Les Chinois et la lecture aujourd'hui (2)
Beijing, Dans ce quartier, la vente de livres est non seulement synonyme de profit, mais représente également une science et un patrimoine. Sun Dianqi, à l'esprit travailleur hors pair et à la curiosité insatiable, maîtrisait parfaitement tous les aspects du métier.
D'une part, il savait accueillir les clients en leur servant du thé; d'autre part, il emmagasina tout au long de sa vie une connaissance impressionnante sur les livres anciens en vente dans sa boutique : différences et similitudes entre les versions officielles et les éditions privées, dates de publication, qualité du papier et de l'encre utilisés, contenus, biographie des auteurs, ainsi que valeur, prix et popularité des livres... Il retenait tout par coeur ! C'est ainsi qu'il devint l'employé le mieux rémunéré de tout Liulichang.
En 1919, Sun Dianqi et le collectionneur de livres Lun Ming (1875-1944) mirent leurs économies en commun pour créer leur propre librairie à Liulichang. à partir de cet instant, Sun Dianqi se plongea véritablement dans les livres anciens, passant maître dans la discipline de la bibliographie et expert dans l'identification des différentes versions. Par ailleurs, il recueillait souvent des oeuvres à la demande de grands savants, tels que l'écrivain Zheng Zhenduo (1898-1958) et l'historien Chen Yuan (1880-1971).
Tout au long de sa carrière de libraire, qui s'est étalée sur plusieurs décennies, Sun Dianqi conserva son attitude sérieuse et réfléchie. Il bavardait peu avec ses clients en général, se contentant de leur fournir des informations et des recommandations sur les livres. Puis, dès qu'il concluait une vente, il notait minutieusement chaque fois le titre du livre, le nombre de volumes, le nom de l'auteur et son lieu de naissance, ainsi que la date et l'usine d'impression.
Sun Dianqi compila plusieurs oeuvres, notamment Compléments du catalogue des livres (en 12 volumes) en 1934 et Notes sur la vente de livres en 1936. Ceux-ci font référence à plus de 17 000 livres précieux, y compris des ouvrages datant des dynasties des Qing, des Song (960-1279), des Yuan (1271-1368) et des Ming (1368-1644), et s'inscrivent dans la suite du célèbre Catalogue annoté de la bibliothèque impériale intégrale (Siku Zongmu). Plus qu'un homme d'affaires, Sun Dianqi était avant tout un érudit !
Grace aux compétences de personnes comme Sun Dianqi, dans les années 1950, Liulichang concentrait plus d'une cinquantaine de librairies spécialisées dans les livres anciens sur la centaine qui existait en Chine. Cet endroit était alors une "caverne d'Alibaba" sur le plan culturel. A présent, Liulichang est encore orienté vers le travail de restauration des livres anciens. Un service spécifiquement dédié à cette tache a été créé au sein de la Librairie de Chine à Liulichang. Les employés dans ce service recourent à des techniques et machines d'antan, toujours aussi efficaces, pour redonner une nouvelle vie aux livres anciens endommagés. Là, au milieu des amas de papiers, Du Guoli repère, de son oeil expert, des ouvrages de grande valeur. Nous comprenons alors que sous l'apparat du commerçant se cache un véritable passionné.
La librairie Xinhua : témoin d'une soif de lecture
Située sur l'avenue Wangfujing, la librairie Xinhua a été témoin de la soif de lecture des Chinois après la Révolution culturelle (1966-1976) et a permis de l'étancher.
A cette époque, il n'était pas rare que des habitants débarquant d'autres provinces, à peine sortis de la gare de Beijing, se dirigent tout droit vers la librairie Xinhua pour "s'arracher" des livres. Parfois, la clientèle faisait la queue sur près de 500 m dehors, jusqu'à l'avenue perpendiculaire Chang'an. Les employés de la librairie travaillaient de 8 h à 19 h, sans interruption pour la pause-déjeuner. à l'heure actuelle, un tel engouement est difficile à imaginer.
Au cours de cette décennie assez particulière, l'envie et le goût de lire des Chinois ne se sont pas affaiblis. Liu Suli, fondateur de la librairie All Sages Bookstore, se rappelle qu'au cours de ses quatre années d'études universitaires, il économisait sur la nourriture pour pouvoir s'acheter des livres, une centaine par an. Un classique étranger, dont il ne connaissait alors ni le titre et ni le nom de l'auteur, l'avait particulièrement transporté. Ce n'est que des années plus tard qu'il a appris qu'il s'agissait de l'épopée allemande La Chanson des Nibelungen. Aujourd'hui, il détient dans sa bibliothèque personnelle plusieurs versions de ce chef-d'oeuvre. Il collectionne des dizaines d'autres livres encore, qu'il avait achetés à l'époque, comme La Divine Comédie et Les Confessions, conservés au deuxième étage de son appartement et rarement dévoilés aux visiteurs.
En ces temps-là, un phénomène culturel particulier s'observait dans la société : le succès des livres manuscrits. En 1967, Zhang Baorui, ancien rédacteur en chef au bureau de Beijing de l'agence Xinhua, entama la rédaction d'un roman à suspense intitulé Une chaussure brodée, qui ne comptait que quelques pages au début. Convaincu que son ouvrage pourrait remporter un franc succès, il recopia plusieurs fois son roman à la main, de façon à répandre son histoire. Ces manuscrits furent distribués notamment dans les steppes de Mongolie intérieure par son frère, aux troupes stationnées dans le Nord-Ouest du pays par son cousin et dans la province du Jilin (au nord-est de la Chine) par un de ses camarades de classe. Un jour, son voisin lui raconta avec enthousiasme un récit passionnant qu'il avait lu dans un livre manuscrit. En fait, ce récit n'était autre que celui que Zhang Baorui avait composé ! Toutefois, dans le courant de la diffusion, l'histoire avait été étoffée et transformée. Des personnages avaient même été ajoutés.
Après la Révolution culturelle, les éditions People's Literature Publishing House reprirent leur travail et soumirent un rapport à l'Administration des publications pour demander la diffusion d'un certain nombre de classiques. 49 catégories de chefs-d'oeuvre littéraires furent sélectionnés, dont de nombreux ouvrages étrangers notamment Anna Karénine, Résurrection, Guerre et Paix, Le Don paisible, Et l'acier fut trempé, Les Misérables... Ces ouvrages ont influencé toute une génération !
A l'époque, le tirage des livres et des magazines battait des records : 1,07 million d'exemplaires pour Le Comte de Monte-Cristo ; 1,56 million pour Le Rouge et le Noir ; 1,79 million pour Les Souffrances du jeune Werther ; 1,01 million pour L'Histoire du pavillon d'Occident...
Au fur et à mesure de l'émancipation de la pensée, les éditions People's Literature Publishing House s'allièrent à 25 maisons d'édition chinoises pour publier une centaine de catégories de classiques littéraires. En 1982, la maison d'édition The Commercial Press sortit pour la première fois la Collection des chefs-d'oeuvre académiques mondiaux en version chinoise. Jusqu'en 2012, 599 catégories d'ouvrages académiques, s'intéressant à la politique, l'économie, la linguistique, la philosophie ou encore la géographie, furent publiées.