Je sors tout juste de ce film superbe et bouleversant, d'une violence extrême sans doute mais sans aucune complaisance, sans aucun voyeurisme.
Apparemment, les critiques, que je viens de parcourir très rapidement, font la fine bouche....
Personnellement, j'ai trouvé le film très fort, beaucoup plus encore que
La Liste de Shindler auquel on le compare ; et je ne suis sans doute pas la seule : les spectateurs sont d'ailleurs sortis de la salle de cinéma dans un silence absolu qui tranche avec le brouhaha habituel.
Contrairement à ce que disent certains articles, John Rabe n'est pas l'objet d'une ridicule hagiographie ; lorsque débute le film, en 1937, Rabe a, à l'évidence, des préjugés racistes : il demande ainsi à son chauffeur
"à quoi lui sert d'avoir une tête", ce à quoi le chauffeur répond :
"à éviter que l'eau ne tombe dans ma gorge quand il pleut" , une plaisanterie qu'il a sans doute apprise de son patron.... Rabe voit les Chinois comme des rustres incultes auxquels il faut des années pour apprendre le salut nazi, un geste et un slogan pourtant si simples.... Mais il a passé 27 ans en Chine, il est donc moins au fait de la politique de son pays que les journalistes d'aujourd'hui qui connaissent, littéralement, la suite de l'histoire et voient les choses de manière rétrospective. Avant de reprocher au réalisateur la naïveté de ce personnage de
"bon nazi", il faudrait donc prendre la peine de lire le journal de Rabe. C'est ce qu'a fait le Florian Gallenberger dont je vous recommande la longue interview donnée dans
Cosmopolitaine dimanche dernier. Florian Gallenberger y rappelle que cette naïveté était très partagée puisqu'Hitler, à l'époque, était pressenti pour le Prix Nobel de la paix, aussi bizarre que cela puisse nous paraître aujourd'hui !
Quant au caractère mélodramatique du film, je crois qu'il n'en a pas rajouté : Florian Gallenberger rappelle ainsi, dans l'interview dont je parle plus haut, que la directrice du pensionnat de jeunes filles dont il est question dans le film a dû livrer vingt jeunes filles aux Japonais pour en sauver cent autres du viol et qu'elle s'est suicidée à la fin de la guerre. Le cinéaste n'a pas repris cette scène dans le film. Contrairement à ce qu'on dit, il n'a donc pas forcé le trait.... Mais à chaque instant, ses personnages sont confrontés à d'épouvantables dilemmes et tentent, humainement, de préserver leur propre dignité d'hommes et celle des autres. Ceux qui ne comprennent pas ce que signifient
"les droits de l'homme" trouveront peut-être dans ce film une réponse à leurs questions.
Florian Gallenberger explique également dans cette interview qu'il lui a fallu parlementer pendant un an avec les autorités chinoises pour être autorisé à filmer parce que son film posait un problème idéologique au gouvernement : les Japonais étant le premier partenaire économique de la Chine, le gouvernement chinois ne souhaitait pas les montrer de manière trop négative, il ne souhaitait pas non plus montrer les habitants de Nankin comme des victimes désarmées en proie à la barbarie japonaise => la décision de tourner un film chinois rectifiant cette vision sombre de l'histoire, montrant les Chinois plus combatifs et les Japonais plus humains.... Là encore, Florian Gallenberger montre pourtant que les Japonais eux aussi sont capables de faire passer leurs devoirs et les droits de l'homme avant leur idéologie.
L'avant-dernière scène du film,enfin, l'avancée des chars japonais sur une population désarmée massée devant les grilles de la zone de sécurité, ne peut manquer d'évoquer d'autres chars, chinois ceux-là, écrasant le
Printemps de Pékin...., une scène que l'on voit malheureusement se reproduire ailleurs sous nos yeux tous les jours !