Fable et vérité: l'histoire d'une grenouille 青蛙的故事

La fameuse histoire « la grenouille cuite dans l'eau » a traversé toute la Toile chinoise. L'histoire raconte une expérimentation réalisée par un scientifique américain : ce dernier met une grenouille bien vivante dans une marmite remplie d'eau bouillante, et la grenouille saute immédiatement de la marmite par réflexe. En revanche, quand le scientifique remet cette grenouille dans la même marmite remplie d'eau ambiante, chauffée par du feu doux en dessous, la grenouille se montre à l'aise dans l'eau agréablement chaude. Une fois que la grenouille commence à sentir la température d'eau excessive, elle ne retrouve plus la force de sauter, et est finalement cuite dans l'eau bouillante.

Nombre de Chinois considèrent cette histoire comme une fable significative pour annoncer « vivre dans l'adversité et mourir dans le bien-être ».

Moi-même j'ai publié un article à ce sujet sur mes blogs, tout en comparant l'eau bouillante à l'esprit critique : la critique fait mal momentanément mais réveille la conscience, de sorte que les gens se tiennent en éveil et enfin sauvegardent leur vitalité durable. Pour les gens « dans l'eau tiède », puisqu'ils se contentent de profiter du confort temporaire, ils perdent petit à petit la sensibilité vis-à-vis du changement essentiel de leur environnement. Ils finissent par le payer toute leur vie.

Or, je viens de lire, par hasard, une autre version de cette histoire sur l'Internet : quelques lycéens chinois ont réalisé eux-mêmes l'expérimentation identique, à plusieurs reprises, dont le résultat s'est pourtant montré bien loin de la fable reconnue.

Selon ces lycéens, lorsque l'eau dans la marmite est chauffée jusqu'à une température entre 30°C—40°C, les grenouilles, agitées, manifestent une impatience ; quand la température d'eau atteint 40°C—50°C, la plupart des grenouilles commencent à sauter sans arrêt et arrivent à se sauver de la marmite (puisque la grenouille possède un instinct de saut remarquable). Néanmoins, l'eau bouillante semble fatale pour ces pauvres Etres : la plupart des grenouilles meurent presque au même moment où elles sont jetées dans l'eau bouillante, sauf une ou deux survivantes par un coup de chance.

Pour la même histoire, deux versions complètement contredites me surprennent énormément.

Si la première version constitue une fable et la deuxième une preuve scientifique, c'est intéressant d'imaginer comment des connaissances pourraient s'égarer éventuellement à cause de l'écart entre la fable et la science.

Si les deux versions sont prises pour des sources d'information qui alimentent la réflexion, ce serait difficile à juger quelle source est vraie et laquelle est fausse.

Si la première version est établie comme « information d'autorité », la deuxième la « contre-partie », quelle ironie puisse se révéler vis-à-vis de la notion « l'autorité ».

Si la majorité est convaincue que la première version dévoile « la vérité », la deuxième version pourrait donc défier la légitimité de la dite « vérité ».

C'est ainsi que la réflexion indépendante et l'esprit sceptique me semblent autant précieux que difficiles à sauvegarder en permanence.

La vérité expérimentale, en l'occurrence, n'invalide pas la signification de la fable, Tong.Z ! Tout simplement parce que nous ne sommes pas des grenouilles et que nous n'avons pas un instinct de saut remarquable.

Les étudiants chinois qui ont cru pouvoir vérifier l'histoire de la grenouille par l'expérience ont fait preuve tout à la fois d'un légitime esprit critique et d'une certaine naïveté. Ils ont confondu la question du SENS qui relève de l'interprétation et celle de la VERITE qui relève de la démonstration et/ou de la preuve expérimentale.

L'histoire de la grenouille n'est qu'une parabole qui doit nous inciter à la réflexion, non pas sur nos muscles sauteurs mais sur notre propension à préférer "un assujettissement tranquille" à une "orageuse liberté" : "on vit tranquille aussi dans les cachots, disait Rousseau, en est-ce assez pour s'y trouver bien ?" Ce que veut dire la fable, c'est que nous sommes trop souvent complices de notre servitude, que nous préférons le confort douillet de l'esclavage, pourvu qu'on nous y habitue tout doucement, à la responsabilité qui va de pair avec la liberté.

Imaginez qu'on décide, en haut lieu, de brûler tous les livres de philosophie, d'histoire et de littérature. Immédiatement, une grande majorité de la population se mobiliserait pour défendre la liberté d'expression. Jamais les autorités politiques n'agiraient ainsi ! elles préfèrent des solutions infiniment plus douces : "alléger" les programmes scolaires, supprimer une par une, à coups de réformes bien "expliquées" , les heures d'enseignement attribuées à ces disciplines... l'opinion, dans sa grande majorité, n'y voit que du feu et la pratique de la lecture diminue lentement mais sûrement dans notre beau pays de France, pays des Droits de l'homme et de la LIBERTE.

