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L'amour en Chine : Interview de Dorian Malovic, auteur de "China Love"

© Chine Informations, Le 01/06/2016 07:38, modifié le 04/05/2020 14:11

(miniature) L'amour en Chine : Interview de Dorian Malovic, auteur de "China Love" L'amour en Chine : Interview de Dorian Malovic, auteur de "China Love"

« Chine Informations » a interviewé par Dorian Malovic, auteur du livre « China Love : comment s'aiment les Chinois ». Nous vous faisons ici la transcription de nos échanges riches et passionnants.

Bonjour Dorian Malovic, merci d'accepter de répondre aux questions de « Chine Informations » !
Vous avez écrit un livre qui s'appelle « China Love : comment s'aiment les Chinois. » Avant de comprendre de quoi il est question, pouvez-vous expliquer à nos lecteurs votre lien avec la Chine ?

Mes liens avec la Chine remontent au milieu des années quatre-vingt lorsque je suis parti m'installer à Hong Kong comme correspondant pour plusieurs médias européens et canadiens. À cette époque-là, après la période Mao, c'était vraiment le début de l'ouverture de la Chine et c'est là où j'ai pu commencer à me rendre un peu partout en Chine. Aujourd'hui je suis chef du service Asie au quotidien « La Croix » et je m'occupe de la Chine depuis maintenant 30 ans ; j'ai eu la chance d'avoir pu être le témoin sur le terrain de l'évolution absolument extraordinaire du pays.

Ces années d'expérience m'ont permis d'appréhender ce que j'essaie de comprendre depuis des années, le cœur de la société chinoise. Il faut du temps et de la patience pour nouer des relations et en particulier pour comprendre les relations entre les gens.

J'aime les Chinois. C'est la nature humaine des Chinois qui me séduit, le rapport qu'on peut avoir avec eux une fois qu'on abat les barrières, qu'on change nos schémas mentaux, qu'on ne juge pas et qu'on n'est pas là pour être prétentieux et arrogant. Personnellement, je me pose toujours la question avant de dire quoi que ce soit, lorsque je suis témoin de quelque chose ou lorsque j'écoute des témoignages : « pourquoi cela se passe comme ça ? » Il y a toujours une explication et des raisons historiques, politiques, sociétales et il faut les écouter.

Qu'est-ce qui vous a décidé d'écrire sur l'amour en Chine ? Et quand cette aventure a-t-elle débuté ?

Ce livre c'est dix ans de travail sur le sujet des relations entre les hommes et les femmes, les relations sentimentales, les relations amoureuses et comment ça fonctionne. J'ai travaillé dix ans sur le sujet mais sans mes trente ans d'expérience de société chinoise dans les provinces, à la campagne je n'aurais pas pu écrire ce livre.

Le mariage est le cœur de la société, c'est-à-dire que la stabilité c'est le couple, la famille, le couple. C'est la Chine de l'intérieur que j'ai essayé de comprendre et voulu partager au lecteur.

Si les lecteurs français connaissent de la Chine le système communisme, les grandes usines, les exportations de produits manufacturés, les délocalisations ou le chômage à cause de la Chine, en revanche, sur la société chinoise, il y a très peu de livres accessibles au grand public et personne ne sait vraiment comment ça fonctionne. De plus, je pense qu'il y a une curiosité naturelle sur le sujet universel qu'est l'amour et les gens se demandent comment ça fonctionne en Chine, comment s'aiment les Chinois.

Ma formation d'anthropologue m'a poussé à me poser des questions sur les relations entre les êtres car ce qui est important dans une société finalement, ce sont les relations humaines. En Chine, les gens n'ont pas les mêmes codes, les mêmes échanges, les mêmes touchés que chez nous ; chacun a sa façon de s'aimer et j'ai eu envie de mener mon enquête pour savoir si l'amour existe en Chine, l'amour au sens où on l'entend en Occident avec la passion et les relations.

On peut remarquer qu'en dépit de l'apparence ultramoderne des grandes villes chinoises, il y a encore une pression familiale très forte concernant le mariage. Il y a aussi une révolution sexuelle en marche pas très bornée, un peu anarchique. Mais toutes ces choses évidemment changent et fondamentalement, j'ai voulu aller au cœur du fonctionnement de cette société ; et c'est seulement après toutes ces années d'enquête que je commence à saisir des choses que je n'avais pas comprises avant.

