Mission jésuite en Chine

Les Jésuites sont arrivés pour la première fois en Chine en 1582. Ils ont initié l'Europe à la connaissance de la Chine, et sont les créateurs, en quelque sorte, de la sinologie. Ils ont aussi permis la circulation d'idées et la découverte d'un autre monde. En avance sur les positions du Vatican, ils défendaient par exemple la célébration de la messe en chinois classique ou des adaptations à la culture locale.

Missionnaires en Chine

Une première mission franciscaine est présente en Chine entre le XIIIe siècle et le XVIe siècle, durant la dynastie mongole des Yuan. Ceux-là ont dû partir lorsque la dynastie a été renversée. Le christianisme prêché alors était sans nuance, ni adaptation. Il y a aussi des traces plus anciennes avec la présence de chrétiens nestoriens au VIIe siècle, attestée par une stèle retrouvée en 1625 à Chang'an (XiAn).

Les Jésuites sont les membres de la Société de Jésus, fondée en 1534 par Ignace de Loyola. Le pape leur donne le « droit religieux » sur les nouveaux territoires atteints vers l'Est. Ils suivent le parcours des marchands portugais. Vers le milieu du XVIe siècle, parallèlement à ces derniers, très présents dans les mers du sud est asiatique, ils atteignent les ports de Goa, Malacca, Macao ou encore le Japon. Cette présence précoce permet aux Jésuites de fonder dès 1542 une mission à Goa, elle sera le point de départ et de contrôle pour les explorations plus lointaines.

En 1582, Michele Ruggieri et Matteo Ricci sont les premiers Jésuites à obtenir la permission d'entrer en Chine. Et en 1601, ils s'installent à Pékin et commencent leur travail auprès des lettrés de la cour. Matteo Ricci, grâce à ses connaissances en sciences et surtout en langue chinoise, se fait assez vite connaître dans les cercles de lettrés. Il écrit de nombreux ouvrages pour promouvoir et présenter la religion chrétienne à ces derniers. Il est aussi l'initiateur du premier projet de dictionnaire de traduction chinois.

Première mission jésuite en Chine

On peut diviser la période de la première mission jésuite en Chine (1582 à 1773) en trois périodes. La première, de 1582 à 1610, correspond à l'arrivée en Chine, et la mise en place de la méthode Ricci. Elle va jusqu'à la mort de ce dernier. C'est la rencontre avec la civilisation et la culture chinoise. C'est aussi à ce moment que sont convertis les premiers lettrés. Il y a aussi beaucoup d'effort de publication et de traduction de livres occidentaux.

Ensuite de 1610 à 1705, le christianisme progresse lentement et les éléments qui conduiront à la Querelle des Rites se mettent en place. En 1705, un incident avec l'empereur chinois conduira à la fin de l'expansion du christianisme en Chine.
Ensuite la dernière période, qui va de 1705 à 1773, est un déclin de la présence des Jésuites. Plusieurs vagues de persécutions frappent les missionnaires et les convertis, le christianisme est classé parmi les « sectes perverses et dangereuses ». Cette période se termine par la dissolution de l'ordre.

La Mission Jésuite est organisée en provinces, dirigées par un Provincial. Au début tout l'Orient dépendra de celui de Goa. Sous cette « province » se trouvent les missions nationales, dirigées elles-mêmes par un Supérieur. Ensuite on trouve des évêchés et des diocèses. L'organisation évolue avec l'agrandissement et l'extension des territoires couverts. Pour la Chine le point d'entrée, et la base de repli en cas de persécutions, sera le territoire portugais de Macao. À noter que les Jésuites de Macao ne suivent pas forcement les mêmes idées que ceux de Chine.

Les provinces lointaines ne sont pas laissées sans contrôle. Un système d'inspection des missions existe. De plus, les missionnaires sont tenus d'écrire des rapports et des lettres annuelles. Ces dernières sont utilisées en interne et aussi compilées pour la publication au public. Des correspondances se créent aussi avec les scientifiques et les intellectuels européens. Les missionnaires servent de fenêtre sur l'Orient pour l'Europe.

La période de présence des Jésuites voit se succéder plusieurs empereurs et surtout l'installation d'une dynastie mandchoue à la tête de la Chine. Les Ming se voient repoussés vers le sud et sont finalement définitivement vaincus en 1661. Dès 1644, la dynastie mandchoue Qing prend pied en Chine. L'attitude des différents empereurs varie. Les périodes de tolérance et de persécution s'alternent. La position n'est pas non plus la même face aux Jésuites de la cour, aux Chinois convertis ou aux autres missionnaires dans les campagnes.

Lorsque les Jésuites arrivent à Pékin en 1601, la dynastie Ming touche à sa fin. L'empire est attaqué à ses frontières en Mongolie et, en même temps, il doit aider la Corée à repousser les attaques japonaises. De plus, parmi les Mandchous, il y a des signes d'agitation.

