Qilin
Le qilin 麒麟 est un animal chimérique de la mythologie chinoise souvent appelé licorne dans les langues occidentales. Il ne réside que dans les endroits paisibles ou au voisinage d'un sage. En découvrir un est donc un bon présage. On lui prête aussi le pouvoir de donner un fils talentueux. Qi est le nom du mâle et lin celui de la femelle, qilin la combinaison des deux. Il est parfois appelé familièrement sibuxiang [1] « qui ne ressemble à rien », terme englobant différents animaux réels ou imaginaires d'aspect composite. Comme il apparait dans les textes (mais pas toujours dans les représentations) avec une corne unique, on le nomme aussi licorne.
Description
Selon le Shuowen jiezi [2], dictionnaire de la dynastie Han, le qilin est un animal doux et aimable, avec un corps de cerf, une queue de bœuf et une corne unique. Duan Yucai [3] des Qing, dans son édition commentée, précise que sa corne, enveloppée de chair contrairement à celle du rhinocéros, est symbole de sagesse et non arme ; elle lui permet de séparer les justes de ceux qui ont quelque chose à se reprocher. Il a des sabots fendus ou cinq doigts. D'autres lui prêtent un pelage tacheté et un ventre jaune ; cette description est peut-être influencée par l'aspect de la girafe ramenée d'Afrique en 1414 par Zheng He et accueillie par l'empereur comme un qilin, témoignage de son bon gouvernement.
Le qilin est l'incarnation même de l'harmonie: sa voix est mélodieuse, sa démarche régulière. Il ne fait pas un pas sans avoir regardé auparavant où il va mettre le pied et ne détruit rien sous son sabot, pas même les brins d'herbe. Il ne traverse que les bons endroits et couche en terrain plat. Végétarien, il est nommé « bête bienveillante » [4] ou « bête auspicieuse » [5]. On prétend qu'il est l'émanation de Taisui, dieu astral de Jupiter qui gouverne le destin de l'année, et qu'il peut vivre deux mille ans. Selon certains, le cri du mâle présage l'apparition d'un sage, celui de la femelle le retour à la paix ; le cri d'été est favorable à la croissance des enfants, celui d'automne restitue les forces.
Malgré son tempéramment pacifique, le qilin peut, pour lutter contre le mal, cracher des flammes et rugir d'une voix de tonnerre.
Symbolisme
Roi des animaux : Selon le Liji, les quatre animaux sont le qilin, le phénix, le dragon et la tortue. Le qilin règne donc sur les animaux à poil, le phénix sur ceux à plumes, le dragon sur les bêtes à écailles et la tortue sur celles à carapace. Dans le Mengzi, il domine les animaux qui marchent alors que le phénix règne sur ceux qui volent. Dans les régions encore infestées de bêtes sauvages, on plaçait sur les autels l'inscription « Ici demeure un qilin » [6] pour les éloigner.
Gage de paix et de félicité : L'apparition d'un qilin est bon signe pour la région, sa disparition mauvais signe. Selon le Kongzi jiayu [7], tuer de jeunes animaux éloigne le qilin, briser les œufs dans les nids fait disparaitre le phénix, assécher les cours d'eau chasse le dragon. La tradition rapporte que lorsque Confucius travaillait à la rédaction des Annales de Lu vers la fin de ses jours, on annonça qu'un qilin avait été tué par un chasseur à l'ouest de la capitale. Il comprit alors que le roi Ai n'en avait plus pour longtemps et déclara : « Mon travail est fini ». Le « Livre du qilin » [8] désigne parfois les Annales.
Annonce de la venue d'un sage, d'un bon souverain ou de la naissance d'un fils talentueux : le Shijing utilise l'expression « trace du qilin » [9] pour désigner les descendants du roi Wen de Zhou et vanter leurs talents. On raconte qu'une licorne apparut à la mère de Confucius peu avant sa conception et déposa un livre de jade sorti de sa bouche [10]. Le thème de la licorne donneuse d'un fils promis à une belle carrière [11] était autrefois très populaire ; il apparait sur les estampes de Nouvel An ou les décorations de mariage. Un jeune garçon ou un jeune homme vêtu en aristocrate y est monté sur un qilin, accompagné de la déesse donneuse d'enfants. Dans le sud de la Chine, des « danses de licorne » avaient lieu pendant la période du Nouvel an. Les femmes désireuses d'avoir un fils devaient toucher la frange représentant sa barbichette. L'apparition d'un qilin est aussi gage de bon gouvernement et motif de réjouissances. Un qilin blanc serait apparu durant le règne de Han Wudi. Il proclama alors une nouvelle ère, celle du « grand commencement » [12]. Il fit fondre une nouvelle monnaie d'or appelée « empreinte de qilin » [13] et bâtir un Pavillon du qilin [14] dans le palais de Weiyang [15]. Le nom des ministres émérites devrait y être gravé. La girafe ramenée d'Afrique en 1414 par Zheng He et ses compagnons fut accueillie par l'empereur Yongle comme une licorne.
Représentation
Les sculptures de qilin les montrent avec le corps couvert d'écailles, des sabots de bœuf et, contrairement aux descriptions des textes, plus souvent une paire de cornes qu'une corne unique. Sous les Ming, la ou les cornes sont en général couchées vers l'arrière suivant la crinière traitée à la façon de flammes. Du feu sort parfois de la bouche, ainsi qu'un livre comme dans la légende de Confucius, mais il s'agit ici d'un soutra. Sous les Qing, (1644–1911), les cornes se dressent comme celles d'un cerf, la licorne a souvent une barbichette et une queue de lion ; les kirins japonais sont très semblables aux qilins Qing. On trouve souvent les licornes aux abords des temples et des palais ; l'impératrice Wu Zetian en avait placé une sur la tombe de sa mère. Sous les Qing, le costume des fonctionnaires militaires de premier grade portait le qilin sur les manches ; « les animaux saluant la licorne » était un motif de broderie prisé pour les jupes des dames de la haute société.
Dans la culture japonaise
Le kirin est bien connu de la culture japonaise, où il porte parfois sous le nom de ikkakujū, contraction de ichi (un), kaku (corne) et jū, (bête). Kirin est le nom de la girafe et aussi celui de l'une des trois plus grandes marques de bière à laquelle il sert de logo. Des personnages de dessin animé s'en inspirent, comme les kirins des Douze royaumes ou Shishi Gami de Princesse Mononoke.
Notes
1. 四不象 ; outre des animaux fantastiques ou mal identifiés, le terme sibuxiang désigne aussi une espèce zoologique définie, le Cerf du père David
2. 說文解字
3. 段玉裁
4. 仁獸
5. 瑞獸
6. 麒麟在此
7. 孔子家語
8. 麟經 ou 麟史
9. 麟 趾
10. 麟吐玉書
11. 麒麟送子
12. 太始 tài shĭ -96 ~ -93
13. 麟趾金
14. 麒麟閣
15. 未央宮