Auprès de qui avez-vous recueilli vos témoignages ?

J'ai beaucoup d'amis qui ont servi d'intermédiaire, qui m'ont fait confiance et qui m'ont présenté des gens.

La plupart de mes témoins, à 90 %, sont des femmes, de toutes les villes et de toutes les provinces, d'un peu partout. Les femmes ne m'ont jamais refusé le moindre entretien parce qu'elles avaient énormément de choses à me raconter.

Les 10 % restant sont quelques hommes qui ont ouvert leur cœur mais c'est un peu plus compliqué ; je crois qu'ils sont beaucoup plus réservés, plus timorés que les femmes.

« China Love » apporte-t-il un regard personnel ou est-ce un sujet que vous abordez de façon strictement objective ?

Je ne revendique pas l'objectivité puisque je suis un être humain et j'ai une approche sensible et humaine.

Ce que je ne voulais pas, c'est faire une enquête à charge mais je voulais faire témoigner et raconter des histoires de vie des Chinois, avec une structure simple sans en ajouter. Le livre est d'ailleurs écrit à la première personne.

La première chose qui saute aux yeux lorsqu'on voit la couverture de ce livre, c'est le billet de 100 yuans, au centre du cœur, comme pour symboliser que l'union dans le mariage est fondée sur l'argent. Est-ce là ce que vous avez voulu faire comprendre ?

Cette couverture est un peu satirique. Ce clin d'œil du billet, ce n'est pas de dire que le mariage est simplement basé sur l'argent mais que derrière celui-ci, il y a une structure, une cohérence. Un mariage, c'est une alliance de deux familles et il y a une quête de sécurité en Chine ; les critères de choix se font beaucoup sur le matériel, sur le garçon qui doit avoir un appartement, une voiture, un bon travail. Les rapports sont d'abord concrets avant d'être sentimentaux.

Mais c'est un petit peu l'approche que je donne en tendance « lourde ». Il n'y a pas que ça, il y a des exemples dans mon livre où des jeunes se sont mariés par affinités culturelles ; là on est dans une catégorie où ce sont souvent des jeunes un peu plus éclairés, qui ont fait des études supérieures, qui sont allés à l'étranger, qui ont été « frottés » à la littérature romantique.

Voilà, c'est un peu l'explication de la couverture, mais, loin de moi de porter le moindre jugement avec ce billet sur quoi que ce soit. J'explique simplement pourquoi cette question d'argent et le but du livre c'est aussi de faire en sorte que le lecteur ne juge pas au premier coup d'œil.

On observe en Chine une croissance importante presque tragique du nombre de divorces ces dernières années. Comment expliquez-vous cela ?

En lisant le livre et les témoignages on comprendra très vite. La pression familiale étant insistante et forte, on trouve un mari ou une femme très jeune sans se poser la question des sentiments ni se connaitre très bien. Les choses s'enveniment très vite avec les pressions des familles ; le mari va gambader à gauche, à droite et voir les prostituées avec sa situation financière qui s'améliore et finalement, cela mène au divorce. Et ça n'a jamais été très compliqué en Chine de divorcer.

Comment les nouveaux célibataires, qui se retrouvent parfois avec un enfant à charge, vivent-ils leur vie amoureuse ?

Alors effectivement, on se trouve avec des femmes célibataires assez âgées, qui ont des enfants à charge et qui ont du mal à se remarier parce que les hommes vont chercher des femmes très jeunes. Et c'est vrai, c'est un véritable phénomène de société.

La communauté homosexuelle en Chine est plutôt discrète. Savez-vous comment les gays vivent leurs histoires d'amour dans le pays ?

La communauté gay en Chine est assez énorme, elle est massive. On a des évaluations qui vont quand même jusqu'à 8 % de la population adulte mâle.

Et elle est visible, il faut ouvrir un peu les yeux ; vous avez des bars où se retrouvent gays et on croise des couples gays dans les rues.

Il n'y a pas vraiment d'homophobie en Chine comme on peut en voir en Occident mais le problème des gays, c'est qu'ils ne peuvent pas se marier entre eux.