"Imaginez qu'on décide, en haut lieu, de brûler tous les livres de philosophie, d'histoire et de littérature. Immédiatement, une grande majorité de la population se mobiliserait pour défendre la liberté d'expression. Jamais les autorités politiques n'agiraient ainsi !"
Chère Laoshi, ne pariez jamais sur l'intelligence ni la sagesse des autorités politiques. Souvenez-vous qu'un dénommé LI Si ordonna, en 213 avant J.C., la grande destruction des livres. C'était le premier ministre, tout puissant, d'un empereur retiré de la vie publique, celui de l'armée d'argile, Shi Huangdi.
Ceci dit, j'aime assez votre idée que l'allègement des programmes aurait pour objectif de préserver les avantages de la France d'en haut, en retirant à la France d'en bas les moyens de son éducation. Mais ce n'est pas le lieu d'en débattre plus avant.

vos histoires de grenouille et de fable me font penser à la non moins célèbre fable de Jean de la Fontaine.

LA GRENOUILLE QUI SE VEUT FAIRE
AUSSI GROSSE QUE LE BŒUF

Une Grenouille vit un Boeuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle qui n'était pas grosse en tout comme un oeuf,
Envieuse s'étend, et s'enfle, et se travaille
Pour égaler l'animal en grosseur,
...............Disant : Regardez bien, ma soeur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?
Nenni. M'y voici donc ? Point du tout. M'y voilà ?
Vous n'en approchez point. La chétive Pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.

je ne dirais pas que la Chine est la grenouille et veuille ressembler au boeuf américain, loin s en faut. Mais je crains qu elle perde son âme à vouloir trop vite assimiler les us et coutumes occidentales au détriment de ses propres coutumes ancestrales pour des raisons souvent économiques et mercantiles.

pour en savoir plus sur les fables qui traversent encore les siècles en y apportant les lumières toujours actuelles et vivantes
http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/greboe.htm

je parlais évidemment dans le contexte actuel, Hebei, mon "jamais" n'avait pas valeur transhistorique et je sais bien que "rien n'est jamais acquis à l'homme", surtout pas sa liberté !

@Laoshi:
Ce qui m'a étonnée dans cette histoire de la grenouille, c'est les deux versions complètement différentes...

La première version n'est pas vraiment une fable, puisqu'elle provient d'une expérimentation scientifique d'un laboratoire américain.

Ma question se pose ainsi: comment on peut se tromper avec des connaissances dites "légitimes".

En plus, vous parlez du SENS et la VERITE. Si "la vérité" qu'on croit n'est pas vraie, quel est le sens d'un "SENS"?

En ce qui concerne "brûler tous les livres de philosophie, d'histoire et de littérature", je pense à la même histoire dans l'époque du premier empereur Qin Shi Huang 秦始皇, que Hebei a évoquée. Et aussi le plus récemment, la grande Révolution culturelle...

@TinTin66:
Je connais cette fable sur "la grenouille et le boeuf", très intéressante!

Je rejoins votre réflexion sur le développement spectaculaire de la Chine. Sans des valeurs centrales solides, un modèle de développement ne pourrait pas être durable. Il n'existe pas de miracle dans ce Monde...

Tong.Z a écrit :

@Laoshi:
Ce qui m'a étonnée dans cette histoire de la grenouille, c'est les deux versions complètement différentes...

La première version n'est pas vraiment une fable, puisqu'elle provient d'une expérimentation scientifique d'un laboratoire américain.

Ma question se pose ainsi: comment on peut se tromper avec des connaissances dites "légitimes".

En plus, vous parlez du SENS et la VERITE. Si "la vérité" qu'on croit n'est pas vraie, quel est le sens d'un "SENS"?

En ce qui concerne "brûler tous les livres de philosophie, d'histoire et de littérature", je pense à la même histoire dans l'époque du premier empereur Qin Shi Huang 秦始皇, que Hebei a évoquée. Et aussi le plus récemment, la grande Révolution culturelle...

@TinTin66:
Je connais cette fable sur "la grenouille et le boeuf", très intéressante!

Je rejoins votre réflexion sur le développement spectaculaire de la Chine. Sans des valeurs centrales solides, un modèle de développement ne pourrait pas être durable. Il n'existe pas de miracle dans ce Monde...

en ce qui concerne les sciences et celles de la Nature ( ou SVT Sciences Vivantes et de la Terre) elles ne sont pas forcément légitimes comme vous le dites.Elles admettent aussi les erreurs de diagnostic, n 'exigent pas tout le temps des résultats mais des moyens pour parvenir à une solution ou une réponse que la Nature semble nous poser.
La science est donc faite d 'expérimentations, d 'expériences et certainement pas de certitudes,de vérités ou de légitimité.

Le sens sert l' interprétation que l 'on donne aux choses ou à nos propres réflexions, il est donc tout à fait subjectif.

