Rome découvre la Chine
An 166 de notre ère, deux Romains traversent une partie de la Chine pour rejoindre la capitale impériale. Là, ils sont reçus avec luxe et honneurs. Deux empires, dominant chacun leur monde, venaient de se découvrir après des décennies de contacts indirects. Pourquoi Rome s'intéressa à ce pays lointain et mythique ? Les ambitions commerciales expliquent-elles cette longue quête ?
Pour comprendre le périple de 166, il nous faut remonter le temps. Les guerres d'Alexandre le Grand repoussent les limites connues jusqu'en Inde. C'est la première fois qu'un royaume occidental pénètre aussi loin en Asie. Jusqu'à présent, les peuples de ces régions faisaient tampon, notamment les Perses qui commerçaient avec ces pays lointains. Éphémère, l'empire d'Alexandre s'écroule après sa mort et ses généraux se divisent les terres. Deux ensembles vont alors peser lourd dans le commerce international : Séleucie et l'Égypte des Ptolémée. Ces deux puissants royaumes vont rentrer en concurrence pour les territoires mais aussi pour le commerce. Alexandrie devient rapidement la ville du savoir, une riche métropole commerçante. Surtout, les Ptolémée vont intensifier les routes marchandes lointaines, notamment vers l'Arabie et les Indes. C'est notamment pour ce commerce que l'Égypte crée le port de Bérénice sur la mer Rouge. La cité va rapidement devenir une plaque tournante du commerce international, contournant ainsi les routes terrestres contrôlées par la Séleucie (qui recouvre l'ancien empire perse).
Heureusement pour nous, cette épopée fantastique, peu connue du public, est superbement retranscrite par Jean-Noël Robert qui, dans De Rome à la Chine, livre une analyse des sources passionnante qui nous a beaucoup inspiré pour écrire cet article.
L'empire universel
Une des caractéristiques de l'empire romain est son universalité, ancrée dans la pensée romaine depuis la République. L'extension romaine, les guerres puniques renforcent le sentiment universel du peuple romain. Mais l'homme fort, le commandant, le dux, fait peur au peuple. César fut assassiné pour son penchant monarchique, influencé par la monarchie orientale. Mais cet acte odieux au cœur du Sénat va permettre d'établir un nouveau régime politique à la place de la République : le principat, que l'on qualifie à tort d'empire. Et son chef, le princep, est pour nous l'empereur romain, ce qui là aussi reste un raccourci malheureux. Mais cette volonté universaliste se heurta longtemps à un adversaire redoutable et redouté : l'empire parthe, qui prit la place de l'empire séleucide en Perse, aux marges de l'Inde, jusqu'en Mésopotamie. Puissant royaume militaire, les Romains vont se rendre compte de leur impuissance à faire plier un tel royaume. Cela débuta avec la sévère et humiliante défaite de Crassus, puis celles de Decidius Saxa et de Marc Antoine. Autre pays problématique, l'Arabie. Cependant, Auguste réussit à récupérer les aigles de Crassus. Cette universalité passe aussi par la venue d'ambassades très lointaines auprès d'Auguste. Ainsi, l'empereur reçoit des délégations d'Inde, des Scythes. Il est possible, mais non avéré faute d'une documentation plus nombreuse, qu'une ambassade sère ait rejoint l'empire romain. Auguste confie aussi à son fidèle ami Agrippa de préparer une carte du monde prenant place dans le portique Vipsania à Rome. De nos jours, nous connaissons encore mal cette « mappe-monde », faute de vestiges, faute de documents. Cependant la carte Peutinger est réputée en être une reproduction, mais ceci reste à confirmer et des doutes subsistent. Cette carte montre l'empire romain, les villes, les routes.
Une longue attente
Entreprenants et voyageurs, les Romains le furent, l'aventure ne les effrayait pas. Et pour rejoindre les limes de l'empire, la mer était le moyen le plus rapide malgré les aléas, les risques. L'orient romain était extraordinaire de richesse, de vitalité. On peut citer Pergame, Palmyre, Alexandrie. Depuis plusieurs siècles, les routes maritimes en Mer Rouge et l'océan indien pour contourner l'Arabie, aller vers l'Inde, Ceylan ou encore le Golfe Persique étaient connues et exploitées. Mais les routes terrestres étaient tout aussi actives mais aux mains de puissants peuples comme les Parthes ou les Nabatéens. Pour éviter les Parthes, les Romains pouvaient passer par une longue et dangereuse route celle passant par Byzance, la mer Noire, le Caucase pour rejoindre la mer Caspienne puis la Bactriane avant de rejoindre la mythique ville de Samarkhand si célèbre pour la route de la soie. Mais de la Bactriane, il fallait pouvoir rejoindre la Sèrique en passant par les monts Pamir, véritable muraille de pierre, particulièrement difficile à passer. Enfin après une longue route, s'ouvrait enfin la porte de la Chine, à Daxata. Puis on pénétrait dans la Sèrique pour rejoindre la capitale des empereurs Han près de la moderne Xian.
Définir les présences d'éventuels romains en Chine reste impossible mais certaines thèses parlent de présence de légionnaires capturés par les Parthes puis combattant auprès des Huns avec d'être de nouveau capturés par les Chinois.
