Comme je n'aime pas l'inachevé, je reprends mon analyse de ce feuilleton dont la qualité intrinsèque est proche de zéro (malgré le talent des acteurs), mais qui montre, de l'intérieur, comment l'idéologie officielle est véhiculée dans la Chine contemporaine. Car, comme l'écrit Thomas Boutonnet,
« le système de propagande chinois (xuanchuan xitong 宣传系统)
agit sur l'ensemble des médias existants pour diffuser l'information sur le territoire chinois ». Rien de tel que les feuilletons, donc, pour acclimater les changements politiques dans l'opinion.
Le générique de fin vante
« l'excellence » des
« racines » (un terme que l'on trouve aussi dans la
« littérature des racines ») et
« le respect des rites ». Or Il ne faut pas négliger l'effet d'une telle ritournelle sur le public. Quotidiennement répétée, elle s'inscrit dans la mémoire des téléspectateurs (je constate moi-même qu'elle me trotte dans la tête), elle sollicite leur mémoire ancestrale (d'autant plus précieuse qu'elle a été menacée de destruction par la folie meurtrière de la Révolution culturelle) au service du présent.
Tous ces termes renvoient à Confucius et à Mencius dont l'héroïne, cadre de base du PCC, rappelle à tout bout de champ qu'ils sont originaires de la région et qu'ils sont les modèles dont chacun doit s'inspirer. Ils renvoient tout particulièrement au Livre des rites [礼记] de Confucius et au modèle de la
« grande unité » [大同] dont Hu Jintao revendique explicitement l'héritage dans ses discours :
« Le Livre des rites décrit une société idéale dans laquelle le dao était habité et la terre appartenait à tous, les hommes talentueux et vertueux [au pouvoir] inspiraient la confiance et entretenaient l'harmonie. » En écho à cet âge idyllique où régnaient des hommes soucieux du bien public, Hu Jintao affirme que
« la direction du pays par le Parti communiste et son système socialiste constituent les garanties les plus fondamentales pour la construction d'une société harmonieuse socialiste ». Aucune démonstration, pas même l'ébauche d'une argumentation, une simple pétition de principe :
« l'harmonie » est le maître mot de la politique, le Parti est le garant de l'harmonie => toute autre politique, en particulier la démocratie, contraire à la tradition chinoise immémoriale dont Confucius est le garant, est mauvaise ! Le devoir moral de critiquer le gouvernement, pourtant affirmé par Confucius lui-même, est pudiquement ignoré : la docilité, la soumission, tels sont les objectifs de ce recours obsédant à la tradition confucéenne. Que le verbe
« harmoniser » signifie
« censurer » dans la
« novlangue » du PCC est révélateur....
L'édification de la
« société harmonieuse » [goujian hexie shehui 构建和谐社会] s'inscrit ainsi dans un processus de
« naturalisation de l'ordre social établi » visant à faire accepter les inégalités sociales au nom des
« principes confucianistes de concorde et d'harmonie des inégalités ». Car l'harmonie, telle que la pense Confucius, repose sur une stricte hiérarchie affirmant
« la primauté de la nation sur la communauté, de la société sur l'individu, et de la famille, comme unité de base de la société, sur chacun de ses membres ». Les dirigeants communistes entretiennent donc l'harmonie en laïcisant l'idée confucéenne selon laquelle chacun a été mis à la place à laquelle il se trouve par le destin et qu'il doit accomplir sans rechigner la tâche qui lui a été assignée par les dieux. L'acceptation par chacun de ses conditions d'existence devient ainsi un devoir moral et social :
« partir de l'individuel et réguler l'individu pour enrégimenter la collectivité et maintenir l'ordre social », voilà le sens du confucianisme réinterprété à la manière de Hu Jintao et par notre feuilleton. Il est très significatif à cet égard que la jolie cadre venue
« civiliser » le village fasse le compte, dans l'un des derniers épisodes, des étoiles qui manquent encore aux habitants : malgré les progrès, constate-t-elle, 46 restent encore à conquérir ! 46 comportements individuels ou familiaux doivent être réformés ; il y a encore des enfants qui se soucient comme d'une guigne de la piété filiale, des brus qui ne s'entendent pas avec leur belle-mère, des égoïstes, des
« barbares » à civiliser et des déviants à
« rééduquer ».
Cependant encourager ainsi le retour aux racines et aux traditions fait courir un risque : celui du retour des croyances irrationnelles qui vont à l'encontre de la science sur laquelle est censée reposer la politique de
« modernisation » de la Chine. Le feuilleton fait donc le grand écart en encourageant d'un côté le retour aux traditions, le respect des rites, mais en fustigeant, de l'autre, les superstitions. En fonction de l'adage ci-dessus :
« l'inculture et l'ignorance sont une honte », la fiction incarnera donc ces tares dans deux personnages, une guérisseuse aux pratiques de type chamanique et la
« barbare » qui redoute les pouvoirs magiques de celle-ci malgré son appartenance au PC. Au terme de la série, la sorcière, consultée par un père pour connaître les jours propices au mariage de son fils, se verra répondre que désormais, grâce à la politique des étoiles,
« il n'y a plus que des jours fastes » et l'incorrigible superstitieuse cherchera à s'amender....
L'un des épisodes-clefs du feuilleton illustre parfaitement ce
« grand écart » : la maison du bègue, Cui Er, est comme une verrue de pauvreté et d'abjection au centre du village, c'est pourquoi le Parti décide sa destruction pure et simple. Mais la masure, rétorque le pauvre homme, est celle de ses ancêtres, de ses
« racines », son emplacement a été choisi selon les règles de la géomancie ; la détruire, ce serait faire insulte à leur mémoire et plus encore au culte qu'il doit leur rendre, aux
« rites » dont Confucius ordonne qu'ils soient scrupuleusement rendus et dont la ritournelle du générique affirme qu'ils le sont ! Lorsque les bulldozers arrivent pour mettre à bas ce qui n'apparaît au chef de village que comme
« un tas de crottes de chien », le
« rebelle » gesticule dans une scène qui rappelle tout à la fois l'image de ce jeune homme arrêtant une colonne de chars en 1989 et les destructions de tant de quartiers historiques de Pékin ou d'ailleurs. Relogé dans une maison claire et saine par le PC, Cui Er reconnaîtra finalement qu'il aurait fallu la détruire depuis longtemps et que seuls son stupide entêtement et son égoïsme avaient jusque là empêché cette oeuvre de salubrité publique. Mieux, le bègue, dont les penchants pour le larcin et l'escroquerie apparaissent tout au long de la série, se rachète de ses fautes : il rend l'argent qu'il a extorqué à un richissime taïwanais venu investir dans le village de ses ancêtres ; et comme le vieillard insiste pour qu'il garde cet argent mal acquis (Cui Er lui a vendu trois fois son prix un de ses moutons, rentré lui-même au bercail), le
« converti » cite Confucius à l'appui de son honnêteté retrouvée.
Derrière son apparente naïveté,
L'Etoile du Bonheur sonne à notre porte constitue donc un parfait exemple de l'entreprise de
« moralisation des classes pauvres » que met en oeuvre le PCC pour faire accepter par la population son refus de toute démocratisation réelle du régime et les inégalités qui se creusent dans
« la société socialiste de marché » dont il gère le développement
« harmonieux »...