Disons-le tout de suite, je n'ai pas vu le même film que celui dont parle le dossier de presse ; tout le monde semble avoir vu un film hilarant, personnellement, j'ai vu un film profondément déprimant. Je me demande même si les différents journalistes n'ont pas copié les uns sur les autres tant leurs différents commentaires manquent d'originalité. Puisque le film n'est distribué que dans de très rares salles, je vais vous le raconter en le commentant brièvement pas à pas. Je ne vous garantis pas que les séquences sont parfaitement dans l'ordre mais je crois que cela ne change pas fondamentalement le sens du film.
Je ne sais pas si le mot "vacances", en chinois a le sens de vacuité, de vide, comme en français. C'est en tout cas la sensation oppressante que j'ai ressentie tout au long de ce film qui fait irrésistiblement penser au cinéma-vérité de la fin des années 60 à ceci près que les silences y sont beaucoup plus longs, d'une longueur insupportable et très peu réaliste.
Le film commence par un plan large sur un bloc d'immeubles d'une laideur triste à pleurer ; la bande son (curieusement, je n'ai pas le souvenir qu'elle ait été commentée dans le dossier de presse que j'ai lu) mêle des détonations éloignées (dont on ne peut saisir le sens indépendamment du titre du film) et un slogan répété en boucle (13 syllabes que je n'ai malheureusement pas comprises). Devant le bloc, une large rue, vide. Cela dure plus d'une minute : le vide absolu.
Arrive enfin un adolescent, qui s'arrête ; il est seul, longtemps ; un autre arrive au terme d'une nouvelle attente, très longue elle aussi ; puis un troisième. Ils n'ont rien à faire, pas même à aller voir la fille qui vend des choux sur le marché, finalement « quelconque » ; ils décident donc d'aller rendre visite à un copain. Seule information : on apprend que le père d'un des garçons « n'a pas pris ses médicaments » ; phrase qui sera répétée à la fin du film.
Nouveau plan : cette fois, il s'agit d'un plan d'intérieur. Un adolescent lit tout haut les définitions du mot « habitude » dans un dictionnaire d'anglais ; tout y passe, y compris l'étymologie latine, mais le sens qui domine est celui de « répétition d'un stimulus déterminant une accoutumance ou une réponse stéréotypée » (ma citation est approximative mais l'idée est bien celle du réflexe conditionné pavlovien) : on ne peut pas ne pas penser au slogan répété en boucle dans la première scène puis aux rares phrases ou actions qui elles aussi seront répétées pendant le film. La répétition comme fondement de l'accoutumance résignée, telle est en effet, me semble-t-il, la clef du film.
La caméra passe de ce personnage à un autre, un adolescent qui dort (et ce sommeil, lui aussi, se répétera dans le film) ; la chambre est nue : un lit, un fauteuil, des murs sales et vides. Arrivent les trois premiers, silencieux, immobiles, ils regardent leur camarade dormir ; l'un d'eux s'approche du lit et vérifie sa respiration : il dit au premier qu'il n'y a plus rien à faire et qu'il peut préparer l'enterrement. Le dormeur ouvre alors les yeux et s'assied dans son lit ; une fille arrive, elle a tricoté un bonnet vert-bouteille pour le garçon ; chacun, tour à tour, examine longuement le tricot en silence ; le garçon dit qu'il n'en a pas besoin, qu'il n'en est pas encore là ; la fille repart, le dormeur mange un gâteau sans quitter son lit ; fin de la séquence. Sommeil symbolique, sans doute, d'une Chine morte-vivante en état de catalepsie.
Plan d'extérieur sur l'immeuble, côté cour : on voit, en plongée, un adolescent traverser la cour ; elle est encore plus déprimante que la façade ; un cochon est attaché à sa niche au pied de l'immeuble, au milieu des détritus que balaye le vent. On aperçoit, par les rares fenêtres éclairées, quelques silhouettes, presque toutes immobiles, prisonnières de leur « niche » comme le cochon de la sienne.
Nouvelle scène d'intérieur, le jour : un enfant de 5 ans environ est assis par terre, la tête dans les mains, son grand-père (ou son grand-oncle), assis sur le canapé devant la télévision, lui dit : « tiens-toi tranquille ou tonton va te botter les fesses ! » (la phrase sera répétée à chaque apparition de ces deux personnages, toujours le réflexe pavlovien) ; le petit garçon, bien dressé, se lève et s'asseoit à l'autre bout du canapé : on comprend que s'asseoir par terre était déjà, pour le grand-père, une insupportable transgression de l'ordre ; l'enfant demande, en vain, l'autorisation d'aller jouer dix minutes dans la cour. Long plan sur les deux personnages, quasiment immobiles, le petit garçon « se tient tranquille », seules bougent ses mains, ou plutôt ses doigts.
