Cette discussion semble tout de même avoir eu un peu de succès, en sorte que si on est un peu occupé ou que, comme moi , on a quelques soucis avec son ordinateur, on prend vite un tour de retard.
Quelques réponses – surtout à laoshi - et éclaircissements, tout de même, en m'efforçant de ne pas être trop long, en ce qui concerne mon soutien (critique et certainement pas inconditionnel) aux autorités chinoises, c'est à dire, de fait, au PCC.
Ckdeux vous dites que «c'est la liberté de
critique politique contre le régime que le gouvernement [chinois] ne veut pas» [mais il tolère la critique dans les autres champs].
C'est bien là ce qui me gêne, et que je veux voir changer (et je pense que cela se fera progressivement) et aussi ce que laoshi condamne sans réserve, au nom de principes en soi moralement inattaquables.
D' ailleurs, d'un point de vue strictement moral, celui que pose une philosophie
absolutiste, je ne peux qu'adhérer à tout ce que défend laoshi. Et, sur un point en tout cas, de mon point de vue, la torture est indéfendable. J'ai d'ailleurs été très déçu et indigné d'entendre tout récemment sur France -Info Bernard Benyamin, l'un des créateurs de l'émission Envoyé spécial ( sur France 2) en justifier l'emploi. Il ne faisait cependant que suivre la ligne adoptée par les autorités américaines à la suite de l'attentat du 11 septembre pour en autoriser l'emploi.
C'est tout à fait indigne de nos démocraties occidentales – et on voit bien que, dès lors qu'elles se sentent un tant soit peu menacées, elles font facilement fi de leurs grands principes.
Pourquoi, dès lors que je n'en soutiens pas ces aspects, est-ce que je ne souhaite pas la destruction du régime chinois du PCC? Quelques éléments de réponse éclaireront peut-être le
relativisme qui m'anime sur ces questions (1).
Mes réflexions et tentatives (bien laborieuses et tout imprégnées de doutes) pour penser tout cela s'alimentent surtout à
deux sources :
- la pensée de Marx, sur laquelle, après l'avoir rejetée sans vraiment l'avoir étudiée, je n'ai sérieusement réfléchi que bien tardivement (pour l'essentiel, après l'effondrement de l'Union soviétique, lorsque tous l'ont rejetée sans examen ni réévaluation) ; je considère que certains de ses concepts demeurent pleinement pertinents et opératoires, par exemple celui de lutte des classes (on peut en constater quotidiennement les développements et les effets), et cette idée selon laquelle l'état de la technique détermine les rapports de production et le type de société qui prévalent (c'est pour cela que je pense que, avec les moyens actuels de communication et d'échanges, le PCC ne pourra pas continuer de faire progresser la société chinoise sans évoluer politiquement ce dont, je suis persuadé, ses instances dirigeantes sont parfaitement conscientes).
- La philosophie analytique anglo-saxonne (qu'on appelle aussi pragmatisme et, également, utilitarisme). C'est le contraire d'une philosophie absolutiste (qui pose des principes absolus). Par exemple, concernant la guerre, elle ne dit pas que celle-ci est indéfendable et qu'il n'y a même pas à en discuter, parce qu'elle sait bien que c'est certes confortable moralement, mais tout à fait inopérant, que la guerre existe, et existera sans doute pour longtemps encore. Dès lors, elle dit qu'il faut aménager un Droit de la guerre (c'était l'idée à la base des Conventions de Genève sur ce sujet) qu'il faut s'efforcer de faire adopter par les Etats les plus puissants. C'est le vieux principe Pascalien : «Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on s'efforce de faire que ce qui est fort soit juste» (ce n'est pas la citation exacte mais, à très peu près, et je n'ai pas eu le temps de la rechercher). Ainsi, elle pose des règles très précises concernant, par exemple, la légitimité d'une opération militaire en fonction de la réalité des objectifs militaires et des pertes («collatérales») civiles qui s'en suivront obligatoirement et définit, donc, au-delà, ce qu'est un crime de guerre.
Pour compléter l'explication, je dois dire que j'ai été, aux temps déjà quelque peu lointains de ma jeunesse, violemment (c'est à dire sans reculer devant des manifestations violentes et offensives)
anticommuniste.
Je le regrette aujourd'hui profondément, et cela surtout depuis l'effondrement de l'Union soviétique, qui, au lieu du «Nouvel ordre mondial» pacifique et débarrassé de la course aux armements qu'on nous avait un temps promis, et auquel j'aurais bien aimé pouvoir croire, a apporté plusieurs catastrophes grosses de plus grands dangers encore, dont la rupture des équilibres politiques et religieux, le saccage, et la disparition des états laïques du Moyen-orient (des dictatures, en effet, mais que nos Etats occidentaux ont aussi largement soutenues dès lors qu'elles réprimaient les forces sociales et politiques progressistes, ou qu'elles menaient des guerres atroces contre ceux qui menaçaient nos intérêts, ainsi, de 1980 à 1988, le gentil Saddam Hussein contre le méchant Khomeini).
Si je remonte plus loin, au temps de mon enfance, dans les années cinquante, j'ai été, comme bien d'autres, nourri des comics militaristes américains, du Reader's Digest, du journal Tintin et de Spirou (je dois cependant à ce dernier mes premières connaissances historiques), à quoi s'ajoutait tout ce que déversait la presse et la radio en ces temps de guerre froide. Je sais donc particulièrement bien que
la propagande, pas toujours honnête, n'est pas l'apanage exclusif des dictatures. Ainsi, plus récemment, par exemple, de la propagande française visant à faire passer le seigneur de guerre, chef de clan féodal islamiste Massoud pour un défenseur des valeurs laïques et démocratiques. Ce dernier, il est vrai, était infiniment plus présentable que les Hekmatyar et autres Ben Laden un temps alliés des Etats-Unis et, à ce titre, soutenus, financés et armés par ce pays.
La prise du pouvoir par les communistes minoritaires (je rejette, sur ces questions, le léninisme) de Najibullah dans l'Afghanistan tribal et obscurantiste fut une erreur politique, et le soutien militaire apporté par l'URSS à cette occasion (mais les considérations géostratégiques sont évidemment rarement rejetées), une plus grande encore. Le soutien des Etats-Unis aux forces opposées (pour des considérations du même ordre) me paraît avoir été tout aussi néfaste, et fut largement responsable de l'instauration ultérieure du pouvoir taleban.
De même, les guerres qui ont détruit l'Irak, même si on faisait abstraction des massacres qu'elles ont engendré, ont été catastrophiques et motivées par l'intérêt économique et géostratégique. Celle de 1991 s'appuyait certes sur le droit international, suite au coup de force irakien au Koweit mais dans cette affaire, si je n'adhère pas à la thèse du complot américain machiavélique, je dirai que les signaux envoyés à l'Irak auparavant furent, pour le moins, peu clairs. Au passage, les pures calomnies employées pour justifier les massacres (cette accusation, fabriquée de toutes pièces, selon laquelle les militaires irakiens avaient délibérément tué des bébés en les jetant hors de leurs couveuses) déshonore, jusqu'à la fin des temps, les Bush et les Al Shaba qui les ont perpétrées. C'est digne de Goebbels, ou du mensonge stalinien qui fit croire que son crime (du massacre des officiers polonais à Katyn) était l'oeuvre de ses ennemis.
En 2003, la seconde guerre contre l'Irak (je serai,
pour cela, toujours reconnaissant au président Chirac de n'y avoir pas engagé notre pays) n'eut aucune justification. Cette histoire d' armes de destruction massive était, on le sait parfaitement aujourd'hui, un pur mensonge. Faut-il le rappeler, un seul pays possède plus d'armes de destruction massive que tous les autres réunis, et ce pays demeure, à ce jour, le seul à avoir utilisé l'arme nucléaire (à Hiroshima et Nagasaki) contre des populations essentiellement civiles, aux fins de les terroriser et de menacer de cette puissance leur futur ennemi potentiel (l'URSS de Staline).
Je dois ajouter, sur une question voisine, que, si le crime nazi (allemand et autrichien, mais aussi polonais, ukrainien, balte, français ...) qu'a été le massacre, rationnellement conçu, planifié et exécuté, des Juifs d'Europe constitue la plus grande horreur du vingtième siècle,
les démocraties parlementaires ne furent pas exemptes de la perpétration de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, en particulier ces abominations injustifiables que furent les bombardements incendiaires de masse des villes de Hambourg, Dresde et, surtout, (9-10 mars 1945) Tokyo.
En dépit de cela, je ne souhaite pas le démantèlement des Etats-Unis d'Amérique ou leur éclatement en cinquante états. Ils sont
nécessaires à l'équilibre de ce monde et ont un rôle, que je voudrais plus positif (comme je voudrais les autorités chinoises plus respectueuses de leur propre droit écrit, et plus souples dans leur législation).
