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Mutinerie des sans-papiers chinois

© Chine Informations - La Rédaction
   

D'après le livre "Les Chinois de France" (1999-2003) du Dr Pierre Picquart.

Quand le mouvement des sans-papiers a commencé à prendre forme en France, l'entrée de la communauté chinoise dans l'action en a étonné plus d'un. En effet, la majorité des responsables politiques et des diverses associations étaient sûrs que les Chinois n'allaient pas intégrer le mouvement. Ainsi, à la date du 30 Octobre 1996, 450 Chinois, accompagnés de leurs enfants, sont sortis de la clandestinité pour occuper un centre de rétention des étrangers, sis au 3ème arrondissement de Paris.

Ces faits en ont étonné plus d'un et cela représentait même une « révolution culturelle » pour l'ensemble des associations  d'aide aux immigrés.  Des dizaines de familles chinoises en situation irrégulière avaient organisé fréquemment des manifestations. Elles brandissaient des banderoles où étaient écrits des idéogrammes. Leur action avait pour objectif de régulariser leurs situations. De même que le mouvement initié par les sans-papiers africains au sein de l'église Saint-Bernard, l'action menée par les sans-papiers Chinois avait juste besoin d'un élément déclencheur. Tout a commencé suite à la diffusion d'un communiqué émanant du Ministère de l'intérieur,  le 26 Juin 1996. Cette annonce concernait la régularisation de la situation de 48 sans-papiers d'origine africaine. Le lendemain de sa diffusion, l'information fut diffusée par le journal chinois « Nouvelles d'Europe », mais elle avait été mal interprétée. Le quotidien en question a ensuite dû faire un démenti une semaine plus tard. Toutefois, l'information initiale, qui était erronée, s'était déjà propagée au sein de la communauté chinoise. Des exemplaires avaient même été placardés sur les vitrines des magasins de la Chinatown de Paris, au XIIIème arrondissement. Ce fut l'élément qui est à l'origine du mouvement des sans-papiers chinois.

Ils profitèrent aussi de l'occasion pour dénoncer leurs conditions de travail au sein des ateliers clandestins, dont le rythme de travail qui leur est imposé est inhumain. Ils y étaient traités presque comme des esclaves. S'ils étaient à la merci des passeurs, ils subissaient aussi des pressions et des exploitations diverses au sein de la communauté chinoise même. Vu leur situation clandestine, ils n'avaient pas la possibilité de demander de l'aide aux autorités. Ces Chinois vivant dans la clandestinité étaient pris entre le marteau et l'enclume. D'un côté, ils étaient en situation irrégulière par rapport à la France, et de l'autre côté, par leurs dettes, ils étaient dépendants de leurs communautés. Ils étaient alors à la merci de deux systèmes et deux logiques qui étaient en pleine contradiction, mais dont ils ne pouvaient se libérer. Par leur mutinerie, ces Chinois vont faire découvrir au monde les conditions dans lesquelles ils vivaient. Ils espèrent alors que leur situation sera régularisée, et ainsi, ils pourront intégrer sans problème la société française. Mais pour y parvenir, ils ont dû rompre la règle de la tradition qui est en vigueur au sein de la communauté chinoise, ainsi que le silence qui caractérise les Chinois.  

Des files d'attente se sont formées devant le Consulat chinois d'Issy-les-Moulineaux, bien avant la promulgation officielle de la circulaire de Jean Pierre Chevènement. Celle-ci, sortie le 26 juin 1997, donnait en détail les critères pour pouvoir bénéficier d'une régularisation. Les candidats à cette régularisation devaient préparer des papiers à fournir aux préfectures. De nombreux Chinois en situation irrégulière sont alors venus de tous les coins de la France, de Paris, de Belgique, et de toute l'Europe. Tous espéraient bénéficier d'une régularisation rapide de leur situation.

