Merci, FrenchFFcom, d'alimenter ainsi cette discussion d'un peu plus de substance.Si je ne souhaitais pas insister plus que cela sur Fukushima, c'est qu'en effet, vous avez raison, la responsabilité de l'exploitant privé, au regard des causes, ne peut pas être retenue et, à l'égard des conséquences, n'est que partielle. Mais elle existe : je faisais là allusion à l'aveu que l'entreprise a fait d'avoir sciemment minimisé les risques, et notamment le risque aggravé qu'entraînait la concentration d'un trop grand nombre de réacteurs sur ce site. Elle n'était alors mue, ce qu'elle a également avoué, que par le souci d'éviter des coûts supplémentaires, et c'est bien ce qui me gêne dans ce culte, idéologique, de la propriété et des intérêts privés qui s'accompagne d'un mépris voire d'une haine de l'Etat (sans parler du mépris et de la haine des salariés et de leurs syndicats – j'y reviendrai in fine). Ajoutons que ce sont les deniers publics japonais qui devront pallier l'insuffisance des assurances souscrites par Tepco.J'ai par ailleurs mentionné la crise de 2004, c'était plus important, pour souligner à quel point le capitalisme japonais (dont tous ceux qui ont travaillé en entreprise dans les années quatre-vingt ont eu les oreilles rebattues) ne constituait pas un modèle infaillible, ni même exemplaire, ce que, compte-tenu du reste de votre propos, on ne pouvait que lire ainsi. Je suis en revanche tout à fait convaincu de l'excellence technique des chercheurs, des entrepreneurs et des travailleurs japonais.Je pense au contraire que, d'une manière générale, si, sous certains aspects, le capitalisme est un splendide coursier, il faut lui tenir les brides TRES serrées. J'ai bien noté, cela me rassure un peu, que vous n'étiez pas hostile par principe à l'intervention des pouvoirs publics – mais quels pouvoirs, sur ce plan, restent-ils dévolus aux Etats, qui n'ont de cesse que de s'en dépouiller ? Les intérêts privés ne cessent, eux, et de plus en plus, de se voir attribuer les moyens, notamment juridiques, de faire plier les Etats à leur convenance, et tout cela au nom même des principes qui semblent sous-tendre votre discours.Cela étant, je pense devoir faire cette réflexion qui est aussi une concession majeure, et vos rappels concernant la structure de la SNCF m'en donnent l'occasion en l'illustrant : la puissance publique et les entreprises qu'elle contrôle doivent elles-mêmes être étroitement contrôlées par la vigilance des citoyens et de leurs représentants, parce qu'elles ne constituent pas une infaillible panacée. En effet, comme vous le soulignez, il n'y eut pas en l'espèce de privatisation de type thatchérien à proprement parler, et c'est une SNCF semi publique puis publique qui a tragiquement sacrifié les infrastructures : les mêmes logiques purement marchandes, le même souci de rentabilité à court terme, ne sont pas forcément l'apanage exclusif de certaines grandes entreprises privées, la propriété publique ne garantissant malheureusement pas que les intérêts à long terme de la population seront pris en compte, ni, d'ailleurs, que la communauté nationale ne sera pas spoliée à l'occasion d'une privatisation. Mais c'est, pour l'heure, le seul rempart, si imparfait fût-il, qui puisse demeurer contre une financiarisation sans limites. Au moins un contrôle peut-il en principe s'y exercer.J'en viens à ce qui, au fond, m'avait le plus fait réagir à votre texte. Je suis en effet pour le moins bien attristé que seule, semble-t-il, vous touche quelque peu la contrainte imposée aux étudiants américains de devoir s'endetter ! C'est là qu'à votre tour, «vous me semblez très loin de la réalité...».Lorsque, comme vous dites, «Quand une entreprise privée se crashe, c'est dommage, mais c'est l'actionnaire qui en subit les conséquences», il est très révélateur que vous ne pensiez pas, en tout cas ne mentionniez pas ce que cela représente pour les salariés ! Sans parler des autres conséquences éventuelles, écologiques ou économiques, que Sylvain G. a bien raison de signaler.Seul compte sans doute le fameux risque des actionnaires, et le «risque» que prendraient les dirigeants de sociétés, qui doit nous faire pleurer et justifie, paraît-il, des rémunérations princières! Quel risque ? Dans les années quatre-vingt, avant que le dégoût de cette idéologie de l'entreprise et du profit me conduise à devenir un de ces fonctionnaires d'Etat que vous semblez honnir, je travaillais dans la filiale française d'une belle, intelligente, et très performante entreprise. A la suite d' «erreurs de management» sur lesquelles il ne vaut mieux pas s'appesantir, un trou de plusieurs dizaines de millions de francs mit en péril la