Les Jésuites ont gagné en prestige grâce à leur rôle dans la négociation diplomatique pour le traité de Nerchinski en tant que traducteurs. Ce nouveau prestige se combine à celui, sur le plan des sciences, des Jésuites du Bureau d'astronomie de la cour impériale. Ces éléments permettent la création en 1692 de l'Édit de tolérance religieuse de Kangxi, second empereur de la dynastie Qing. il est aussi réputé pour son ouverture d'esprit et pour son soutien aux intellectuels.

Cet édit autorise les conversions au christianisme, annule les lois précédentes contre les missionnaires, et octroie le droit de bâtir des églises et de prêcher publiquement. Le Tribunal des Rites reconnaît aux Européens leur mérite dans leur travail et dévouement. Ainsi il n'agitent plus le peuple contre une doctrine considérée par le passé comme dangereuse. Cependant cet édit n'a pas permit une conversion en masse.

Cette période marque aussi le début de la Querelle des Rites. Plusieurs points de discorde existent concernant les activités des Jésuites en Chine, tels que les traductions, les usages et coutumes et ce qui lui donnera son nom : la place des rites confucéens, notamment ceux concernant les anciens très vénérés. Sont-ils des coutumes ou des superstitions voir des croyances religieuses ?

La visite de l'évêque Tournon, envoyé du pape, ne plaît pas à Kangxi qui voit comme une menace la prérogative du pape sur les esprits chrétiens. Il annule les édits précédents en faveur des Jésuites. L'empereur leur demande aussi d'accepter son interprétation de la bonne manière de comprendre les rites et cérémonies. Le résultat de la visite est pour les Jésuites l'obligation de signer un billet, piao. Il signifie la reconnaissance du point de vue de l'empereur sur les rites ; si le missionnaire refuse il est expulsé de Chine. Mais l'Église menace d'excommunication les missionnaires reconnaissant une compatibilité entre le dogme catholique et les rîtes confucéens. La plupart des Jésuites l'acceptent pour rester. Cette confrontation renforce le point de vue chinois selon lequel les étrangers doivent rester sous le contrôle strict de l'empereur.

Après cet épisode, le contrôle sur les Jésuites augmente considérablement. À l'empereur Kangxi succède Yongzheng et ensuite Qianlong, qui règne de 1736 à 1796. Il étend les frontières de l'empire chinois mais est beaucoup plus ferme envers les Occidentaux, comme le montre l'épisode avec l'ambassadeur Mac Cartney. Il continue également les persécutions contre les chrétiens.

Suite à la Querelle des Rites les Jésuites sont très mal perçus en Occident, ils ont osé violer un ordre papal et compromettre le dogme officiel. Les pays d'Europe interdisent peu à peu les Jésuites pour cette hérésie, les missions à l'étranger sont peu à peu abandonnées, notamment celles en Chine où il fallait financer un niveau de vie élevé. Finalement le Pape Clément XIV décrète la fin des missions jésuites avec le Bref Dominus ac Redemptor en 1773. Les Jésuites et les autres missionnaires commencent aussi à laisser place aux marchands et aux ambassades, qui s'intéressent à autre chose qu'au salut de l'âme des Chinois. Ceux-là seront eux-même suivis par de nouvelles vagues de missionnaires.

Méthode de conversion des Jésuites

Dès le début de la mission chinoise, les Jésuites tentent d'appliquer les enseignements tirés de l'expérience de christianisation au Japon. Les conclusions principales sont qu'il est essentiel de s'adapter aux coutumes et usages locaux ou encore de rester neutre vis-à-vis de l'autorité. L'importance d'une bonne connaissance de la langue est aussi mise en avant. Les Jésuites adoptent aussi des noms chinois (alors que les baptisés chinois reçoivent un nom chrétien). La priorité est donnée à la compréhension et à la traduction. Les Jésuites passent aussi du temps à décrire la situation. Il remarquent assez vite les trois « sectes » déjà présentes. De plus, le confucianisme leur semble être la doctrine chinoise la plus proche de la Vérité.

Costume

Lors de leur arrivée en Chine les Jésuites portent le costume des bonzes, selon le modèle de ce qui se fait au Japon. Assez vite, vers 1594, Matteo Ricci demande l'autorisation de passer au costume de lettré. Ce dernier serait plus apte selon lui pour la conversion et éviterait les confusions. Ce choix est motivé par plusieurs facteurs. Tout d'abord, le statut des bonzes en Chine n'était pas aussi bon qu'au Japon et l'église bouddhique est contrôlée par l'État chinois (tout comme les autres religions officielles). Ensuite, il veut éviter toute confusion avec une quelconque secte bouddhique. Il est à remarquer que ce changement de costume se fait aussi au moment où Ricci traduit les Classiques en latin. Il lui semble alors que le rôle de lettré soit un meilleur vecteur. Il semblait aussi important de gagner l'estime populaire et des classes dirigeantes et donc montrer un rang social important, ce qui implique l'utilisation de beaux vêtements en soie, de palanquin etc. Mais ces comportements sont perçus en Europe comme une offense à l'humilité par certains.

