Victor Hugo et le sac du palais d'été - 圆明园 ( Yuánmíng Yuán ) en 1860
Le contexte historique :
Sur le site d'un parc impérial des Ming, la construction de cet immense palais avait débuté dès 1700. L'ensemble avait été achevé 150 ans plus tard.
Les guerres de l'opium:
La destruction du Palais d'Été s'inscrit dans ce que l'on appelle les « guerres de l'opium » qui marquent, dans l'histoire de la Chine, une longue période d'humiliation dont le peuple chinois ressent toujours la honte. L'expression désigne les conflits qui ont opposé à la Chine la Grande-Bretagne (première guerre de l'opium, 1839-1842) puis la France (seconde guerre de l'opium, 1858-1860). Conclues par des défaites chinoises qui ont amené des traités dits « inégaux » forçant la Chine à ouvrir son commerce, ces guerres de l'opium marquent le début d'une forte influence étrangère qui a pour conséquence la révolte des Boxers (1899-1901) et la chute de la dynastie Qing (1911). Elles traduisent inversement l'affirmation de la puissance européenne dans le monde. En effet, cet impérialisme se caractérise à partir du XIXe siècle par une entreprise de colonisation mais il prend aussi d'autres formes, comme ici en Chine avec la domination commerciale.
Le prétexte de ces guerres est la liberté du commerce de l'opium que les Britanniques veulent imposer aux Chinois. Ce commerce apparaît à la fin du XVIIIe siècle. Il s'agit, pour les marchands anglais qui achètent du thé et de la soie aux Chinois, d'écouler une marchandise qu'ils font venir d'Inde. Connue en Chine depuis le Xe siècle mais longtemps consommée par la seule élite, cette drogue se répand alors dans toutes les couches de la société chinoise et devient l'objet d'un commerce de grande ampleur qu'au début du XIXe siècle les autorités chinoises entreprennent de réprimer. C'est pour permettre la poursuite de leur commerce et plus généralement défendre leurs intérêts que les marchands anglais réclament l'intervention armée. Le succès de la première expédition militaire (1839-1842) oblige le gouvernement impérial à faire d'importantes concessions comme l'ouverture de nouveaux ports aux Anglais ou la limitation des droits de douane (traité de Nankin, 1842). La seconde guerre de l'opium, à laquelle la France participe en vue de défendre les intérêts missionnaires en Chine, contraint en particulier l'empire chinois à établir des relations diplomatiques officielles avec la Grande-Bretagne, ouvrir de nouveaux ports et légaliser, par le traité de Tianjin, le commerce de l'opium. L'enjeu véritable est en réalité l'ouverture de la Chine aux intérêts des Occidentaux. Et c'est pour briser l'obstination de l'empereur, qui rechigne à appliquer les clauses des traités, que Britanniques et Français frappent au coeur symbolique de son pouvoir : la résidence d'été.
En 1860, l'empereur Xianfeng est en fuite. Le 17 octobre 1860, au milieu de la seconde guerre de l'opium, les troupes coalisées anglo-françaises qui avaient envahi Beijing et occupé l'arrondissement Haidian au nord-ouest onze jours auparavant, commencèrent à piller puis à détruire par le feu le somptueux palais d'été 圆明园 (Yuánmíng Yuán ) sous l'ordre de lord Earl of Elgin and Kincardine (James Bruce 1811-1863), commandant en chef des troupes anglaises en Chine. Durant au moins trois jours consécutifs, les soldats anglais et français mirent à sac tous les trésors de ce palais impérial, joyau de la combinaison de l'architecture au style chinois et européen, quintessence des arts orientaux et occidentaux.
Le Palais du Yuanming yuan 圆明园:
Connu en Occident sous le nom de Palais d'Été, le Yuanming yuan – ou jardin de la clarté parfaite – est alors la résidence de l'empereur. Cible tactiquement plus facile que la Cité interdite, le Palais d'Été constitue alors également une cible politiquement plus adaptée : du point de vue occidental, mieux vaut détruire un symbole fort de la puissance de la dynastie que la source même du pouvoir impérial. Le Yuanming yuan marque une étape importante dans l'histoire des jardins en Chine comme dans l'histoire de la dynastie Qing. Édifié au XVIIIe siècle par la volonté des premiers empereurs Qing, dynastie mandchoue assise sur le trône de Chine depuis 1644, le jardin occupe un vaste domaine de 350 ha au nord-ouest de Pékin qui représente à une échelle grandiose le monde en miniature. Il s'agit pour cette dynastie exogène de se légitimer aux yeux du peuple conquis en adhérant aux valeurs proprement chinoises, comme la culture lettrée et le confucianisme. Ensemble formé de plusieurs vallées ornées de pavillons d'une grande diversité architecturale, le jardin compte en particulier des palais européens entourés de fontaines et de jeux d'eau que Qianlong (1736-1796) a fait construire par les artistes jésuites occidentaux à son service. Présenté par Victor Hugo comme une merveille typique de « l'art oriental », ce palais est ainsi, à la fois un modèle des valeurs chinoises et le remarquable produit d'un métissage culturel. « Splendide et formidable palais de l'Orient », la résidence abrite en outre une partie des réserves de l'État : or, collections d'oeuvres d'art chinois et curiosités occidentales. Avant d'être livré aux flammes par Lord Elgin, le tout est pillé par le corps expéditionnaire franco-britannique, deux lots étant réservés aux souverains, l'un pour la reine Victoria, l'autre pour Napoléon III. Aujourd'hui, après l'incendie, il ne reste plus qu'un seul jardin restauré, bien modeste témoignage de la magnificence du « jardin des jardins ».
l' intervention de Victor Hugo:
Victor Hugo , en exil à Hauteville House,à Guernesey ( où il vécut 19 ans, après le coup d'état du 2 décembre 1851), ne connaissait cette merveille du monde qu'à travers le récit des voyageurs.
