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La Face

© Chine Informations - La Rédaction

Extrait de MOEURS CURIEUSES DES CHINOIS
par Arthur H. SMITH (1845-1932)

Traduit (1927) par B. MAYRA et le Lt-Cl de FONLONGUE
Collection d'études, de documents et de témoignages pour servir à l'histoire de notre temps, Librairie Payot, Paris, 1935, 314 pages.
Première édition en Français, 1927. Première édition en Anglais, 1894.
Diffusé par
chineancienne.fr sous license CC-by-nc-sa.

En Chine le mot « face » ne désigne pas simplement le devant de la tête, il renferme, dans son sens littéral, d'autres significations, et en si grand nombre que nous ne pourrions les décrire ou peut‑être même les comprendre.

Pour se faire une idée, encore qu'imparfaite, de tout ce que renferme le mot « face », il faut tenir compte du fait que la race chinoise possède au plus haut degré l'instinct dramatique. En Chine, le théâtre est véritablement le seul amusement national et le peuple professe pour le spectacle une passion pareille à celle des Anglais pour les sports ou des Espagnols pour les courses de taureaux. A la moindre provocation le Chinois se considère comme un acteur jouant un drame. Il adopte aussitôt une attitude théâtrale, fait le salam, tombe à genoux, se prosterne et frappe sa tête contre terre ; et cela dans des circonstances qui, aux yeux d'un Occidental, ne motivent nullement de pareils gestes et les rendent même ridicules. Un Chinois pense dans des termes de théâtre. Lorsqu'il est excité, il interpelle, pour se défendre, deux ou trois personnes et s'exprime comme s'il parlait à une foule. « Je dis cela », s'écrie‑t‑il, « devant vous, devant vous tous présents ici ! » Si ses ennuis ont pris fin avec honneur, il parle de lui-même comme « étant descendu de l'estrade » ; dans le cas contraire, il ne trouve pas le moyen de « quitter la scène ». Tout cela n'a, du reste, rien à voir avec la réalité : ce n'est jamais une question de faits, mais de forme simplement. S'il a prononcé un beau discours au bon moment et de la bonne manière, le personnage a rempli les exigences de la pièce. Gardons‑nous de vouloir pénétrer dans les coulisses du théâtre ; pareille intrusion gâterait tous les drames de la terre. Bien accomplir des actes de ce genre dans toutes les incidences complexes de la vie, c'est « avoir de la face ». Échouer dans ces actes, n'en pas tenir compte, se trouver contrecarré dans leur exécution, c'est « perdre la face ». Dès que vous aurez bien saisi ces explications, vous vous apercevrez que la « face » est en elle‑même la clef des plus importantes caractéristiques des Chinois.

Il faut ajouter que les principes qui règlent la « face » et les moyens de l'acquérir dépassent souvent les facultés de conception de la mentalité occidentale, trop oublieuse de l'élément théâtral et sensible avant tout à la réalité des faits. L'homme d'Occident est porté fréquemment à assimiler la « face » du Chinois au tabou des îles de la Mer du Sud : force d'une puissance incontestable mais capricieuse, et ne pouvant être ramenée à aucune règle, elle demanderait à être supprimée et remplacée par le bon sens. A ce point de vue, Chinois et Occidentaux doivent se résigner à ne pas s'entendre, car jamais on ne pourra les amener à voir les mêmes choses sous un même jour. Lorsqu'il s'agit de mettre fin aux querelles incessantes qui entretiennent la division dans chaque hameau, « ceux qui prêchent la paix » ont à tenir soigneusement compte de la balance des « faces », tout comme les hommes d'État européens en agissaient autrefois avec la balance des « forces » ! En pareil cas, l'objectif ne réside pas dans l'exécution d'une justice impartiale laquelle, pour aussi désirable qu'elle soit en théorie, paraît bien rarement réalisable à un Occidental, mais dans un arrangement qui saura distribuer la « face » à tous les intéressés avec de justes proportions. Le même principe prévaut souvent pour le règlement des procès dont un fort pourcentage se termine par ce que l'on pourrait appeler « partie nulle ».

Offrir à une personne un beau cadeau, c'est lui donner de la « face », mais si le don provient d'un individu étranger à la famille, il ne devrait être accepté qu'en partie, bien qu'on ne doive jamais, ou du moins très rarement, le refuser. Quelques exemples de cette soif de « garder la face » illustreront ce que je viens de dire. Être accusé d'une faute, c'est « perdre la face » ; il faut donc nier le fait, quelle qu'en soit l'évidence, de façon à sauver la « face » ! Une balle de tennis manque, les joueurs font plus que soupçonner un coolie de l'avoir dérobée. Celui-ci nie avec indignation, mais il se rend à l'endroit où la balle a disparu, il la trouve bientôt (après l'avoir laissé retomber de sa manche) et se contente de dire : Voici la balle perdue ! La femme de chambre qui a caché le couteau d'un invité de ses maîtres le découvre soudain sous le tapis de la table et le montre alors avec ostentation. Dans les deux cas, la « face » est sauvée. Le domestique qui, par négligence, a perdu un objet et sait devoir le remplacer à ses frais, déclare avec hauteur en recevant son congé : « L'argent que coûte cette cuiller d'argent, je n'en ai pas besoin ! » Et ainsi sa « face » demeure intacte. Un homme à qui l'on doit de l'argent et qui sait qu'il ne le touchera jamais, ne s'en rend pas moins chez son débiteur ; il y fait un beau tapage et montre, de cette façon, qu'il sait comment l'on doit se comporter. Il ne touche pas d'argent, mais il sauve sa « face » et acquiert en même temps la certitude de ne plus être rançonné à l'avenir. Un domestique néglige ou refuse de faire son service : après s'être assuré que son maître a décidé de le renvoyer, il renouvelle sa première faute puis s'en va de lui-même. Il a sauvé la « face ».

Sauver sa « face » et perdre la vie ne nous semblerait pas, à nous, une perspective bien attrayante ; or, nous avons entendu parler d'un magistrat qui, par faveur spéciale, obtint d'être guillotiné vêtu de sa robe de juge afin de sauver sa « face ».

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