Avec le retour du Festival des opéras traditionnels, la culture théâtrale chinoise s'épanouisse à Paris (REPORTAGE)
Après six ans d'interruption, le Festival des opéras traditionnels chinois, événement biennal lancé initialement par le Centre culturel de Chine à Paris en 2003, fait son grand retour à Paris. À partir du 6 novembre, représentations scéniques, expositions, conférences et projections d'opéras filmés étaient proposées pendant cinq jours au public français début novembre.
Sur scène, les comédiens, revêtus des costumes et des maquillages qui ont fait la célébrité de l'opéra chinois à travers le monde, alternaient entre parties parlées et chantées, interagissant avec les percussions et les cordes jouées par les musiciens, situés sur les deux côtés du plateau. Dans la salle, un tonnerre d'applaudissements et des rires qui fusaient. L'auditorium du Musée national des arts asiatiques-Guimet, haut lieu de la culture asiatique sis sur la place d'Iéna de Paris, a fait salle comble pour les quatre soirées d'opéras chinois. Un public de curieux ou d'amateurs s'est empressé de réserver sa place pour l'une des représentations, ou même pour plusieurs. Côté programmation, des artistes de premier plan directement venus de Chine pour interpréter des pièces classiques du répertoire traditionnel de l'opéra chinois.
Muriel, la soixantaine, est arrivée avec son ami Bernard en avance au Musée Guimet, désireuse de ne pas manquer la représentation de l'opéra qu'elle avait découvert lors d'un voyage à Beijing en 1996 et de partager l'expérience avec son ami. Peu intéressée par l'opéra en général, elle garde un souvenir fort du spectacle vu en Chine et voulait " voyager en restant dans son fauteuil ".
On reconnaît dans le public des personnalités familières des manifestations culturelles chinoises en France, comme Jean-Chrétien Sibertin-Blanc, délégué général du Festival du cinéma chinois en France. " Je m'intéresse à la culture chinoise en général, non seulement la culture moderne, mais aussi la culture ancienne. On a des conceptions différentes du monde très complémentaires. L'opéra chinois est vraiment à la source de la culture chinoise, donc j'ai vraiment envie de le découvrir, " s'est-il enthousiasmé.
En ouverture de la saison, des acteurs de l'Académie nationale du théâtre de Chine (Zhongguo xiqu xueyuan) ont interprété mercredi soir l'un des grands classiques de l'opéra de Beijing (jingju), " L'orphelin des Zhao ". Une intrigue tragique : un ministre fait exécuter toute la famille Zhao et seul survit un nouveau-né, sauvé par un médecin ami de la famille. Ce dernier l'élève comme son propre fils, dans le but de l'amener à se venger du ministre. Servie par des comédiens et des musiciens hors pair et dans une mise en scène non dénuée d'humour, la pièce a séduit visiblement le public.
Pour Lisa, étudiante en doctorat de lettres classiques, cette soirée était une première. " C'était un peu assourdissant au début, mais on s'immerge assez facilement dès les 10 premières minutes, " a-t-elle concédé. Pour elle, c'était le jeu des acteurs qui a été le plus intéressant dans cette expérience. " Le jeu des acteurs est parfois très sérieux, et parfois presque comique. Cela permet de soulager la tension et d'éviter que ça devienne seulement une tragédie grecque, " a-t-elle commenté, en repensant notamment au personnage du chien, joué par un humain.
Sensible au violon chinois traditionnel à deux cordes, le "erhu", Carlos Garcia est sorti impressionné par la qualité du spectacle et par l'enthousiasme du public. " Je m'attendais à un beau spectacle et je n'ai pas été déçu. Ça durait deux heures trente et on ne voit pas du tout le temps passer, " s'est-il exclamé, poursuivant qu'" on est tellement près de la scène qu'on peut voir toutes les expressions des visages, tous ces détails autour de la musique nous transportent totalement dans un autre monde ! "
Revenant sur l'accueil chaleureux du public français, Roger Darrobers, membre du jury du festival, ancien professeur de langue et civilisation chinoise à l'Université Paris-Nanterre et auteur de plusieurs ouvrages sur l'opéra chinois, se souvient encore de l'enthousiasme provoqué par le retour de l'opéra traditionnel en Chine à la fin des années 1970 alors que lui-même était étudiant dans une école du théâtre de Beijing. " Il faut dire que ce sont des pièces remarquables, qui parlent à beaucoup de gens, " a-t-il conclu.
Inscrit par l'UNESCO sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité depuis 2010, l'opéra de Beijing est le genre théâtral chinois le plus répandu, y compris à l'international. Mais le Festival des opéras traditionnels chinois présente aussi des formes locales d'opéra, plus confidentielles. On pouvait apprécier lors de l'édition 2024, outre le jingju, de l'opéra Ou, de la région de Wenzhou, Min, ou théâtre de Fuzhou, genre d'opéra local du Fujian et Chao, dénommé d'après la région de Chaoshan dans le Guangdong (Canton). Chacun avec ses spécificités formelles et interprété dans le dialecte régional.
La présence des opéras locaux est l'une des spécificités du Festival des opéras traditionnels chinois. Pour Jean-Marie Fégly, membre du jury depuis la troisième édition du festival et spécialiste du kunqu, la plus ancienne forme d'opéra chinois qui soit encore jouée, le festival a contribué à enrichir la connaissance de l'opéra chinois en France. " Auparavant, les Français ne connaissaient que l'opéra de Beijing, au détriment des autres opéras locaux, peu connus et pourtant très riches," s'est-il souvenu.
Près de 30 genres d'opéras chinois ont été représentés depuis la création du festival. " Cet événement à Paris est assez exceptionnel parce qu'il permet de voir plusieurs troupes ensemble, alors que même en Chine, ce n'est pas facile, " a estimé lui aussi Roger Darrobers, qui découvrait à l'occasion de cette édition le théâtre Ou, joué par la seule troupe encore existante de cette forme d'opéra.
Durant cinq jours, le festival intègre également une série de projections cinématographiques, des expositions sur l'art scénique et sur les costumes de l'opéra chinois, ainsi que des conférences sur l'art théâtral. La nouveauté de cette édition est l'introduction d'opéras filmés, un genre particulier en Chine pour transmettre la mémoire de ces oeuvres. Le festival présentait cette année 4 films très différents les uns des autres, dont certains sont sortis très récemment. " L'opéra au cinéma marche très bien, ce n'est pas seulement une captation, mais une adaptation au cinéma, parfois avec des effets spéciaux, " a précisé Roger Darrobers, tout en soulignant que le premier film chinois était un film d'opéra.
Jean-Pierre Wurtz, inspecteur général honoraire du théâtre du Ministère français de la Culture et coprésident français du 9e Festival des opéras traditionnels chinois, se réjouit du retour du festival après 6 ans d'interruption. Ayant consacré l'essentiel de sa carrière au théâtre et en particulier à l'international, il s'est très tôt passionné pour l'opéra chinois. " En fait, c'est du théâtre chanté. Ce qui est passionnant, c'est que des artistes sont à la fois comédiens, danseurs et acrobates, donc toute une palette très large d'expression, ce qui en fait un genre de spectacle total," a-t-il salué.
Après un partenariat avec trois importants théâtres parisiens et franciliens, dont le Théâtre Silvia Monfort, la Scène nationale de Malakoff et le Théâtre de la Ville, le Musée Guimet accueillait les représentations de cette neuvième édition du festival, qui s'inscrivait en 2024 dans la double célébration du soixantième anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine et de l'Année sino-française du tourisme culturel. En attendant la dixième édition prévue en 2026.