Les Chinois en situation irrégulière ne désiraient plus revenir à la clandestinité. Ils avaient fondé « le troisième collectif », qui avait demandé à ce que soient entamées les négociations pouvant donner lieu à la régularisation. Certains avaient trouvé refuge au sein de l'église Saint-Hippolyte du XIIIème arrondissement de Paris. Beaucoup d'entre eux avaient vécu en France depuis de nombreuses années. Ils voulaient se libérer de l'emprise qu'avaient sur eux les organisations claniques qui étaient établies dans le quartier de Chinatown du XIIIème ainsi qu'à Belleville. Ils étaient sans doute las de subir les frais de rackets, les menaces de dénonciation ainsi que les pressions de la part de leurs employeurs. Malgré la menace d'expulsion qui pesait sur leurs têtes, ils décidèrent de sortir au grand jour pour réclamer leur régularisation.

La mutinerie des sans-papiers chinois était bien organisée. Dès le commencement des manifestations des sans-papiers chinois, les délégués décidaient ensemble des stratégies et des actions à mener lors de réunions hebdomadaires. Ils étaient chargés de définir les prochains rendez-vous, ainsi que les manifestations publiques à mener. Ils avaient par exemple organisé des manifestations à Paris. La première s'est déroulée devant le Sénat. La seconde s'est tenue le 31  janvier 1998 sur la place de la République. Durant la manifestation, un double cordon de CRS était chargé de bloquer la rue. La manifestation a réuni environ 400 manifestants, qui étaient à majorité des Chinois. Dans leurs slogans, ils réclamaient des papiers pour chacun d'entre eux. Pour animer leur action, les manifestants avaient utilisés des sifflets, des tambours. Ils brandissaient des banderoles où étaient inscrits des idéogrammes. Malgré toute cette animation, l'ambiance était très différente de celle qui régnait dans les défilés organisés lors des fêtes chinoises. Le ton utilisé était sérieux et revendicatif, afin de montrer leur implication dans leurs doléances. Le rendez-vous était donné pour le lendemain sur la place de la République, pour la manifestation nationale. Le défilé devait ensuite rejoindre le Palais Royal. Les manifestants étaient surtout composés de sans-papiers qui venaient de tous les horizons, et aux origines différentes. Il y a avait aussi divers collectifs qui regroupaient les sans-papiers africains, mais aussi les principaux instigateurs, les sans-papiers chinois. Certains étaient venus avec leurs familles ou leurs enfants, qui étaient dans des poussettes. Le défilé entre la place de la République et le Palais Royal a duré plus de deux heures. Les différents collectifs s'étaient alors convenus qu'il était temps de se séparer, afin de mieux préparer d'autres actions en vue de demander la régularisation de la situation de tous les sans-papiers.

La majorité des sans-papiers chinois avaient obtenu gain de cause, car la plupart avaient présenté des dossiers complets, contenant une adresse de domiciliation, leur travail, ainsi que leur insertion. Le point positif venait aussi du fait que la communauté chinoise bénéficiait d'une image positive. En tout, il y avait environ 9.000 demandes de régularisation et près de 7 500 sans-papiers chinois ont vu leur requête accordée. Cela représente 83% des demandeurs, et si on regarde par groupe de nationalité, ce sont les Chinois qui avaient obtenu le plus fort taux de régularisation. Actuellement, cette communauté est considérée comme le premier groupe demandeur d'asile présent à Paris.

Les sans-papiers du « troisième collectif » n'avaient pas oublié leurs compatriotes qui étaient venus en France au début du XXème siècle. Le 14 juillet 2000, pour montrer leur reconnaissance, ils sont allés dans la Somme, plus précisément au cimetière de Noyelles-sur-Mer. C'est en effet dans cet endroit que reposent 837 travailleurs chinois de la Grande Guerre. Cette action avait pour but d'honorer les 2.000 Chinois qui sont morts suite à leur participation à l'effort de guerre allié.

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Dr Pierre Picquart

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