rentabilité immédiate de cette filiale. Cent personnes - dont je ne fus pas - furent brusquement privées d'emploi et, par un artifice juridique, de toute indemnité (c'est dommage, comme vous dites mais, n'est-ce pas, elles ne prenaient pas de risque ...). Les deux responsables, numéros un et deux de cette filiale qui, à la suite d'une «mauvaise décision» avaient ainsi coûté si cher furent également remerciés (mais aussi parce que leurs protecteurs au sein de la maison mère venaient de perdre une lutte d'influence). Eh bien ces deux responsables (mais sans doute avaient-ils pris des risques ! Quels risques ?) touchèrent chacun plusieurs centaines de milliers de francs à titre d'indemnité. Ce ne fut évidemment pas le cas de quelques dizaines de malheureuses secrétaires et employées informatiques. Sans doute pourrez-vous bien entendu dire que ce n'est là qu'anecdote et anomalie, et que ça n'a rien à voir avec notre sujet. Non point. Et, pour avoir été pendant plus de vingt ans salarié de plusieurs entreprises privées, j'en ai d'autres, tout aussi révélatrices de cette mentalité qui me fait dégoût.Mais ce qui vous choque vous, c'est, semble-t-il, «les avantages dont bénéficient les salariés d'entreprise publique [qui] sont parfaitement injustifiés, non seulement parce qu'ils sont financés par les citoyens, mais également parce qu'ils contreviennent au principe d'égalité qui est pourtant inscrit dans notre devise nationale. Pourquoi un fonctionnaire de la SNCF aurait le droit à des billets gratuits par rapport à un salarié du privé ? Rien ne le justifie.» Mais de quel «principe d'égalité» pourrait-il s'agir en ce domaine? C'est absurde. Les «avantages» liés aux contrats de travail régissant telle ou telle entreprise, privée ou publique, ne sont que le résultat, très variable et aléatoire, parfois de générosités patronales, ou de recherches d'image, ou de soucis de fidéliser un personnel et de diminuer les tensions sociales et naturellement, surtout (est-ce cela qui vous fait tant horreur?) le résultat, le plus souvent, de luttes syndicales victorieuses ici, et qui n'ont pas pu l'être là.Sans ces luttes, une multitude de fléaux sociaux prévaudraient encore et je crains que l'idéologie que vous défendez au moins en partie ne continue de conduire à en restaurer. Je le constate, aussi, malheureusement.De quel «principe d'égalité» aurais-je pu me prévaloir, devenu fonctionnaire, pour bénéficier aussi de ces treizième et quatorzième mois de paye qui rendent séduisants certains contrats privés ? Ou pour réclamer l'égalité et bénéficier aussi d'un «intéressement aux résultats»? Cela n'a pas de sens, et vous ne trouvez (heureusement) rien à redire quant aux entreprises privées qui octroient des conditions particulières à leurs salariés regardant leur production de biens ou de services. Serait-ce parce que, si l' Etat doit refuser un quelconque «avantage» à ses salariés au nom du «principe d'égalité», l'actionnaire privé, parce qu'il est privé, peut s'en exonérer ? Revoilà donc le profit et la propriété privée comme fin et justification de tout, dont les droits ne sauraient qu'être supérieurs! C'est ainsi que, toujours au nom de la même idéologie, on en vint il y a peu (et naturellement on y reviendra) à vouloir poser, à côté et au-dessus des principes de libertés publiques de notre Constitution, quelle tristesse, des règles obligatoires de gestion budgétaire comptable !Sauf (et c'est le résultat de ce que vous contribuez à promouvoir), en entretenant dans le cadre d'une lutte de classes savamment conduite, méconnaissance, divisions et jalousies, à parvenir à éliminer pour les salariés quelque «avantage» que ce soit (chacun, en étant convaincu de les combattre chez les autres, contribuant à les rogner ou les éliminer pour tous) il n'y a guère de logique sérieuse derrière tout cela.Cela étant, et pour ne pas être injuste à l'égard de ce que vous manifestez, je reconnais au libéralisme des fondements intellectuels et une cohérence soutenables, qui fondent ce courant à alimenter notre réflexion.Je suis bien conscient par ailleurs que les défis et difficultés que devront affronter nos sociétés modernes, si techniques et si fragiles, ne sont pas résolubles facilement, ni avec des idées simples, ni sur des bases purement idéologiques (je reconnais que j'ai, aussi, les miennes). Mais je tiens, d'une manière délibérément politique et volontariste, à faire que l'humain soit, non seulement pris en considération, mais même devienne l'aune à laquelle on devrait nécessairement mesurer notre évolution, bien au-dessus de toute autre considération. Franchement, ce n'est vraiment pas ce qui semble inspirer votre discours.