Au tournant de notre ère, les Chinois envoient en Occident Kan Ying (sur ordre de Pan Tchao, agissant sur ordre impérial). Il a pour mission de reconnaître les routes et d'aller voir Ta T'sin, l'empire romain. Mais il ne dépassera pas la frontière parthique en lisière du limes romain. Les parthes ont sans doute tout fait pour l'en dissuader, voulant garder son commerce. Pourquoi une telle mission de la part du royaume du Milieu ? Pas militaire mais plutôt un objectif politique et surtout commercial car il sait combien la soie était prisée par Rome. Et l'envoyé chinois va « truqué » son rapport à son supérieur et décrire ce qu'il n'a jamais vu.
L'ambassade de 166
Donc en 166, les textes chinois nous l'indiquent, deux romains arrivent dans la capitale des Han, au cœur de l'empire. Ils se présentent comme les envoyés de l'empereur Marc-Aurèle avec quelques présents qui semblent décevoir l'empereur chinois. Malheureusement pour nous, hormis des présents visiblement d'origines égyptiennes, nous ne savons pas grand de ces marchands (sans doute le sont-ils). D'où partent-ils ? Quelles routes empruntent-ils ? Nous pouvons uniquement supposer. J-N Robert propose d'y voir des marchands orientaux, citoyens romains. Quoi qu'il en soit, il leur fallait une sacrée témérité pour tenter, et réussir, un si long voyage. Mais ils pouvaient sans doute s'appuyer sur les expériences passés, les guides des routes, et surtout la longue chaine de relais, d'hommes qui parsemaient la longue route des limes orientaux de l'empire jusqu'en Sèrique. Cette expédition est sans doute avant tout commerciale car l'empire consommait beaucoup de produits exotiques comme le poivre ou le coton indien. Et bien entendu la soie qui provenait de différents pays comme l'Assyrie mais la qualité chinoise était inégalée notamment par sa teinture qu'elle supportait très bien. Mais l'essor et la prospérité de ce commerce dépendent de la stabilité politique et militaire des royaumes et de la bonne santé économique de Rome. La crise l'empire va peu à peu tarir ce commerce lointain. Difficile aussi d'évaluer le poids financier de ce commerce mais l'historien Pline écrit que les Romains achetaient pour 100 millions des sesterces même si cela ne prend pas en compte les achats, en or, des Indiens.
Les Sères sont-ils Chinois ?
Les géographes et auteurs romains parlent au-delà, ou au-dessus des Indes, un pays lointain, mal situé géographiquement : la Sèrique dont les habitants sont les Sères. Ce pays se situerait plus ou moins au nord, au nord est ou à l'est des Indes sans pour autant le situer très précisément. Les Sères sont-ils les Chinois comme on le lit souvent ? La dernière recherche semble répondre négativement. Les Sères étaient fortement liés à la soie. Leur pays commerçait activement avec l'Inde, la Bactriane. Si la Sèrique n'est pas la Chine, il se pourrait parfaitement que ce nom désigne une région occidentale de la Chine actuelle. Notons aussi que l'on parle de la soie de sères, comme ayant une grande qualité. On peut penser qu'il s'agit bien de la soie chinoise.
Des Ethiopiens partout
Aujourd'hui, les Ethiopiens désignent les habitants de l'Ethiopie. Mais durant l'Antiquité, cette désignation s'utilisait pour une population plus large sans pays fixe. Ainsi les Ethiopiens étaient aussi des Nubiens que des Indiens. Cette confusion vient des géographes qui ne connaissant pas les limites de l'Afrique, des mers et de l'Inde avaient tendance à biaiser la réalité. La campagne indienne d'Alexandre le Grand va permettre de mieux connaître la géographie ainsi que le long périple maritime de son amiral, Néarque. Le commerce lointain des Ptolémée va aussi permettre de préciser la géographique de l'Arabie, des Indes. Nous savons aussi par les sources que les Indiens touchent les côtes africaines, pour le première fois, durant le IIe siècle avant notre ère. Mais cette amélioration de navigation vient aussi de la découverte des systèmes des courants et des vents, notamment la mousson.
D'autres sources
Maes Titianos : riche marchand il fait partir vers la Sèrique une « expédition ». Il profite de la paix régnant sur la Mésopotamie, l'Asie centrale du milieu du Ier siècle et jusqu'aux premières années du IIe. Le récit, ou les quelques informations de ce voyage, n'apporte pas d'éléments probants mais visiblement pour les auteurs anciens, les voyageurs tinrent un récit peu crédible. Mais comme le note l'Historien Jean-Noël Robert, difficile pour un romain d'imaginer un monde aussi éloigné de sa civilisation que la Chine. Eudoxe : lui aussi peu connu du grand public, Eudoxe (de Cyzique) voyage jusqu'en Inde autour de le 115 av. JC. Il pensait que l'Afrique était entouré d'une mer.Le périple de la mer Erythrée : il s'agit d'un « guide » d'une grande importance pour nous car il décrit les côtes en direction de l'Inde et au-delà. D'auteur inconnu et datant peut être du premier siècle de notre ère, on y découvre un récit précis des côtes africaines, arabiques et indiennes. Une description plus vague vers la Chine est indiquée. L'auteur décrit aussi les ports d'escales.
Pour aller plus loin : Jean-Noël Robert, De Rome à la Chine, Les Belles Lettres, 1993
François TONIC, historien
Archéologie Magazine