21/06/2010 à 21:19 - Un petit exercice linguistique
Ce que vous dites, Tong.Z, est très intéressant.
Cela confirme, je crois, l'interprétation que j'ai donnée récemmentd' Epouses et concubines mais aussi le sentiment que j'ai en regardant, depuis des mois maintenant, des feuilletons chinois.
L'avant-dernier, consacré à Zhang Boling, fondateur de l'université de Nankai, regorge de ce genre d'allusions à l'histoire récente et brave les interdits en alliant subtilement évocation historique et patriotisme. On y voit ainsi le grand pédagogue avancer seul face à une automitrailleuse japonaise, tel ce jeune Chinois anonyme avançant avec ses deux sacs en plastique à la main, et faisant arrêter, seul, une colonne de chars en juin 89. Tout y est, y compris la déviation de la trajectoire du véhicule. Derrière Zhang Boling, héros de la résistance contre le Japon, ce sont ensuite tous les professeurs et tous les étudiants qui apparaissent soudés contre la répression. Comprenne qui pourra !...
Mais je crois que les censeurs et les autorités ne sont pas tout à fait dupes de ces stratégies qui ne datent pas d'hier. La Révolution culturelle chinoise commença en effet, pour ainsi dire, par un coup de théâtre empruntant précisément un répertoire ancien pour critiquer le présent : un genre traditionnel, celui des "tragédies du mandarin Ming", avait refait surface dans l'actualité théâtrale au début des années 60. Or le Mandarin Ming, qui sermonnait l'Empereur au nom des malheureux au risque de sa vie, était la personnification du courage et de la justice. C'est pourquoi Mao prit ombrage de la reprise de ces "tragédies du mandarin Ming" dans lesquelles il voyait une allusion au ministre de la défense, Peng Dehuai qui, en 1959, s'était élevé publiquement contre lui et l'avait rendu responsable de la famine consécutive au Grand Bond en avant (entre 13 et 30 millions de morts). Pour conjurer le danger, Mao dressa d'emblée une liste de 39 écrivains et intellectuels qu'il qualifia d'"autorités bourgeoises réactionnaires", et les fonctionnaires du parti reçurent l'ordre de débusquer les suspects parmi les enseignants les plus éminents. La plupart des fonctionnaires chargés de cette triste besogne ayant fait la sourde oreille, "le grand Timonier" décida de jouer le peuple contre les cadres du parti, coupables de résistance passive, et lança la "révolution culturelle".
Que les censeurs d'aujourd'hui laissent désormais passer ces allusions transparentes sans activer massivement la force de frappe de l'Etat me semble un signe encourageant de libéralisation du régime. Le jeu est sans doute très subtil entre la volonté des uns de ménager une soupape de sécurité à la contestation et l'audace des autres.