Cependant,Le 25 novembre 1861, répondant au capitaine Butler de l'armée britannique qui faisait l'éloge du sac du palais d'été, il dénonça de façon édifiante cette action des troupes anglo-françaises coalisées contre la Chine impériale.
Lettre de Victor Hugo au capitaine Butler :
Hauteville House, 25 novembre 1861
"Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l'expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l'expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria et de l'empereur Napoléon, est une gloire à partager entre la France et l'Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d'approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française.
Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici :
ll y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s'appelait le Palais d'été. L'art a deux principes, l'Idée qui produit l'art européen, et la Chimère qui produit l'art oriental. Le Palais d'été était à l'art chimérique ce que le Parthénon est à l'art idéal. Tout ce que peut enfanter l'imagination d'un peuple presque extra-humain était là. Ce n'était pas, comme le Parthénon, une oeuvre rare et unique ; c'était une sorte d'énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle.
Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d'été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d'eau et d'écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d'éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c'était là ce monument. Il avait fallu, pour le créer, le lent travail de deux générations. Cet édifice, qui avait l'énormité d'une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? pour les peuples. Car ce que fait le temps appartient à l'homme. Les artistes, les poètes, les philosophes, connaissaient le Palais d'été ; Voltaire en parle. On disait : le Parthénon en Grèce, les Pyramides en Égypte, le Colisée à Rome, Notre-Dame à Paris, le Palais d'été en Orient. Si on ne le voyait pas, on le rêvait. C'était une sorte d'effrayant chef-d'oeuvre inconnu entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule, comme une silhouette de la civilisation d'Asie sur l'horizon de la civilisation d'Europe.
Cette merveille a disparu.
Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d'été. L'un a pillé, l'autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu'il paraît. Une dévastation en grand du Palais d'été s'est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d'Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu'on avait fait au Parthénon, on l'a fait au Palais d'été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n'égaleraient pas ce splendide et formidable musée de l'orient. Il n'y avait pas seulement là des chefs-d'oeuvre d'art, il y avait un entassement d'orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L'un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l'autre a empli ses coffres ; et l'on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l'histoire des deux bandits.
Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voila ce que la civilisation a fait à la barbarie.
Devant l'histoire, l'un des deux bandits s'appellera la France, l'autre s'appellera l'Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m'en donner l'occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais.
L'empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd'hui avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d'été.
J'espère qu'un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée.
En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate.
Telle est, monsieur, la quantité d'approbation que je donne à l'expédition de Chine."
VICTOR HUGO.
Il existe également , à Zhuhai (la porte de Macao au sud) une reconstitution à l'identique du palais d'été. La lettre et le portrait de Victor Hugo figurent en bonne place dans une salle d'exposition.... bien que connaissant Zhuhai, pour y être passé, mais je ne connais pas personnellement cet endroit.
Pour être complet, il faut aussi rappeler que Victor Hugo ne fut pas le seul à en parler :
Le sac du palais d' été a aussi été évoqué par Pierre Loti et Pierre-Jean Rémy , tous deux aussi de l' académie française....
Beaucoup de superbes pages, évoquées en partie notamment dans l' ouvrage : "Le Voyage en Chine", Bouquin, Robert Laffont, 1992 .
il y aurait tant à dire, au regard de nos conceptions modernes et de la mentalité actuelle; sur l' attitude des occidentaux (dont les français...)à l'époque des guerres de l' opium ... Sans compter, outre les guerres et les combats qui dépendaient de la politique étrangère des pays, les mentalités très spéciales (et bien loin de l' humanisme...) des européens allant faire fortune en Chine....lisez Pierre Loti....
"L'occident détruit l'Occident, tout autant que l'Orient, analyse Alain Peyrefitte dans son ouvrage "l'Empire immobile". Surtout, il détruit pour longtemps les chances d'échanges amicaux qui eussent permis une fertilisation croisée entre les deux bouts du monde."
Et pour conclure, on peut penser, comme Victor Hugo, qu' à la suite du sac du palais d'été, aucune haine ne devait opposer le peuple chinois aux peuples français et britannique. Car seules la barbarie et la convoitise des gouvernements occidentaux de l'époque étaient à mettre en cause dans cette tragédie.
" Les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais ".
Longue Vie à l' Amitié Franco-Chinoise !! (^_^)
références:
Cette lettre est publiée dans Nora Wang, Ye Xin, Wang Lou," Victor Hugo et le sac du Palais d'été", Les Indes savantes/You Feng, 2003.
Planète chinois / contexte historique et guerres de l' opium:
http://planete-chinois.cndp.fr/pistes-pedagogiques/titre-de-la-piste/article/la-lettre-de-victor-hugo-au-capitaine-butler-sur-le-sac-du-palais-dete-1860-lycee-histoire.html
wikipédia:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ancien_palais_d%27%C3%A9t%C3%A9
wikisource:
http://fr.wikisource.org/wiki/Actes_et_paroles/Pendant_l%E2%80%99exil/1861
Le monde diplomatique:
http://www.monde-diplomatique.fr/2004/10/HUGO/11563
je remercie mon ami Alexandre olivier Martin, auteur d' un excellent article sur ce sujet, et fondateur du groupe facebook et du site web " Longue Vie à l' Amitié franco-chinoise" :
http://www.facebook.com/notes/alexandre-olivier-martin/victor-hugo-et-le-sac-du-palais-dete-yuan-ming-yuan-yuanming-yuan-/37023069398
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