Shanghai sous la loi du Parrain
Derrière le glamour du Shanghai des années trente, se cache en fait une ville minée par les crimes et la contrebande,orchestrés par la « Bande verte », la plus grande mafia locale de l'époque.
Du Yuesheng (1881-1951), le parrain de Shanghai |
Attablé à un bar du Peace Hotel, Du Yuesheng se fait remarquer. Ce n'est pas tant à cause de sa belle robe en soie, des filles à ses bras ou de ses grands gestes. Plutôt à cause de son visage qu'on dit ressembler à un sphinx. Dans un climat d'ambigüités politiques et de capitalisme sauvage, Shanghai est devenue la capitale du vice. C'est la ville refuge pour quiconque a quelque chose à cacher. Un paradis pour le monde souterrain des mafias, très codifié : serments par le sang, codes secrets et stricte hiérarchie.
La concession française, repaire des gangsters
Du Yuesheng est le roi de cet « empire du crime qui dépasse même celui d'Al-Capone à Chicago, en termes de Mal », selon Ralph Shaw, un journaliste anglais de l'époque de Shanghai. Du est le parrain de « la Bande verte », le plus puissant gang de Shanghai. Jamais sans ses gardes du corps, Du a vingt mille hommes à ses ordres, et répète à plaisir : « Tu as ma parole. ». En échange de taxes sur les trafics, l'administration française laisse le contrôle de la Concession aux mafieux. Huang Jinrong,chef de la police de la Concession française -et simultanément un des gangsters les plus influents de la Bande verte-, règne en maître du quartier auprès de Du Yuesheng. Ainsi, selon les archives de la police française, Du a la main mise sur la moitié des fumeries d'opium du quartier. Casinos, bordels, syndicats, meurtres sur commande, trafic d'armes et d'or : il a le monopole du crime.
Un tournant politique
Huang Jinrong, surnommé le « visage marqué par la variole » |
« dans les années 70, se sont développés les crimes en col blanc et l'investissement des mafias dans des entreprises à façade parfaitement légale »
Mais le vent de l'Histoire tourne en la faveur des communistes. En 1949, quand Mao prend le pouvoir, Du part finir sa vie à Hong Kong, laissant sa villa derrière lui - aujourd'hui le Donghu hotel-. Pendant trente ans, Taiwan, Hong Kong, et Macao deviennent les repères des sociétés secrètes pourchassées en Chine populaire.
De Shanghai à la France
Aujourd'hui, les triades évoluent également à l'étranger, souvent dans des communautés chinoises comme celle de San Francisco. Descendant de la Bande verte, « la société 14K » a ainsi été pendant longtemps après leur exil de Chine, la plus grande fournisseuse d'héroïne en France. Dès les années 70, le gouvernement chinois a vite compris l'intérêt qu'il pouvait tirer de ces groupes très riches, et a fait part d'une relative mansuétude envers les triades jusqu'en 2001, date de l'entrée de la Chine dans l'OMC. Pour Roger Faligot, auteur d'un livre sur le sujet, « dans les années 70, se sont développés les crimes en col blanc et l'investissement des mafias dans des entreprises à façade parfaitement légale » en Chine continentale. Production cinéma ou encore KTV recyclaient l'argent sale. Les triades chinoises actuelles en ce sens, inhérentes au système social, doivent donc beaucoup pour leur forme à leurs ancêtres shanghaiens. Xiexie
Parrain.
Cindy HUBERT,
Article tiré du magazine "Comme à la maison" n°4,
Reproduction avec l'aimable autorisation des éditions
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