Je viens de regarder
Le Fossé, que j'avais enregistré hier soir. Le film est bouleversant, à l'image du livre de Xianhui Yang, que j'ai lu cet été. Il ne reprend pourtant qu'une partie des témoignages que Xianhui Yang a transformés en nouvelles pour contourner la censure.
Car les autorités chinoises ne sont pas encore prêtes à affronter le passé, comme en témoigne les silences du
Musée National de Pékin dont nous avons parlé ailleurs.
Télérama a écrit :L'équipe, réduite au minimum, a filmé avec l'angoisse constante d'être arrêtée. Une crainte légitime : la police a fini par intervenir. Informés de son arrivée, Wang Bing, ses techniciens et ses acteurs ont tout juste eu le temps de s'enfuir en voiture. Tous les rushes ont ensuite été acheminés clandestinement vers la France, où le cinéaste a passé de longs mois à trier les cent trente heures d'images enregistrées dans le désert de Gobi.
Le Fossé a été projeté en tant que "film-surprise" au dernier festival de Venise, en septembre 2010. Wang Bing pense qu'il ne sera pas visible en Chine avant une trentaine d'années.... "Le vrai drame aujourd'hui, déplore-t-il, c'est qu'au silence persistant de l'Etat sur ce drame s'ajoutent l'ignorance et l'indifférence des jeunes générations".
Le film restitue de manière poignante le rythme de vie (ou plutôt de mort lente) de ces hommes prêts de périr d'inanition, incapables de tenir debout, de parler sans reprendre leur souffle entre chaque mot ou presque, et qu'il faut réveiller, plusieurs fois par nuit, pour qu'ils ne meurent pas dans leur sommeil. Car on meurt beaucoup trop à Jiabiangou ! il faut, impérativement, réduire les chiffres, quitte à rendre
"provisoirement" les détenus encore valides à leurs familles, en attendant des jours meilleurs pour y faire revenir ces incorrigibles
"droitiers" et autres
"véhicules du capitalisme"....
Ce voyage au bout de l'enfer est aussi un voyage au bout de l'absurde qui donne une image glaçante de l'idéologie : on y voit un ancien cadre du Parti, convaincu d'avoir été incarcéré à tort, continuer à jouer les commissaires politiques à l'encontre de ses co-détenus avec l'implacable rhétorique du Parti ; on y voit un cadre du camp menacer de dénonciation une moderne Meng Jiang Nü venue donner une sépulture décente à son mari, mort d'épuisement.
Mais ce qui domine cet univers inhumain, c'est, précisément, la résistance de l'humanité en l'homme même quand on le réduit à n'être plus qu'un loup pour l'homme. Donner son manteau à un fugitif mourant pour le protéger des loups, donner sa place dans le dortoir à l'épouse du camarade défunt pour la protéger tant bien que mal du froid, écrire pour un co-détenu quand on tient à grand peine une plume, autant de gestes d'héroïsme gagnés sur l'abjection et la déhumanisation du camp de
"rééducation" !
Pour ceux qui ont manqué le film, je précise qu'il
sera rediffusé le 21 avril à 2 H 45 du matin.