Mais je suis
très inquiet lorsque j'entends ces mêmes Etats-Unis, par la voix de leur président, annoncer qu'ils vont «se réinvestir dans la zone Asie-Pacifique», inciter aux dépenses militaires l'Australie et les Philippines, et aller jusqu'à soutenir la droite militariste japonaise qui veut réarmer. Sans parler de la modification, assez récente, de la doctrine militaire américaine en matière d'emploi de l'arme nucléaire : avant, ils avaient accepté le principe de ne l'utiliser
que contre des pays qui en disposent eux-mêmes, et jamais en premier ; aujourd'hui ils ont fait passer dans leur législation la possibilité de procéder à des
frappes nucléaires préventives contre n'importe quel ennemi !
Voilà aussi une raison, pour moi, de soutenir, sans justifier certaines de leurs pratiques internes, les autorités chinoises qui ont toutes les raisons de se sentir menacées.
Voilà pourquoi je ne défendrai pas non plus
inconditionnellement nos démocraties parlementaires, pour que nous ne nous inscrivions pas dans un schéma du type Forces du Bien («nous») contre Axe du Mal (les autres qui ne nous aiment pas), qui n'est que pure propagande, et souhaite donc porter, sans cesse, toutes ces critiques de «notre» propre camp.
Ce qui me gêne (plutôt que ça ne me choque d'ailleurs), dans l'utilisation, réitérée dans le dernier paragraphe de son message du 12 février par laoshi du terme «ressasser» c'est cette trituration du langage qui fait que, par exemple, j'ai pu voir sur l'une de nos grandes chaînes de télévision un petit film chinois expliquant la nécessité de la politique démographique et, donc, de la limitation des naissances évidemment qualifié de «propagande». Pourquoi donc ceux qui, ici, parfaitement comparables, expliquent la nécessité des politiques de prévention routière, ou de la vaccination antigrippale sont-ils, eux, appelés «campagnes de sensibilisation»?
Et ma formation de linguiste, et ma réception de cette idée confucianiste de la rectitude des noms (正名
me préviennent contre les manipulations du langage et l'utilisation excessive de certains effets rhétoriques faciles.
Ces manipulations du langage, le Troisième Reich en fut le champion, les pouvoirs communistes, d'ailleurs, y ont aussi eu et y ont largement recours.
Nos démocraties parlementaires ne se déshonoreraient pas en s'en abstenant, et les défenseurs des libertés dont vous êtes ne doivent pas s'y laisser aller. Cela n'ajoute rien à leur position, si forte et juste.
Cela étant, ce n'est pas un drame, et cela peut aussi m'arriver, même si je m'efforce toujours à l'
honnêteté (concept pour moi essentiel, surtout pour les professionnels de l'information, alors que l'idée d'objectivité, inutile, me semble impossible à définir et à pratiquer : c'est la
diversité – et donc la liberté d'expression que je crois essentielle à une démocratie véritable, avec cette idée voltairienne selon laquelle
je déteste ce que vous dites mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire – la citation, ici encore n'est sans doute pas exacte mais peu s'en faut.)
Deux ou trois dernières remarques sur ces sujets sensibles mais si importants :
Même si certaines données culturelles ou historiques, dans certains pays ont pu, peuvent peut-être, affaiblir la résistance aux tentations de la violence, celle-ci, comme l'oppression, n'est l'apanage d'aucun peuple. Ni les Américains, ni les Allemands, ni les Japonais, ni les Britanniques, les Français ou les Serbes n'y sont
par nature enclins.
Ce sont les situations de puissance, locales ou globales, et les intérêts qu'elles servent qui les génèrent. J'insiste sur cette évidence parce que, même si je pense comme ckdeux que les USA sont très souvent
instrumentaux dans les crises internes de certains autres pays (particulièrement dans les régions d'importance stratégique), et qu'ils ne se privent pas de financer et d'instrumentaliser des mouvements d'opposition, leur disparition ne réglerait pas les problèmes du monde.
Bon, cela va peut-être suffire pour m'expliquer aujourd'hui.
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- Le relativisme dont je parle est aussi historique. Il rend pour moi difficile, à partir de notre époque, la condamnation sans partage de personnages comme Qin Shihuangdi.
- Sur la question des Droits de l'homme à la défense desquels j'approuve que vous appeliez, j'ai aussi une position relativiste : nos Droits de l'homme ne reconnaissent ni le droit à vivre de son travail, ni le droit au logement mais, en revanche, font du droit de propriété un fondement essentiel de la démocratie. Je n'y souscris pas, au-delà du droit de posséder le logement qu'on habite, ou celui, pour un artisan, de posséder son matériel (camion et outils, etc.), même si je ne suis pas opposé par principe à la propriété privée des moyens de production qui a prouvé son efficacité - mais il peut y avoir des conflits de droits entre individus et collectivité, que, pour moi, la loi a vocation à arbitrer au-delà et au-dessus du droit de propriété.