"La vérité qu'on croit", n'est pas la VERITE, Tong.Z ; c'est, par définition une simple "croyance", toute croyance impliquant qu'on pense comme vraie une proposition qui ne l'est pas nécessairement ! La question du SENS va de pair avec celle des valeurs qui ne relèvent pas de l'objectivité scientifique.

Il est vrai que les grenouilles ont été prises, à la fin du XIX° siècle, comme cobayes de laboratoire pour étudier les phénomènes d'accoutumance. Mais ces expériences se sont vite transformées en "allégorie de la grenouille" ; d'abord utilisée par les économistes, cette fable a été popularisée par Al Gore dans La Vérité qui dérange pour mettre en évidence la nécessité d'une lutte contre le changement climatique.

Al Gore en appelle effectivement à la légitimité de la science pour valider son engagement écologique. Mais un film n'est pas une preuve scientifique et l'usage qu'il fait de l'expérience de la grenouille est allégorique. Le SENS de cette allégorie est tout simplement pour lui : "agissons maintenant, sinon, le réchauffement du climat sera irréversible !".

Wikipedia a écrit :

Les origines de cette allégorie viennent de la littérature physiologique du XIXème siècle. Un article co-écrit par G. Stanley Hall en 1887 parle de nombreuses expériences sur des grenouilles dans les années 1870 et 1880, dans le but de tester la rapidité de réaction de leur système nerveux, le changement de température faisant partie de ces stimulateurs.
Une source de 1897 cite une expérience accomplie en 1882 à l'institut Johns-Hopkins: « Une grenouille vivante peut en fait être bouillie sans qu'elle bouge si l'eau est chauffée assez lentement ; dans une expérience, la température a été augmentée de 0.002°C. par seconde, et la grenouille fut retrouvée morte après 2 heures 30 sans avoir bougé ».

L'expérience scientifique doit sa validité à son caractère reproductible. Mais on ne peut invalider ses résultats que si on n'a rien changé aux paramètres de l'expérience originale. L'expérience des lycéens chinois a-t-elle respecté ces paramètres ? Concerne-t-elle la même variété de grenouilles ? Les mêmes causes produisant les mêmes effets, toute modification du protocole expérimental entraîne nécessairement des conclusions différentes, comme le montre le même article :

Wikipedia a écrit :

En 2002, le Dr. Victor H. Hutchison, professeur émérite de Zoologie à l'université d'Oklahoma, a réalisé des expériences pour confirmer ces écrits. Dans celles-ci, la température a été augmentée de 2°F. par minute (ou 0.019°C. par seconde), ce qui représente une augmentation 10 fois supérieure à celle des expériences de 1882 sur la grenouille plongée dans de l'eau portée lentement à ébullition. Résultats : la grenouille devient de plus en plus active et tente de s'échapper, en sautant éventuellement si le conteneur lui permet. Le Dr H. Hutchison déclara : « La légende est totalement incorrecte ».

En l'occurrence, cette conclusion n'est pas scientifiquement valide puisque les paramètres ont été modifiés. Si les étudiants chinois ont reproduit l'expérience de Victor H. Hutchison, il n'est pas étonnant qu'ils aient abouti à un résultat différent de celui de l'expérience de 1882 à l'institut Johns-Hopkins. Si leurs conclusions sont conformes à celles du professeur américain, c'est sans doute parce qu'ils ont eux aussi modifié certains paramètres de l'expérience originelle. Ils concluent en tout cas comme Doug Melton du département de biologie de l'université de Harvard, lui aussi cité par Wikipedia :

Wikipedia a écrit :

« Si l'on plonge une grenouille dans de l'eau bouillante, elle ne s'échappera pas. Elle mourra. Si on la met dans de l'eau froide, elle s'échappera avant qu'elle n'ait chaud -- les grenouilles ne restent pas assises tranquillement pour vous. »

Mais ceci n'enlève rien au sens de l'allégorie si, du moins, on veut bien la prendre comme telle, c'est-à-dire comme une petite histoire exemplaire d'une idée et non comme une preuve scientifique.

Pour ce qui est de la destrution massive des livres et des connaissances, je ne peux vous répondre que ce que j'ai déjà répondu à Hebei :

je parlais évidemment dans le contexte actuel, Hebei, mon "jamais" n'avait pas valeur transhistorique et je sais bien que "rien n'est jamais acquis à l'homme", surtout pas sa liberté !

@ Laoshi....il n y a plus rien à dire...circulez...

@Laoshi:

Merci, Laoshi, toujours autant de patience pour répondre à mes postes.

C'est intéressant de prendre conscience du mode de penser français, différent du nôtre (chinois). "La science", "la logique", "la philosophie", des concepts pas encore très implantés dans le penser chinois...

Merci pour votre explication qui éclaire plus ma lanterne...


@TinTin66:
Je n'ai plus rien à dire. Il ne me reste qu'à méditer!