Le mariage pour tous est-il envisageable et envisagé en Chine ?

C'est un sujet actuellement en discussion dans le pays vu le décalage entre les garçons et les filles : on est à 116 garçons pour 100 filles.

Il y a déjà des associations qui s'occupent des gays et des universitaires, des conseillers conjugaux, des psychanalystes qui en parlent. Il y a même des discussions sur le sujet dans les journaux. Donc la réalité est là et elle s'impose. Je serai donc plutôt optimiste non pas concernant un mariage pour tous mais une formule de PACS ou d'alliance. Cependant, c'est impossible à prédire.

Votre livre aborde également la prostitution. Est-ce un phénomène marginal ou répandu ?

La prostitution en Chine, elle est revenue après les années Mao et elle est massive. On a beau avoir des campagnes lancées par le gouvernement, la prostitution dans les hôtels, les salons de massage, les karaokés, les boites de nuit et autres endroits bien spécialisés, est une réalité.

C'est une prostitution économique qui se développe en masse près des côtes, où le développement est important comme à Canton ou Shenzhen.

Alors aux yeux de la population c'est bien évidemment socialement tabou et pas accepté. Maintenant il y a un pragmatisme économique qui fait que quand vous avez de jeunes femmes qui sont jolies, qui n'ont pas fait d'études et qui se demandent comment gagner de l'argent plutôt que d'être serveuse dans un restaurant à gagner trois fois rien, alors elles rejoignent des réseaux.

Il y a aussi ces concubines qui sont entretenues par de riches hommes d'affaires chinois dont je parle dans mon livre. Ces femmes ont une approche très mercantile ; elles font un plan de carrière sur quatre ou cinq ans jusqu'à ce qu'elles atteignent 25 ou 26 ans. Les hommes d'affaires finissent par se débarrasser d'elles pour une fille de 20 ans, mais vont quand même leur offrir une petite boutique, un magasin pour qu'elles s'en sortent. C'est une réalité dont la société est consciente même si ce n'est pas moralement acceptable.

Avec cette longue expérience dans le pays, avez-vous écrit d'autres livres ?

En effet, « China Love » est finalement l'achèvement d'une sorte de triptyque commencé il y a déjà plus d'une dizaine d'années. Celui-ci avait commencé à scruter le spirituel des Chinois au travers d'une biographie de l'ancien évêque de Shanghai, Mgr Jin Luxiane, publié en 2006 sous le titre « le Pape Jaune. » J'ai ensuite publié en 2008 un autre livre, « La Chine sur le divan », avec le grand psychanalyste chinois Huo Datong.

Après le spirituel et l'inconscient, j'ai voulu aller dans le cœur, dans le sentimental des humains.

Pour conclure, selon vous, pourquoi nos lecteurs aimeront lire « China Love » ?

Le sujet de l'amour est un sujet universel qui passionne. Ce sujet-là, sur la société chinoise n'a pas été traité de cette façon dans sa globalité comme je l'ai traité pendant dix ans de travail et d'enquêtes en Chine. C'est quelque chose que j'ai voulu assez complet et de très vivant. Je pense que pour les lecteurs de « Chine Informations », ça va être une découverte d'une société chinoise, d'un fonctionnement fondamental qui est au cœur de la vie et dont ils ne soupçonnent pas forcément la réalité. Je pense qu'à la lecture de ce livre, les Français ne regarderont plus les Chinois de la même façon ; ils y verront quelque chose de plus sensible que ce qu'ils peuvent lire en économie, en politique et en droits de l'homme entre autres choses.

Merci à vous Dorian Malovic.

« China Love : Comment s'aiment les Chinois » 
ISBN : 9791021018037
Éditeur : Tallandier (2016)

David Houstin pour
La Rédaction

La Chine 中国 (Zhongguó), pays de l'Asie orientale, est le sujet principal abordé sur CHINE INFORMATIONS (autrement appelé "CHINE INFOS") ; ce guide en ligne est mis à jour pour et par des passionnés depuis 2001. Cependant, les autres pays d'Asie du sud-est ne sont pas oubliés avec en outre le Japon, la Corée, l'Inde, le Vietnam, la Mongolie, la Malaisie, ou la Thailande.