@ Michelem: c' est un endroit édifiant, en effet, que j' ai pu voir aussi...
on m' a signalé également , à Zhuhai (la porte de Macao au sud) qu' il y a une reconstitution à l'identique du palais d'été. La lettre et le portrait de Victor Hugo figurent en bonne place dans une salle d'exposition.... Je connais Zhuhai, pour y être passé, mais je ne connais pas personnellement cet endroit.
cela donne l' occasion, peut-être, de se rappeler de quoi il s' agit.....concernant ce sac du palais d' été et Victor Hugo :
Le contexte historique :
L'empereur Xianfeng est en fuite. Le 17 octobre 1860, au milieu de la seconde guerre de l'opium, les troupes coalisées anglo-françaises qui avaient envahi Beijing et occupé l'arrondissement Haidian au nord-ouest onze jours auparavant, commencèrent à piller puis à détruire par le feu le somptueux palais d'été 圆明园 ( Yuánmíng Yuán ) sous l'ordre de lord Earl of Elgin and Kincardine (James Bruce 1811-1863), commandant en chef des troupes anglaises en Chine. Durant au moins trois jours consécutifs, les soldats anglais et français mirent à sac tous les trésors de ce palais impérial, joyau de la combinaison de l'architecture au style chinois et européen, quintessence des arts orientaux et occidentaux.
Lettre de Victor Hugo au capitaine Butler :
Hauteville House, 25 novembre 1861
"Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l'expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l'expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria et de l'empereur Napoléon, est une gloire à partager entre la France et l'Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d'approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française.
Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici :
ll y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s'appelait le Palais d'été. L'art a deux principes, l'Idée qui produit l'art européen, et la Chimère qui produit l'art oriental. Le Palais d'été était à l'art chimérique ce que le Parthénon est à l'art idéal. Tout ce que peut enfanter l'imagination d'un peuple presque extra-humain était là. Ce n'était pas, comme le Parthénon, une oeuvre rare et unique ; c'était une sorte d'énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle.
Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d'été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d'eau et d'écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d'éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c'était là ce monument. Il avait fallu, pour le créer, le lent travail de deux générations. Cet édifice, qui avait l'énormité d'une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? pour les peuples. Car ce que fait le temps appartient à l'homme. Les artistes, les poètes, les philosophes, connaissaient le Palais d'été ; Voltaire en parle. On disait : le Parthénon en Grèce, les Pyramides en Égypte, le Colisée à Rome, Notre-Dame à Paris, le Palais d'été en Orient. Si on ne le voyait pas, on le rêvait. C'était une sorte d'effrayant chef-d'oeuvre inconnu entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule, comme une silhouette de la civilisation d'Asie sur l'horizon de la civilisation d'Europe.
Cette merveille a disparu.
Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d'été. L'un a pillé, l'autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu'il paraît. Une dévastation en grand du Palais d'été s'est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d'Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu'on avait fait au Parthénon, on l'a fait au Palais d'été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n'égaleraient pas ce splendide et formidable musée de l'orient. Il n'y avait pas seulement là des chefs-d'oeuvre d'art, il y avait un entassement d'orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L'un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l'autre a empli ses coffres ; et l'on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l'histoire des deux bandits.
Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voila ce que la civilisation a fait à la barbarie.
Devant l'histoire, l'un des deux bandits s'appellera la France, l'autre s'appellera l'Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m'en donner l'occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais.
L'empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd'hui avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d'été.
J'espère qu'un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée.
En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate.
Telle est, monsieur, la quantité d'approbation que je donne à l'expédition de Chine."
Voilà.....c' est toujours avec un grand plaisir et non sans une certaine émotion que je relis cette lettre....
Pour être complet, il faut aussi rappeler que Victor Hugo ne fut pas le seul à en parler :
Le sac du palais d' été a aussi été évoqué par Pierre Loti et Pierre-Jean Rémy , tous deux aussi de l' académie française....
Beaucoup de superbes pages, évoquées en partie notamment dans l' ouvrage (que je recommande vivement !!) "Le Voyage en Chine", Bouquin, Robert Laffont, 1992 .
il y aurait tant à dire, au regard de nos conceptions modernes et de la mentalité actuelle; sur l' attitude des occidentaux (dont les français...)à l'époque des guerres de l' opium ... Sans compter, outre les guerres et les combats qui dépendaient de la politique étrangère des pays, les mentalités très spéciales (et bien loin de l' humanisme...) des européens allant faire fortune en Chine....lisez Pierre Loti....
""L'occident détruit l'Occident, tout autant que l'Orient, analyse Alain Peyrefitte dans son ouvrage "l'Empire immobile". Surtout, il détruit pour longtemps les chances d'échanges amicaux qui eussent permis une fertilisation croisée entre les deux bouts du monde."
et pour conclure, Victor Hugo :
"Les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais".