Voici un article très intéressant sur l'avenir de la BD Chinoise !!!
Bande Dessinée Chinoise :le choc à venir
Le Japon pour modèle, la Chine se lance dans un mouvement d'une ampleur sans précédent.
Objectif : rayonner sur le monde.
La Chine caresse en effet depuis peu l'ambition de déployer sur le monde un « Soft Power » sur le modèle américain et japonais, s'appuyant notamment sur le rayonnement de la culture chinoise en Chine même et à l'étranger. Les autorités chinoises voient en la BD et l'animation un enjeu prioritaire de domination culturelle planétaire. Destiné à jouer un rôle central dans cette entreprise de séduction d'envergure planétaire, le secteur du « dongman » (terme qui désigne à la fois l'animation et la BD) vient ainsi d'être catapulté à Pékin « secteur stratégique », au même rang que le nucléaire, l'automobile...
Bref, ça y est, pour la Chine, les petits Mickeys, c'est désormais du sérieux !
Un marché en mouvement
S'agissant d'un mouvement récent - moins de 5 ans -, on ne perçoit pas encore l'amplitude du choc à venir. Mais les masses titanesques actuellement en mouvement (200 000 à 400 000 étudiants sont actuellement en formation, une quinzaine de métropoles chinoises subventionnent à grande échelle le secteur...) ne laissent aucun doute sur l'avènement, sous moins de 5 ans, d'une production massive, de qualité, chinoise, à vocation exportatrice dans tous les domaines du dongman.Cette ambition peut notamment s'appuyer sur le marché local que constituent les 270 millions de Chinois de moins de 14 ans. Contrairement à un grand nombre de secteurs s'adressant aux marchés élitistes, limités aux classes sociales privilégiées des grandes villes, le marché du dongman repose en effet sur une base de consommation très large, notamment pour les produits les plus basiques (magazines BD notamment), touchant la plupart des zones urbaines, soit une centaine de millions d'enfants.
A ces lecteurs actuels là s'ajoutent, chaque année, une bonne dizaine de millions de lecteurs additionnels issus des zones semi-rurales, dont le développement économique est extrêmement rapide, de sorte que l'on peut estimer que le marché enfant aura doublé de taille dans moins de 10 ans.
Les éditeurs chinois en profitent : alors que le marché n'existait quasiment pas jusqu'au début des années 2000 (un tirage de 20 000 copies était alors un bon succès), on voit fleurir depuis quelques temps des flopées de nouveaux magazines BD, dont les leaders tirent aujourd'hui à plus de 500 000 exemplaires par semaine. Et même si le marché des albums BD reste anémique à cause des faiblesses des réseaux de libraires (encore largement contrôlés par l'Etat), le dynamisme de l'internet et des magazines est tel que le secteur voit la vie en rose : la plupart des grands éditeurs BD chinois affichent ainsi depuis plusieurs années des taux de croissance de 20 à 30 %, soit une croissance deux à trois fois supérieure à celle du reste de l'économie.
Ebullition artistique
Sur le plan artistique, cette ambition de Soft Power est à portée de main. Pour comprendre la force et le potentiel du mouvement artistique chinois actuel, osons le comparer aux débuts de la Renaissance italienne. Rappelons-nous que le pays sort à peine (une dizaine d'années !) d'une longue période de totale glaciation artistique. Ayons conscience de ce que représente une masse de 1,3 milliard de personnes partageant la même culture, la même langue, les mêmes médias ! Et essayons donc d'imaginer ce qu'il adviendra le jour où les derniers verrous qui continuent à contenir cette puissance créative – la censure notamment – vont sauter. Difficile de ne pas penser que nous sommes face à la référence culturelle de l'époque à venir.
Car quelle que soit la matière, l'art chinois est entré en ébullition et connaît une évolution sans précédent. L'émergence d'artistes majeurs de plus en plus connus sur les marchés internationaux, n'est ainsi que la partie immergée d'un mouvement de fond, massif, proportionnel à la taille de la population urbaine chinoise (520 millions de personnes) : les mégapoles génèrent dans leurs entrailles, comme en Occident, un tel bouillonnement que des artistes exceptionnels en jaillissent forcément.
De jeunes créateurs conquérants
En BD, Benjamin, l'auteur pékinois qui a déjà commencé à percer en France est un excellent exemple de cette explosivité créatrice : chinoise, urbaine, actuelle. D'autres, plus jeunes, se bousculent dans son sillage : Huang Jiawei, jeune prodige cantonnais qui travaille depuis 3 ans sur la série Zaya (avec JD Morvan au scénario) ; Little Thunder, elle aussi du sud (Hongkong plus précisément), qui sort à l'automne sa première série, au dessin tout simplement hypnotique, Kylooe ; Xiao Bai, au trait policé et au découpage parfait, quasi japonais, qui sort aussi son premier album à l'automne en France ; etc. Difficile pour moi de ne pas citer aussi Li Kunwu, mon partenaire sur la série Une Vie Chinoise, dont le trait nous ramène des années en arrière, dans cette Chine traditionnelle sur le point de disparaître.
Leurs points communs : l'âge (à part Li Kunwu), très jeunes, le dynamisme et l'ardeur propres à ceux des pays conquérants, un talent à la dimension de la Chine... Et un sponsor étranger, qui leur permet de pratiquer une BD d'auteur dans un pays où ce genre là n'a pas encore sa place !
Le seul point faible encore prégnant : le contenu, les scénarios. Là, dans ce domaine, le pays continue à souffrir d'un important retard. La faute à une ouverture des esprits encore insuffisante et à un système scolaire où l'imagination domestiquée est peu valorisée. Mais, sous la pression du marché, dans ce domaine aussi, attendons-nous à d'importantes évolutions. Premiers signes : les magazines BD leaders soumettent en permanence leurs séries à la critique ouverte des internautes, qui interviennent ainsi dans l'évolution des scénarios et des personnages. Si une série sous-performe plusieurs semaines de suite, le tout puissant rédacteur en chef la remplace sans état d'âme par un des dizaines de projets qui attendent leur tour.
Des consommateurs, des artistes et, surtout, des méthodes industrielles éprouvées.
L'inclination naturelle de la société chinoise pousse le secteur vers une BD industrielle, adossée au dessin animé et aux jeux vidéo.
Ainsi, l'explosion artistique chinoise se combine-t-elle à la montée en puissance de « l'industrie de la création », domaine auquel sont appliquées les mêmes recettes que celles qui ont permis le développement des autres secteurs industriels d'où le pays tire aujourd'hui sa richesse ; ainsi, la mise à disponibilité d'une main d'oeuvre qualifiée abondante et donc bon marché. Les 200 000 à 400 000 étudiants dans le pays sur les domaines du dongman, représentent entre 5 et 10 fois le nombre de salariés actuellement en production dans le secteur ! Il s'agit donc là d'un flux massif de main d'oeuvre - même si une partie importante de ces étudiants seront in fine employés par le secteur des jeux vidéo qui est aussi en plein essor. Des milliers d'ouvriers de la palette graphique donc, pour fabriquer des séries au rythme que réclame le marché : de 16 à 32 planches par semaine et par série...
En moins de 5 ans, le résultat est à la hauteur des espoirs : l'industrie de la BD est florissante et la Chine commence à disposer de ses premiers champions nationaux dans l'édition. Quelques grands magazines (une demi-douzaine actuellement) sont notamment en train de se tailler la part du lion, en maîtrisant la distribution jusqu'aux lecteurs (via le courrier des lecteurs internet, en particulier !) et en contrôlant les projets dont ils sous-traitent la «fabrication» auprès d'une bonne centaine de studios indépendants, chacun fort de 10 à 20 dessinateurs et scénaristes. Bref, le Naruto chinois n'existe (probablement) toujours pas... Mais tout est en place pour qu'il voie bientôt le jour. Et gageons que cela ne saurait tarder...
D'après P. Ôtié
Paru dans Belzébulle, programme officiel du festival Bd de Saint Malo