Scène d'extérieur, au crépuscule, semble-t-il : la scène se passe devant une rangée de portes métalliques qui ressemblent à s'y méprendre à des portes de cellules de prison, toutes hermétiquement closes. Deux garçons sont immobiles face à face, le plus grand gifle l'autre qui lui donne immédiatement un billet, tiré de sa poche ; nouvelle gifle, le garçon sort un billet de sa chaussette et le donne à son agresseur ; troisième gifle, la victime sort un billet de sa chapka ; à chaque fois, l'agresseur vérifie soigneusement que le billet n'est pas un faux. Arrive, sur son triporteur, le père du petit racketté ; à son tour, il gifle l'agresseur et récupère l'argent de son fils. Le père demande à son fils pourquoi il se laisse dépouiller sans riposter. Son fils lui répond qu'il serait lui aussi mauvais s'il le faisait. Métaphore, sans doute, d'une Chine résignée dans laquelle les citoyens sont systématiquement soumis à l'exigence de pots-de-vin par les potentats locaux. La scène se répétera elle aussi mais cette fois le père ne sera pas là pour jouer les redresseurs de tort.
Scène d'intérieur : le petit garçon regarde la télévision avec son grand-père ; la pendule, filmée en gros plan, égrène bruyamment ses secondes (son tic-tac obsédant remplit longuement la bande-son disant la vacuité absolue du temps).
Le film que regarde le grand-père n'est malheureusement pas traduit, il constitue visiblement une mise-en-abyme du sens du film, mais je n'ai rien compris au dialogue : on y voit un personnage masculin, en gros plan, parler longuement de lui ; un autre, sur le visage duquel la caméra se tourne ensuite, lui répond, si je ne me trompe : « je te comprends ». L'enfant demande au grand-père ce qu'il a, il se dit « ému ».
L'enfant dit qu'il voudrait sa maman,
- « Elle travaille », répond le grand-père
- Mais alors pourquoi est-ce que tu ne travailles pas ? demande l'enfant
- parce que je suis retraité.
- est-ce que moi aussi je suis retraité ? demande le petit garçon
- en quelque sorte, répond le grand-père (ou « presque » « 差不多 »)Réplique d'une cruauté inouïe niant tout avenir à la génération de son petit-fils.
Dans la scène télévisée suivante, on voit deux aveugles, filmés en contre-plongée ; l'un est habillé de blanc, l'autre de noir (la télé est en noir et blanc) ; ils avancent silencieusement en balançant leur canne blanche devant eux et s'arrêtent brusquement lorsque leurs cannes se heurtent l'une à l'autre. Chacun fait alors un pas de côté mais ils se retrouvent sur la même ligne et le même manège se reproduit ; nouveau pas de côté, nouvelle répétition ; pas un des aveugles n'a l'idée de dire un mot pour dénouer la situation. Même silence que celui des personnages du film, même enfermement dans un monde absurde où l'on avance en aveugle, ou plutôt où l'on tourne en rond, à l'image de ces élèves en vacances d'hiver, absents au monde et à eux-mêmes.
Retour de la caméra sur le canapé : cette fois, c'est la grand-mère qui est là, à la place du grand-père. Elle ne dira pas un mot, on ne la reverra pas dans le film.
La soeur du grand-père arrive avec sa petite fille, elle s'asseoit sur le canapé, les deux enfants, d'âge équivalent, vont jouer dans la chambre du garçon. Scène suivante : la grand-mère vient rechercher sa petite-fille pour rentrer à la maison. Les deux enfants sont assis côte-à-côte, immobiles ; la petite-fille n'a même pas posé son manteau, elle répond : « pas tout de suite, je n'ai pas fini de jouer avec lui », métaphore d'un monde où les mots sont privés de sens ? La petite fille demande au petit garçon ce qu'il veut faire quand il sera grand ; réponse : « être orphelin » ! autre manière de dire que les adultes, par leur résignation, ont privé ces enfants d'avenir ?
Scène d'extérieur : une femme fait son marché ; sur les étals, quelques légumes défraîchis, quelques choux flétris, quelques potirons, des vendeurs alignés sous un auvent en tôle ondulé, devant leurs places numérotées ; aucun échange entre eux, aucune animation, une pénurie d'un autre âge. La cliente examine longuement un chou, le vendeur la houspille. Elle se tourne alors vers le triporteur du père d'un des enfants ; ses choux ont l'air un peu moins flétris que les autres, elle en choisit un, le dépouille d'une grande partie de ses feuilles et marchande ; le vendeur lui consent finalement un prix très bas et elle s'en va en récupérant les feuilles flétries qu'elle a enlevées avant la pesée. On se dit que les habitants mangent à peine mieux que le cochon attaché à sa niche en bas de l'immeuble. Pendant tout ce temps, on entend les mêmes détonations que dans la première scène, toujours aussi peu festives.
Scène d'intérieur : trois générations sont à table. Quelques légumes sur une assiette, une viande peut-être sur une autre, un bol de riz devant chaque convive ; on est pourtant censé être en période de « vacances d'hiver », donc de joie et d'abondance. Le père, la mère, le grand-père et l'adolescent mangent en silence ; seul le petit garçon ne mange pas et fait le tour de la table, sa mère lui ordonne de manger et le menace : « si tu ne manges pas, tonton va te bosser les fesses ».
