Je vous propose la lecture fort intéressante d'un article du Courrier International en date du 19 octobre 2010.... qui me réjouit tout particulièrement car personnellement j'ai foi en M. Wen Jiabao. Cela étant je suis loin d'être un expert en politique...
CHINE Il était une fois la réforme politique :
Malgré ou en raison de la répression, les forces démocratiques chinoises trouvent de plus en plus de voies détournées pour exprimer leur impatience à l'égard du régime, selon un écrivain et chroniqueur taiwanais.
19.10.2010|Chang Tieh-chi|Chungkuo Shihpao - China Times
© AFP
Wen Jiabao, le Premier ministre chinois, Pékin, septembre 2010.
En septembre, j'ai eu l'occasion de manger à Pékin avec des amis du clan libéral. La question de savoir si le Premier ministre Wen Jiabao était ou non démocrate a provoqué des discussions enflammées autour de la table. Dans un discours prononcé à Shenzhen fin août, le Premier ministre chinois a en effet souligné la nécessité de réformer le système politique, de garantir les droits démocratiques du peuple et de poser des limites au pouvoir politique. La presse locale n'a pas relaté ses propos, tandis qu'à Pékin, le quotidien officiel Guangming Ribao a tout de suite publié un article intitulé "ne mélangeons pas deux types de démocratie bien différentes !" [démocraties "capitaliste" et "socialiste"], qui constituait une critique voilée des déclarations de Wen Jiabao. Il est clair que le sujet est sensible.
Après son discours de Shenzhen, Wen Jiabao a poursuivi sur sa lancée devant l'assemblée des Nations unies ou encore lors d'une interview accordée à la chaîne detélévision américaine CNN, où il a exprimé son souhait de promouvoir les réformes politiques dans la limite de ses compétences. Ceux qui approuvent la démarche de Wen Jiabao estiment qu'il emboîte le pas des anciens dirigeants Hu Yaobang et Zhao Ziyang sur la voie des réformes politiques. Ses différentes initiatives et notamment la publication en avril dernier dans l'organe du Parti d'un article saluant la mémoire du réformiste Hu Yaobang prouveraient selon eux qu'il appartient bien au clan réformateur du régime.
A l'opposé, d'autres rappellent que le Parti communiste chinois (PCC) a souvent évoqué au cours de la décennie la nécessité de réformer le système politique mais, à chaque fois, il ne s'est agi que de paroles en l'air. Ils ajoutent que Wen Jiabao ne s'est pas beaucoup activé dans ce domaine ces dernières années. Au contraire, les atteintes aux droits de l'homme par le pouvoir communiste se sont aggravées ces deux dernières années en Chine. Pour eux, il ne faut donc pas se bercer d'illusions et croire naïvement en Wen Jiabao.
Alors que le brûlot lancé par Wen Jiabao n'était pas encore éteint, on apprenait que le prix Nobel de la paix était décerné à Liu Xiaobo, une figure du mouvement démocratique chinois de ces vingt dernières années et un initiateur de la Charte 08 [appel à un changement de régime par l'adoption d'une Constitution démocratique]. Or, les déclarations de Wen Jiabao correspondent non seulement à ce que préconisent ces démocrates depuis longtemps, mais aussi aux idées fondamentales exprimées dans la Charte 08.
La réforme politique en Chine n'a pas connu d'avancée significative depuis 1989 [répression du mouvement de Tian'anmen]. Néanmoins, les relations entre l'Etat et la société civile ont changé de manière non négligeable. La limitation des pouvoirs du gouvernement, la promotion des droits des citoyens sont désormais des questions largement abordées par les médias à tendance libérale. Les citoyens sont plus enclins à participer à des formes d'action collective pour dénoncer la corruption de l'administration, pour s'opposer à des expropriations injustifiées ou pour demander aux pouvoirs publics plus de transparence. En particulier, grâce à Internet, les Chinois observent les affaires dans lesquelles les droits des citoyens sont gravement lésés par les autorités ; ils n'ont plus peur de la répression gouvernementale. Ainsi, lors de l'ouverture à Fuzhou [capitale de la province côtière du Fujian] du procès intenté contre des internautes ayant critiqué les autorités de leur province, de très nombreux internautes se sont rassemblés autour du palais de justice pour leur apporter leur soutien. Des citoyens arborant des banderoles de couleur jaune en signe de solidarité ont fait demême quand le procès de Liu Xiaobo s'est ouvert à Pékin en fin d'année dernière.
Sur Twitter et autres outils de réseaux sociaux, on a même vu naître un mouvement de résistance virtuelle. Les dissidents utilisent ce système pour y échanger des informations, révéler la vérité sur certaines affaires, se soutenir mutuellement ou discuter de stratégie. Une force d'opposition politique chinoise est en train de prendre de l'ampleur. Une société civile consciente de ses droits et essayant de s'organiser est en train d'émerger. Il n'y a que les groupes au pouvoir qui semblent ne pas vouloir lâcher du lest. Ils continuent à exercer un contrôle très sévère des dissidents. Ils renforcent sans cesse les mesures de maintien de l'ordre public à l'encontre des manifestants et des plaignants [terme qui désigne les victimes d'exactions demandant réparation aux autorités supérieures]. Cela ne fait qu'aggraver les tensions entre gouvernants et administrés, et c'est le paradoxe d'un régime autoritaire. En effet, moins il y a de limites à l'exercice du pouvoir, plus le risque de corruption, d'expropriation forcée et de colère populaire est grand. Moins on fournit à la population des canaux institutionnalisés pour faire entendre ses intérêts (en lui accordant notamment la liberté d'expression et de réunion), plus celle-ci risque d'être obligée de recourir à des moyens plus violents pour manifester son opposition. Aussi le PCC devra-t-il faire usage d'une force accrue pour réprimer les mouvements s'il ne procède pas à des réformes politiques.
Wen Jiabao a raison quand il dit : "on ne peut pas arrêter l'élan populaire ; la gloire attend ceux qui se laisseront emporter par cette force, tandis que ceux qui chercheront à s'y opposer courront à leur perte." L'intellectuelle Cui Weiping se demande si le PCC a un rôle à jouer dans le grand processus de démocratisation. Mais ce n'est pas à l'opposition à répondre à ce genre de question, c'est plutôt au PCC d'y réfléchir. Va-t-il continuer à maintenir la dictature actuelle pour réprimer les tensions sociales qui ne cessent d'apparaître, fut-ce au prix d'une révolution populaire, ou choisir la voie des réformes et des concessions pour effectuer une mutation en douceur ?
Pour vives qu'aient été les discussions à notre table en septembre dernier à Pékin, je suis convaincu quele soir où l'on a annoncé la nomination de Liu Xiaobo pour le prix Nobel de la paix, tous mes amis, chacun dans leur coin, ont ri ou pleuré sous le coup de l'émotion, ou se sont enivrés. On ne sait pas si, ce soir-là, Wen Jiabao ne s'est pas réjoui en silence...