Après le coup d'éclat de Tchang contre les communistes, Staline ordonna au PCC de former sa propre armée pour conquérir la Chine. Mao se plia à sa volonté ; le 7 août 1927, il prononçait le fameux :
« Le pouvoir est au bout du fusil ». Les ordres de Moscou étaient de détourner une partie des armées nationalistes, travaillées, de l'intérieur, par des agents du PCC. De fait, 20 000 soldats, stationnés à Nanchang, dans le Jiangxi, se mutinèrent le 1° août 1927 à l'instigation de Zhōu Ēnlái, sur ordre de Koumanine. Evidemment, ce
« soulèvement de Nanchang » fut mis au compte du seul PCC par l'histoire officielle. Les mutins se rendirent ensuite à Shantou où Mikoyan devait leur livrer armes et munitions.
Mais Mao voulait
« son » armée. Prétendant vouloir créer une
« base rouge » sur
« cinq comtés », il réclama qu'on lui envoie une partie de ces hommes. Après avoir renoncé au plan ambitieux qu'il avait lui-même proposé, il réussit à convaincre les Russes de limiter le soulèvement à la ville de Changsha et à obtenir la responsabilité de l'opération comme
« chef du comité du front ». Mais loin de jeter les troupes qu'on lui avait allouées sur la ville, Mao leur ordonna de le rejoindre à Wenjiashi, à 100 km de là ! Les Russes, qui ne comprenaient pas qu'ils avaient été joués, parlèrent de
« traîtrise et de couardise tout à fait méprisables » et de
« parodie de soulèvement » mais Mao n'en avait cure, il avait fait main basse sur 1500 hommes. Cet épisode figure dans les manuels d'histoire sous le nom d'
« Insurrection de la Moisson d'automne » dont Mao aurait été le leader alors qu'il en fut le... saboteur !
Mao avait décidé de faire sa base du
« pays des bandits » dans les montagnes du Jǐnggāng, au sud de Wenjiashi. Il eut bien du mal à convaincre les officiers, qui voulaient attaquer Changsha, selon le plan initial, de le suivre pour son repaire mais il était le seul représentant du Parti sur place et ils durent se soumettre. Cependant, quand Mao leur apprit qu'ils allaient de venir des
« seigneurs de la montagne », nombreux choisirent la désertion ; beaucoup d'autres moururent de la malaria ou de dysenterie ; lorsque les
« seigneurs de la montagne » arrivèrent dans leur repaire, 15 jours plus tard, au début du mois d'octobre, ils n'étaient plus que 600 ! Mao conclut un marché avec Yuan Wen-cai, le chef des hors-la-loi : ses hommes pourraient séjourner provisoirement sur son territoire à condition d'assurer leur propre subsistance par le pillage.
Dès qu'il fut sur place, Mao reprit contact avec les communistes des Changsha mais, jugeant son insubordination intolérable, Shanghai le démit de ses fonctions le 14 novembre 1927. Le 31 décembre, il condamnait ses
« erreurs politiques d'une extrême gravité » et recommandait aux communistes du Hunan de le remplacer
« par un camarade ouvrier courageux et intelligent ». C'était sans compter avec la chance - à moins que ce ne soit le machiavélisme-, de Mao.... Le comité du Hunan fut opportunément arrêté par les nationalistes avant que les ordres de Shanghai ne lui parviennent ! Et quand un autre émissaire parvint à la base, le 28 mars, Mao se contenta de changer de casquette pour contrôler
« son » armée comme
« commandant de division ».
Entre temps, Mao et ses hommes avaient vécu de pillages déguisés en opérations révolutionnaires sous le nom de
« da tu-huo » : « écrasons les tyrans possesseurs de terres ». Mais la presse continuait à voir en lui un chef de bandits et la population n'était pas disposée à lui prêter main forte :
un soldat de Mao a écrit :dès que nous nous sommes introduits dans la place, des gongs se sont mis à résonner [...] et plusieurs centaines [de villageois] [...] se sont emparés de plus de 40 de nos hommes et les ont enfermés dans le temple familial [...] ils les ont battus et ligotés, les femmes les ont piétinés avec violence. Puis on a mis sur eux des tonneaux à grain, sur lesquels étaient posées de grosses pierres. Ils ont été affreusement torturés [...].