La langue vecteur de conversion problématique

En addition aux questions de coutumes et culture, se pose très vite le problème de la traduction des termes. Si l'on ne prend que l'exemple le plus direct, comment les Jésuites peuvent-ils traduire Dieu en chinois ? Comment trouver un terme qui ne peut être confondu avec des concepts ou superstitions locales ? Au Japon, il existe des syllabaires et l'on peut créer des mots nouveaux. Mais pour le chinois, comment ajouter un nouveau mot, en évitant de récupérer un concept différent ? Ce même problème se retrouve pour tous les mots avec des significations abstraites, mais bien précises. Des significations proches existent mais elles proviennent souvent soit du confucianisme, soit du bouddhisme, ce qui leur donne des connotations bien particulières. Ces problèmes sont d'ailleurs une des facettes de la Querelle des Rites.

Conversion par le haut

Les Jésuites comptent convertir la Chine en passant par la conversion des lettrés et des élites plutôt que par celle de milliers de paysans. En effet, ils pensent qu'en convertissant les dirigeants, c'est le peuple entier qui suivra. Tous leurs efforts vont donc s'orienter vers les classes dirigeantes à tous les niveaux, de l'empereur aux cercles de lettrés. Une méthode longue à mettre en place et dont les résultats ne sont pas visibles rapidement. De plus dans la durée et face à plusieurs souverains, de personnalité assez forte (début de la dynastie mandchoue), l'effort est à recommencer sans cesse. Cette méthode s'oppose à celle d'autres ordres qui tentent de convertir directement le peuple, et qui obtiennent de bons résultats au niveau du nombre de convertis. Cette deuxième approche crée des réactions du gouvernement chinois, qui ne voit pas d'un bon œil la prédication au peuple. Cette différence sera aussi la source de conflits entre les différentes ordres missionnaires.

La science au service de la christianisation

Un autre stratagème utilisé par les Jésuites est de mettre en avant leur connaissances scientifiques. Ce n'est d'ailleurs pour eux qu'un simple moyen pour montrer la supériorité et la puissance du Dieu chrétien. Les « sciences célestes » produisent chez les Chinois une certaine confusion entre l'essentiel et l'accessoire.

Les Jésuites n'introduisent les chinois aux sciences occidentales que par ce qu'ils espèrent les utiliser comme un moyen pour convertir plus facilement l'élitesr. Alors que les Chinois groupent les deux volets des enseignements (religion et science), en donnant un poids égal aux deux approches.

Mais ces sciences doivent rester dans les limites de ce qui est compatible avec la vision chrétienne du monde. Cet aspect peut se retrouver dans l'astronomie lorsque les Jésuites ont défendu longtemps le géocentrisme, car la théorie copernicienne contredisait les connaissances précédentes et les conceptions religieuses. On peut se demander quel effet a eu cette injection de connaissances nouvelles. En général, le niveau de connaissances était assez similaire. Et avec les limites de la promotion des vraies innovations on peut se demander si cet apport de connaissances a accéléré ou ralenti la science chinoise.

Les missionnaires dans les Académies lettrées

Les Académies lettrées, shuyuan, sont des sortes de forums privés, où les lettrés se retrouvent pour des discussions de portée philosophique ou politique. Elles sont indépendantes et représentent différentes tendances. Pour Matteo Ricci, ces Académies semblent être le lieu idéal pour atteindre les lettrés et les introduire à la religion chrétienne. La connaissance des Classiques y est une sorte de prérequis, et Ricci a le bagage suffisant. Il entre dans le jeux du débat d'idées. Les Jésuites sont alors perçus comme des lettrés, et non des missionnaires. On peut aussi noter que cela crée de la confusion car des Chinois pensent que la doctrine présentée a été créée par eux-même. De plus, ils se retrouvent dans un contexte de débats d'idées, où on ne s'attend pas à ce qu'une Vérité soit présentée telle quelle. De par ses connaissances, Ricci sait utiliser les textes classiques pour présenter et justifier la doctrine chrétienne. Ce qui permet des échanges mutuels d'arguments subtils. Il partage ainsi (en surface du moins), les mêmes repères. Il joue avec le contenu des Classiques et met en avant les passages qui l'avantagent et ignore discrètement les autres. Il tente de trouver des liens avec le christianisme, d'autres Jésuites après lui en feront même leur principal argument: le Confucianisme et les Classiques ne sont qu'une mauvaise interprétation du christianisme puisque l'on peut retrouver des symboles chrétiens dans la civilisation chinoise. Ce courant de pensée et de recherches sera appelé figuriste. Comme les Jésuites remarquent très vite qu'il leur est indispensable de rester discret en Chine, ils cachent leur but d'évangélisation. Cette attitude leur sera reprochée plus tard. D'ailleurs les détails de la religion ne sont communiqués qu'aux gens déjà en bonne voie d'être convertis, ce qui ajoute un aspect ésotérique supplémentaire. Les Jésuites sont accusé de duplicité et d'avoir caché leur but réel.

Les lettrés qu'ils rencontrent comprennent-ils le but réel des Jésuites ? Certains en tout cas dénoncent ce qu'ils appellent une doctrine vicieuse. Il existe par exemple un recueil d'écrits anti-chrétiens de huit volumes, daté de l'année 1639.

Chronologie de la présence Jésuite en Chine