Scène d'extérieur : les cinq adolescents se retrouvent en bas de l'immeuble, il neige ; l'un d'eux s'éloigne pour parler à la seule fille qui a tricoté le bonnet. II essaye de la dissuader de retourner au collège : elle est nulle, lui dit-il, c'est la dernière de la classe, elle est moche et elle ne trouvera personne d'autre que lui pour s'intéresser à elle ; lui, il veut des enfants, faire sa vie ; apparemment, il ne parvient pas à la convaincre. Il retourne voir ses copains et tous les cinq s'installent sur les deux fauteuils et le canapé à trois places qui sont installés dehors, comme si la distinction entre espace intime et espace public n'existait pas en Chine. A son tour, l'adolescent essaie de convaincre l'un de ses camarades, qui veut arrêter ses études parce qu'il n'a aucune chance d'être reçu à l'examen et qui a marre de cette vie absurde, de ne pas baisser les bras ; il lui cite la fille en exemple qui, bien que dernière en classe, ne se décourage pas.
On continue à entendre les détonations des pétards qui éclatent au loin, pendant la fête de Chun Jie mais les adolescents sont totalement coupés de ce monde festif qui prend, hors contexte, des allures guerrières et lugubres.
Scène d'intérieur : un homme s'habille avec soin ; son épouse cherche à mettre sa plus belle robe ; elle découvre que son collant de laine a été coupé en deux ; on comprend que c'est sa fille qui l'a utilisé pour tricoter le bonnet vert ; on retrouve le couple au bureau de l'état civil ; les époux sont en train de divorcer ; c'est une formalité, sans passion, sans dialogue ; l'employée leur demande s'ils veulent réfléchir, ils répondent « non » l'un comme l'autre. Un vieux couple arrive à son tour, l'homme vérifie qu'il s'agit bien du bureau des divorces, c'est écrit sur la porte mais il est illettré.
Scène d'extérieur reproduisant exactement la scène de racket initial (si ce n'est que le père ne vient pas à la rescousse).
Scène d'intérieur : le petit-fils regarde une grande photo sur le mur ; on y voit, à gauche et à droite, un couple de jeunes mariés, tout de blanc vêtus ; l'enfant demande pourquoi ils sourient, le grand-père répond que c'est parce qu'ils étaient heureux ; entre les deux couples (peut-être le même à gauche et à droite), un grand vide couleur framboise. Toujours le vide.
Le grand-père dort sur le canapé, son petit fils en profite pour s'habiller et pour sortir, il va rendre visite à sa petite copine qui se présente à sa fenêtre, elle lui demande où il va ; il lui répond qu'il va devenir orphelin et lui dit qu'elle peut venir avec lui pour être elle aussi orpheline.
Scène d'intérieur : les adolescents sont en classe, ils sont une trentaine d'élèves, tous portent le sweet-shirt de l'établissement marqué YOUZHONGXINGAO (si mes souvenirs sont bons). Un professeur veut leur faire un cours sur les mollusques mais il ne trouve pas ses notes, il finit par mettre tous ses papiers par terre ; il se lance dans un monologue sur le sens l'existence : « tous les livres qui nous parlent de la réalité et de la vérité ne sont que du vent, affirme-t-il, la seule question qui compte, c'est de savoir qui nous sommes » ; l'un des élèves répète la phrase dite au début du film « mon père a encore oublié de prendre ses médicaments ». Je suppose donc que le professeur, qui a l'air plutôt ahuri, est le père de cet adolescent ; est-ce à dire que les Chinois sont comme assommés de psychotropes, anesthésiés, et que cela leur évite de se poser de questions élémentaires sur le sens de sa vie ?
Les élèves restent aussi inertes que les mollusques dont il devait être question dans le cours « officiel » ; entre alors une jolie jeune femme qui dit au professeur de sciences naturelles qu'il s'est trompé de salle ; il ramasse ses affaires et s'en va ; elle commence son cours, c'est un cours d'anglais. Son accent est impeccable ; elle donne un sujet de réflexion à ses élèves : « Que puis-je faire pour aider la société ? » ; les élèves ne bougent pas, ils restent affalés sur leur table tandis qu'on entend un morceau de Metal Rock (je ne suis pas spécialiste mais je crois que c'est ainsi qu'on appelle cette musique très violente). Fin de ce film déprimant et désespérant.
Si vous voyez de l'humour là-dedans, expliquez-moi. J'ai l'impression que le sens du film a complètement échappé aux commentateurs ; je me demande d'ailleurs encore quel est son sens réel. S'agit-il d'une métaphore de la situation chinoise actuelle, du sentiment d'une jeunesse qui s'ennuie comme s'ennuyait la France d'avant 68 ? d'une jeunesse qui ne voit d'autre dérivatif à son ennui que dans la violence du rock ? S'agit-il d'un tableau des banlieues laissées à l'abandon dans la Chine prospère d'aujourd'hui ? D'un peu tout cela à la fois ? Si vous avez des idées, n'hésitez pas à éclairer ma lanterne.