancrée à celle du dollar depuis l'été 2008.
En public, ils expliquent qu'une hausse, même limitée, condamnerait des milliers d'exportateurs, travaillant à l'issue de la crise économique mondiale avec des marges réduites, à fermer leurs portes. Dans les réunions du Parti, ils ajoutent que le pouvoir communiste ne peut modifier son régime de change en pleine campagne de pression américaine car il serait automatiquement soupçonné de faiblesse par son opinion publique.
Face à ces postures, les partisans d'une appréciation, qui tentent de démontrer qu'une hausse mesurée du yuan ne signerait pas la mort des exportateurs et bénéficierait même à la croissance chinoise en permettant notamment de contenir l'inflation ou de réduire la facture des importations, n'avaient pas réussi à faire entendre leurs arguments.
La stratégie d'apaisement de Washington et le rebond des ventes de produits « made in China » pourraient les aider à imposer leur démonstration. En fin de semaine dernière, des économistes associés à la banque centrale avaient d'ailleurs osé plaider dans la presse d'Etat pour une reprise d'une appréciation graduée de la devise chinoise, qui avait vu sa valeur progresser de 21 % face au dollar entre juillet 2005 et juillet 2008.
Fluctuation élargie
« Timothy Geithner vient de donner quelques mois supplémentaires à la Chine pour qu'elle puisse trouver un consensus et prendre une décision sur le taux de change du yuan », expliquait, hier, Qing Wang, un économiste de Morgan Stanley. « Désormais, Pékin pourrait tôt ou tard faire une petite réforme en signe de bonne volonté », complétaient Mark Williams et Julian Jessop, des experts de Capital Economics.
Si aucun analyste ne parie sur une réévaluation soudaine et importante de la monnaie chinoise, beaucoup estiment que Pékin pourrait annoncer dans les semaines qui viennent un élargissement de la bande de fluctuation dans laquelle sa monnaie est autorisée à évoluer chaque jour face au dollar. Cette décision, essentiellement symbolique, permettrait à Pékin de signaler la fin de l'ancrage de sa monnaie au billet vert.
« Cela permettrait à l'administration Obama de pointer l'efficacité de sa "skillful diplomacy" avant les élections de mi-mandat prévues en novembre et aux autorités chinoises de démontrer leur responsabilité globale », expliquait Qing Wang, qui, comme la plupart des économistes, s'attend à une très légère appréciation du yuan sur l'ensemble de l'année 2010.
Source:
Les Echos