Quant à l'état major, il était de plus en plus indocile : en décembre 1927, Chen Hao, commandant en chef, fut exécuté pour l'exemple devant ses hommes. Pour se concilier ses troupes, Mao institua des
comités de soldats ayant droit de regard sur la répartition du butin, mais il mit surtout sur pied des cellules secrètes du Parti surveillant tous les autres pour son compte. Pendant ce temps, Mao fit main basse au cours de ses pillages sur de magnifiques résidences : en campagne, le Pavillon octogonal, comme dans la grande ville de Longshi. Il réquisitionna les bâtiments de la meilleure école de la région comme quartier général. Il avait à son service toute une escouade de domestiques et prit une troisième épouse, Gui-yuan, une jeune fille de bonne famille qui avait adhéré au Pari en 1926 et qui servait d'interprète à Yuan, le chef des bandits. En fait, celle-ci était amoureuse de Mao Ze-tan, le plus jeune des frères de Mao, mais Ze-tan était déjà marié et Mao convainquit la jeune femme de l'épouser. Elle regretta amèrement mais Mao l'emmena de force lorsqu'il quitta le pays.
Mao gagna ses galons militaires en enlevant le chef-lieu du comté de Ninggang aux troupes gouvernementales le 18 février 1928. Le 21, le chef du comté était exécuté à coups de
suo-biao. . Les exécutions publiques devinrent alors la norme. Mao composa même, à l'occasion du nouvel an de 1928 de terrifiantes sentences parallèles :
« Regardez-nous tuer les mauvais propriétaires aujourd'hui. N'avez-vous pas peur ? Les couteaux tranchent, l'un après l'autre. »
En avril 1928, les survivants de la mutinerie de Nanchang, sous la direction de Zhu De, se réfugièrent à la base de Mao. Membre loyal du Parti, Zhu avait, conformément aux ordres, organisé les soulèvements populaires mais les consignes dictées par Moscou étaient d'une violence extrême :
« Brûlons ! Brûlons ! Tuons ! Tuons ! » Tout récalcitrant, considéré comme un
« chien courant de la petite noblesse », encourait la peine de mort ! A Hailufeng, le carnage fit plus de 10 000 morts. A Chenzhou et à Leiyang, sous les ordres de Zhu,
« tout a été livré au fer et au feu, on a tiré les habitants comme des lapins ». On comprend que les victimes se soient massivement tournées vers les nationalistes ! Une soeur adoptive de Mao, Chrysanthème, et son mari, qui habitaient Leiyang, firent les frais de leur ressentiment : ils furent tous les deux exécutés et la jeune femme fut horriblement torturée. Les communistes et ceux qui leur avaient prêté main forte durent fuir devant les troupes de Tchang. C'était la stratégie de Moscou : pousser les sympathisants des rouges vers un point de non-retour pour les enrôler définitivement au service de la révolution :
« J'avais supprimé des contre-révolutionnaires, dira l'un deux. [...]
Je devais aller jusqu'au bout. [...] Alors j'ai brûlé ma maison de mes propres mains [...] et je suis parti [avec Zhu] ».
Lorsque Zhu arriva auprès de Mao, celui-ci pouvait apparaître comme celui qui avait sauvé le plus important détachement de communistes mais aussi comme un modéré, car il préférait récupérer églises et belles demeures plutôt que de les détruire. Or Moscou venait de décider que les
« pogromes », les
« actes d'aveuglisme » ou
« l'incendisme-et-tuerisme » (cf. la novlangue) avaient fait leur temps. Dès le 2 mai, il écrivit à Shanghai pour demander de présider aux destinées de ce qui allait devenir
« l'Armée rouge de Zuo-Mao » ; il récupérerait ainsi les 4000 hommes de Zhu (lui n'en avait que 1000) ; pour renforcer son image, il commença à procéder à la redistribution des terres (formalité qu'il avait jusqu'alors négligée). Son cas fut examiné le 26 juin 1928 au VI° Congrès du PCC qui se tint près de Moscou. Zhōu Ēnlái trouvant que ses soldats avaient
« en partie une nature de bandits », émit des réserves mais Staline voulait la création de l'Armée rouge et Mao en avait jeté les bases. Dès novembre, Mao se vit confirmer dans ses fonctions militaires à la tête de l'armée Zhu-Mao et de son territoire au pays des bandits....